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Document 62020CJ0501

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 1er août 2022.
M P A contre LCDNMT.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Audiencia Provincial de Barcelona.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) no 2201/2003 – Articles 3, 6 à 8 et 14 – Notion de “résidence habituelle” – Compétence, reconnaissance, exécution des décisions et coopération en matière d’obligations alimentaires – Règlement (CE) no 4/2009 – Articles 3 et 7 – Ressortissants de deux États membres différents, résidant dans un État tiers en tant qu’agents contractuels affectés à la délégation de l’Union européenne auprès de cet État tiers – Détermination de la compétence – Forum necessitatis.
Affaire C-501/20.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:619

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

1er août 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) no 2201/2003 – Articles 3, 6 à 8 et 14 – Notion de “résidence habituelle” – Compétence, reconnaissance, exécution des décisions et coopération en matière d’obligations alimentaires – Règlement (CE) no 4/2009 – Articles 3 et 7 – Ressortissants de deux États membres différents, résidant dans un État tiers en tant qu’agents contractuels affectés à la délégation de l’Union européenne auprès de cet État tiers – Détermination de la compétence – Forum necessitatis »

Dans l’affaire C‑501/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone, Espagne), par décision du 15 septembre 2020, parvenue à la Cour le 6 octobre 2020, dans la procédure

MPA

contre

LCDNMT,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen, Mme L. S. Rossi (rapporteure) et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme L. Carrasco Marco, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 septembre 2021,

considérant les observations présentées :

pour MPA, par Mme A. López Jiménez, abogada,

pour LCDNMT, par Mes C. Martínez Jorba et P. Tamborero Font, abogadas,

pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

pour le gouvernement tchèque, par Mme I. Gavrilova, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes M. Balta, H. Marcos Fraile ainsi que M. C. Zadra, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme I. Galindo Martín, MM. M. Kellerbauer, N. Ruiz García, M. Wilderspin et W. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 février 2022,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, 7, 8 et 14 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1), des articles 3 et 7 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MPA à LCDNMT, deux agents contractuels de l’Union européenne affectés au sein de la délégation de cette dernière au Togo, au sujet d’une demande en divorce accompagnée de demandes portant sur la détermination du régime et des modalités d’exercice de la garde et de la responsabilité parentale à l’égard des enfants mineurs du couple, de la pension alimentaire pour ces derniers ainsi que sur la jouissance du logement familial situé à Lomé (Togo).

Le cadre juridique

Le droit international

3

Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, conclue à Vienne le 18 avril 1961 et entrée en vigueur le 24 avril 1964 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 500, p. 95, ci-après la « convention de Vienne ») :

« L’agent diplomatique jouit de l’immunité de la juridiction pénale de l’État accréditaire. Il jouit également de l’immunité de sa juridiction civile et administrative, sauf s’il s’agit :

a)

D’une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l’État accréditaire, à moins que l’agent diplomatique ne le possède pour le compte de l’État accréditant aux fins de la mission ;

b)

D’une action concernant une succession, dans laquelle l’agent diplomatique figure comme exécuteur testamentaire, administrateur, héritier ou légataire, à titre privé et non pas au nom de l’État accréditant ;

c)

D’une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu’elle soit, exercée par l’agent diplomatique dans l’État accréditaire en dehors de ses fonctions officielles. »

Le droit de l’Union

Le protocole sur les privilèges et immunités

4

L’article 11 du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (ci-après le « protocole sur les privilèges et immunités »), qui relève du chapitre V de celui-ci, intitulé « Fonctionnaires et agents de l’Union européenne », prévoit :

« Sur le territoire de chacun des États membres et quelle que soit leur nationalité, les fonctionnaires et autres agents de l’Union :

a)

jouissent de l’immunité de juridiction pour les actes accomplis par eux, y compris leurs paroles et écrits, en leur qualité officielle, sous réserve de l’application des dispositions des traités relatives, d’une part, aux règles de la responsabilité des fonctionnaires et agents envers l’Union et, d’autre part, à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour statuer sur les litiges entre l’Union et ses fonctionnaires et autres agents. [...]

[...] »

5

Aux termes de l’article 17, premier alinéa, dudit protocole, qui relève du chapitre VII de celui-ci, intitulé « Dispositions générales » :

« Les privilèges, immunités et facilités sont accordés aux fonctionnaires et autres agents de l’Union exclusivement dans l’intérêt de cette dernière. »

Le statut et le RAA

6

En vertu de l’article 1er ter du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), le service européen pour l’action extérieure (SEAE) est, sauf dispositions contraires du statut, assimilé, pour l’application de celui-ci, aux institutions de l’Union.

7

L’article 23 du statut précise :

« Les privilèges et immunités dont bénéficient les fonctionnaires sont conférés exclusivement dans l’intérêt de l’Union. Sous réserve des dispositions du protocole sur les privilèges et immunités, les intéressés ne sont pas dispensés de s’acquitter de leurs obligations privées, ni d’observer les lois et les règlements de police en vigueur.

[...] »

8

L’article 3 bis, paragraphe 1, du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») prévoit :

« Est considéré comme “agent contractuel”, aux fins du présent régime, l’agent non affecté à un emploi prévu dans le tableau des effectifs annexé à la section du budget afférente à l’institution concernée et engagé en vue d’exercer des fonctions, soit à temps partiel, soit à temps complet :

[...]

d) dans les représentations et les délégations des institutions de l’Union,

[...] »

9

L’article 85, paragraphe 1, premier alinéa, du RAA est libellé comme suit :

« Le contrat des agents contractuels visés à l’article 3 bis, peut être conclu pour une durée déterminée de trois mois au minimum et de cinq ans au maximum. Il peut être renouvelé, une fois au maximum, pour une durée déterminée n’excédant pas cinq ans. La durée cumulée du contrat initial et du premier renouvellement ne peut être inférieure à six mois pour le groupe de fonction I et à neuf mois pour les autres groupes de fonctions. Tout renouvellement ultérieur ne peut être que pour une durée indéterminée. »

Le règlement no 2201/2003

10

Les considérants 5, 11, 12, 14 et 33 du règlement no 2201/2003 énoncent :

« (5)

En vue de garantir l’égalité de tous les enfants, le présent règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale.

[...]

(11)

Les obligations alimentaires sont exclues du champ d’application du présent règlement car elles sont déjà régies par le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)]. Les juridictions compétentes en vertu du présent règlement seront généralement compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires par application de l’article 5, [point] 2, du règlement [no 44/2001].

(12)

Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.

[...]

(14)

Les effets du présent règlement ne devraient pas porter préjudice à l’application du droit international public en matière d’immunités diplomatiques. Si la juridiction compétente sur base du présent règlement ne peut exercer sa compétence en raison de l’existence d’une immunité diplomatique conforme au droit international, la compétence devrait être déterminée dans l’État membre dans lequel la personne concernée ne bénéficie d’aucune immunité, conformément à la loi de cet État.

[...]

(33)

Le présent règlement reconnaît les droits fondamentaux et observe les principes consacrés par la [Charte]. Il veille notamment à assurer le respect des droits fondamentaux de l’enfant tels qu’énoncés à l’article 24 de la [Charte]. »

11

L’article 1er du règlement no 2201/2003, intitulé « Champ d’application », dispose :

«1.   Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :

a)

au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux ;

b)

à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale.

[...]

3.   Le présent règlement ne s’applique pas :

[...]

e) aux obligations alimentaires ;

[...] »

12

Le chapitre II du règlement no 2201/2003, intitulé « Compétence », est composé de trois sections. La section 1 de ce chapitre, intitulée « Divorce, séparation de corps et annulation du mariage », regroupe les articles 3 à 7 de ce règlement.

13

L’article 3 dudit règlement, intitulé « Compétence générale », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :

a)

sur le territoire duquel se trouve :

la résidence habituelle des époux, ou

la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou

la résidence habituelle du défendeur, ou

en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou

la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou

la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ;

b)

de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du “domicile” commun. »

14

Aux termes de l’article 6 du même règlement, intitulé « Caractère exclusif des compétences définies aux articles 3, 4 et 5 » :

« Un époux qui :

a)

a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou

b)

est ressortissant d’un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, a son “domicile” sur le territoire de l’un de ces États membres,

ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5. »

15

L’article 7 du règlement no 2201/2003, intitulé « Compétences résiduelles », précise, à son paragraphe 1 :

« Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État. »

16

La section 2 du chapitre II de ce règlement, relative à la compétence en matière de responsabilité parentale, comporte les articles 8 à 15 dudit règlement.

17

L’article 8 du même règlement, intitulé « Compétence générale », indique, à son paragraphe 1 :

« Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie. »

18

L’article 12 du règlement no 2201/2003, intitulé « Prorogation de compétence », énonce, à ses paragraphes 1, 3 et 4 :

« 1.   Les juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande lorsque

a)

au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant

et

b)

la compétence de ces juridictions a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par les époux et par les titulaires de la responsabilité parentale, à la date à laquelle la juridiction saisie, et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

[...]

3.   Les juridictions d’un État membre sont également compétentes en matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1 lorsque

a)

l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre

et

b)

leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

4.   Lorsque l’enfant a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État tiers, qui n’est pas partie contractante à la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, la compétence fondée sur le présent article est présumée être dans l’intérêt de l’enfant notamment lorsqu’une procédure s’avère impossible dans l’État tiers concerné. »

19

L’article 14 de ce règlement, intitulé « Compétences résiduelles », prévoit :

« Lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État. »

Le règlement no 4/2009

20

Le considérants 8, 15 et 16 du règlement no 4/2009 sont libellés comme suit :

« (8)

Dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé, la Communauté et ses États membres ont participé à des négociations qui ont abouti le 23 novembre 2007 à l’adoption de la convention [de La Haye] sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille [...] et du protocole [de La Haye] sur la loi applicable aux obligations alimentaires[, approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009 (JO 2009, L 331, p. 17)]. Il convient, dès lors, de tenir compte de ces deux instruments dans le cadre du présent règlement.

[...]

(15)

Afin de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu’elles résultent du règlement [no 44/2001] devraient être adaptées. La circonstance qu’un défendeur a sa résidence habituelle dans un État tiers ne devrait plus être de nature à exclure l’application des règles communautaires de compétence, et plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé. Il y a donc lieu de déterminer dans le présent règlement les cas dans lesquels une juridiction d’un État membre peut exercer une compétence subsidiaire.

(16)

Afin de remédier tout particulièrement à des situations de déni de justice, il y a lieu de prévoir dans le présent règlement un forum necessitatis permettant à une juridiction d’un État membre, dans des cas exceptionnels, de connaître d’un litige qui présente un lien étroit avec un État tiers. Un tel cas exceptionnel pourrait être constitué lorsqu’une procédure se révèle impossible dans l’État tiers concerné, par exemple en raison d’une guerre civile, ou lorsqu’on ne peut raisonnablement attendre du demandeur qu’il introduise ou conduise une procédure dans cet État. La compétence fondée sur le forum necessitatis ne pourrait cependant être exercée que si le litige présente un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie, comme par exemple la nationalité d’une des parties. »

21

L’article 3 du règlement no 4/2009, intitulé « Dispositions générales », prévoit :

« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :

a)

la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b)

la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou

c)

la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou

d)

la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties. »

22

L’article 6 de ce règlement, intitulé « Compétence subsidiaire », énonce :

« Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, et qu’aucune juridiction d’un État partie à la convention de Lugano qui n’est pas un État membre n’est compétente en vertu des dispositions de ladite convention, les juridictions de l’État membre de la nationalité commune des parties sont compétentes. »

23

L’article 7 dudit règlement, intitulé « Forum necessitatis », dispose :

« Lorsque aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3, 4, 5 et 6, les juridictions d’un État membre peuvent, dans des cas exceptionnels, connaître du litige si une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel le litige a un lien étroit.

Le litige doit présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie. »

Le droit espagnol

24

La Ley Orgánica 6/1985 del Poder Judicial (loi organique 6/1985, relative au pouvoir judiciaire), du 1er juillet 1985 (BOE no 157, du 2 juillet 1985, p. 20632), telle que modifiée par la Ley Orgánica 7/2015 (loi organique 7/2015), du 21 juillet 2015 (BOE no 174, du 22 juillet 2015, p. 61593), dispose, à son article 22 quater, sous c) et d) :

« En l’absence des critères précédents, les juridictions espagnoles sont compétentes :

[...]

c)

en matière de relations personnelles et patrimoniales entre époux, annulation du mariage, séparation et divorce et leurs modifications, pour autant qu’aucune autre juridiction étrangère ne soit compétente, lorsque les deux époux ont leur résidence habituelle en Espagne à la date d’introduction de la demande, ou lorsqu’ils ont eu leur dernière résidence habituelle en Espagne et que l’un d’entre eux y réside [encore], ou lorsque l’Espagne est la résidence habituelle du défendeur, ou, en cas de demande conjointe, lorsque l’un des époux réside en Espagne, [...], ou lorsque le demandeur est espagnol et a sa résidence habituelle en Espagne depuis au moins six mois avant l’introduction de la demande, ainsi que lorsque les deux époux ont la nationalité espagnole ;

d)

en matière de filiation et de relations parent-enfant, de protection des mineurs et de responsabilité parentale, lorsque l’enfant ou l’enfant mineur a sa résidence habituelle en Espagne à la date d’introduction de la demande, ou lorsque le demandeur est espagnol ou réside habituellement en Espagne ou, en tout état de cause, depuis au moins six mois avant l’introduction de la demande. »

25

L’article 22 octies de cette loi, telle que modifiée, prévoit :

« 1.   Les juridictions espagnoles ne sont pas compétentes dans les cas où les fors de compétence prévus par les lois espagnoles ne prévoient pas cette compétence.

[...]

3.   [...] Les juridictions espagnoles ne peuvent s’abstenir ou décliner leur compétence lorsque le cas litigieux présente un lien avec l’Espagne et que les juridictions des différents États liés à l’affaire ont décliné leur compétence. [...] »

26

Le Código Civil (code civil) précise, à son article 40, que le domicile des diplomates résidant, en raison de leurs fonctions, dans un État autre que l’Espagne, et qui jouissent du droit d’extraterritorialité, est le dernier domicile qu’ils ont eu sur le territoire espagnol.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

27

MPA, la mère des enfants en cause au principal, et LCDNMT, le père de ceux-ci, se sont mariés à l’ambassade d’Espagne en Guinée-Bissau le 25 août 2010. Ils ont deux enfants, nés le 10 octobre 2007 et le 30 juillet 2012 en Espagne. La mère est de nationalité espagnole et le père est de nationalité portugaise. Quant à leurs enfants, ils possèdent la double nationalité espagnole et portugaise.

28

Les époux ont résidé en Guinée-Bissau du mois d’août 2010 au mois de février 2015 et ont ensuite déménagé au Togo. La séparation de fait a eu lieu au mois de juillet 2018. Depuis, la mère et les enfants continuent à résider au domicile conjugal au Togo et le père réside dans un hôtel dans cet État.

29

Les époux travaillent tous deux pour la Commission européenne et sont affectés à la délégation de l’Union au Togo. Leur catégorie professionnelle est celle d’agents contractuels.

30

Le 6 mars 2019, la mère a introduit, devant le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 2 de Manresa (tribunal de première instance et d’instruction no 2 de Manresa, Espagne), une demande de divorce, accompagnée de demandes portant sur la détermination du régime et des modalités d’exercice de la garde et des responsabilités parentales à l’égard des enfants mineurs du couple, sur la pension alimentaire pour ceux-ci ainsi que sur l’attribution de la jouissance du logement familial au Togo.

31

Le père a allégué que le Juzgado de Primera Instancia e Instrucción no 2 de Manresa (tribunal de première instance et d’instruction no 2 de Manresa) n’avait pas compétence internationale.

32

Par ordonnance du 9 septembre 2019, cette juridiction a constaté son incompétence internationale étant donné que les parties n’avaient pas, selon elle, leur résidence habituelle en Espagne.

33

La mère a interjeté appel devant la juridiction de renvoi. Elle affirme que les deux conjoints jouissent du statut diplomatique en tant qu’agents de l’Union accrédités dans l’État d’affectation et que ce statut est accordé par l’État hôte et étendu aux enfants mineurs. À cet égard, elle fait valoir qu’elle est protégée par l’immunité prévue à l’article 31 de la convention de Vienne et que ses demandes ne relèvent pas des exceptions visées audit article. La mère allègue que, en vertu des règlements nos 2201/2003 et 4/2009, la compétence pour connaître des questions de divorce, de responsabilité parentale et de pension alimentaire est déterminée en fonction de la résidence habituelle. Or, conformément à l’article 40 du code civil, sa résidence habituelle serait non pas le lieu où elle travaille en tant qu’agent contractuel de l’Union, mais son lieu de résidence avant d’acquérir ledit statut, à savoir l’Espagne.

34

La mère invoque également le forum necessitatis reconnu par le règlement no 4/2009 et expose la situation dans laquelle se trouvent les juridictions togolaises. Elle produit à cette fin des rapports établis par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Dans l’un de ces rapports seraient constatées l’absence de formation appropriée et continue des magistrats et la persistance d’un climat d’impunité concernant les violations des droits de l’homme. Dans un autre de ces rapports s’exprimerait la préoccupation des Nations unies concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’accès à la justice et l’impunité pour les violations des droits de l’homme.

35

Le père affirme, quant à lui, qu’aucun des deux conjoints n’exerce de fonction diplomatique pour leur État membre respectif, à savoir le Royaume d’Espagne et la République portugaise, mais qu’ils travaillent au sein de la délégation de l’Union au Togo en tant qu’agents contractuels. Il indique, à cet égard, que le laissez-passer dont ils disposent est non pas un passeport diplomatique, mais un sauf-conduit ou un titre de circulation sûr, valable uniquement sur le territoire d’États tiers. En outre, serait applicable non pas la convention de Vienne, mais le protocole sur les privilèges et immunités. Toutefois, ce dernier serait uniquement applicable aux actes accomplis par les fonctionnaires et les agents des institutions de l’Union en leur qualité officielle de tels fonctionnaires et agents, de sorte qu’il ne ferait, en l’espèce, pas obstacle à la compétence des juridictions togolaises et ne rendrait pas nécessaire l’application du forum necessitatis.

36

Selon la juridiction de renvoi, il n’existe pas de jurisprudence sur la notion de « résidence habituelle » des époux, aux fins de déterminer la compétence en matière de divorce, ni sur celle de « résidence habituelle » des enfants mineurs dans l’hypothèse en cause au principal, de sorte qu’elle doit déterminer l’incidence du statut diplomatique ou d’un statut analogue tel que celui des personnes qui exercent des fonctions en tant qu’agents ou fonctionnaires travaillant pour l’Union et qui sont détachées dans des États tiers pour l’exercice de ces fonctions. Dans le cadre de l’appréciation de la résidence habituelle des époux sollicitant le divorce, la juridiction de renvoi observe que les agents contractuels ont, dans leur État d’affectation, le statut d’agents diplomatiques de l’Union, mais que, dans les États membres, ils sont considérés uniquement comme des agents de l’Union. En outre, elle indique se trouver dans la nécessité de déterminer la durée, le caractère habituel et la stabilité du séjour des époux au Togo, et ne pouvoir faire abstraction du fait que leur présence physique dans cet État tiers aurait pour cause et origine l’exercice de fonctions pour le compte de l’Union.

37

C’est dans ces conditions que l’Audiencia Provincial de Barcelona (cour provinciale de Barcelone, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Comment convient-il d’interpréter la notion de “résidence habituelle”, visée à l’article 3 du règlement [no 2201/2003] et à l’article 3 du règlement [no 4/2009], dans le cas de ressortissants d’un État membre qui, en raison des fonctions qu’ils exercent en leur qualité d’agents contractuels de l’Union, séjournent dans un État tiers dans lequel ils bénéficient du statut d’agents diplomatiques de l’Union lorsque leur séjour dans cet État est lié à l’exercice de leurs fonctions au service de l’Union ?

2)

Dans l’hypothèse où, aux fins de l’article 3 du règlement no 2201/2003 et de l’article 3 du règlement no 4/2009, la détermination de la résidence habituelle des époux dépendrait de leur statut en tant qu’agents contractuels de l’Union dans un État tiers, quelle incidence cela aurait-il sur la détermination de la résidence habituelle des enfants mineurs au sens de l’article 8 du règlement no 2201/2003 ?

3)

Dans l’hypothèse où il serait considéré que les enfants n’ont pas leur résidence habituelle dans l’État tiers, est-il possible de prendre en considération, aux fins de la détermination de la résidence habituelle conformément à l’article 8 du règlement no 2201/2003, le lien constitué par la nationalité de la mère, sa résidence en Espagne avant la célébration du mariage, la nationalité espagnole des enfants mineurs et le fait que ces derniers soient nés en Espagne ?

4)

Dans l’hypothèse où il serait établi que la résidence habituelle des parents et des enfants mineurs ne se trouve pas dans un État membre et eu égard au fait que, en vertu du règlement no 2201/2003, il n’existe pas d’autre État membre compétent pour statuer sur les demandes, le fait que le défendeur soit ressortissant d’un État membre s’oppose-t-il à l’application de la clause résiduelle prévue aux articles 7 et 14 du règlement no 2201/2003 ?

5)

Dans l’hypothèse où il serait établi que la résidence habituelle des parents et des enfants mineurs ne se trouve pas dans un État membre, comment convient–il d’interpréter le forum necessitatis visé à l’article 7 du règlement no 4/2009 aux fins de la détermination de la pension alimentaire pour les enfants ? En particulier, quelles sont les conditions nécessaires pour considérer qu’une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel le litige a un lien étroit (en l’occurrence, le Togo) ? La partie est-elle tenue de démontrer qu’elle a vainement présenté ou tenté de présenter la procédure dans cet État ? La nationalité de l’une des parties au litige constitue-t-elle un lien suffisant avec l’État membre [de la juridiction saisie] ?

6)

Dans un cas tel que celui de l’espèce, dans lequel les époux ont des liens forts avec des États membres (nationalité, résidence antérieure), serait-il contraire à l’article 47 de la [Charte] que l’application des règlements ne désigne aucun État membre compétent ? »

La procédure devant la Cour

38

La juridiction de renvoi a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence, prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

39

Le 19 octobre 2020, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de réserver une suite favorable à cette demande, les conditions prévues à l’article 107, paragraphe 2, du règlement de procédure n’étant pas réunies.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

40

Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003 et l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 doivent être interprétés en ce sens que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle, au sens de ces dispositions, est susceptible de constituer un élément déterminant la qualité d’agents contractuels de l’Union des époux concernés, affectés dans une délégation de cette dernière auprès d’un État tiers et dont il est allégué qu’ils jouissent du statut diplomatique dans cet État tiers.

41

S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation de l’article 3 du règlement no 2201/2003, il importe de rappeler que cette disposition établit les critères généraux de compétence en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation de mariage. Ces critères objectifs, alternatifs et exclusifs répondent à la nécessité d’une réglementation adaptée aux besoins spécifiques des conflits en matière de dissolution du lien matrimonial [voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 32 et jurisprudence citée].

42

La notion de « résidence habituelle » figure dans les six chefs de compétence prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003. Ainsi, cette disposition attribue, de manière non hiérarchisée, la compétence pour statuer sur les questions relatives à la dissolution du lien matrimonial aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve, selon le cas, la résidence actuelle ou ancienne des époux ou de l’un d’entre eux.

43

À cet égard, le règlement no 2201/2003 ne comporte aucune définition de la notion de « résidence habituelle », en particulier de la résidence habituelle d’un époux, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de ce règlement. En l’absence d’une telle définition ou d’un renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de cette notion, il importe d’en rechercher une interprétation autonome et uniforme, en tenant compte du contexte des dispositions mentionnant celle-ci et des objectifs dudit règlement [voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, points 38 et 39].

44

La Cour a déjà jugé que, aux fins de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003, il y a lieu de considérer que la notion de « résidence habituelle » est caractérisée, en principe, par deux éléments, à savoir, d’une part, la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, une présence qui revêt un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné [arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 57], un époux ne pouvant avoir, à un moment donné, qu’une seule résidence habituelle, au sens de ladite disposition [voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 51].

45

S’agissant, en second lieu, de l’interprétation de l’article 3 du règlement no 4/2009, il ressort du libellé de cet article, intitulé « Dispositions générales », que celui-ci pose des critères généraux d’attribution de compétence pour les juridictions des États membres statuant en matière d’obligations alimentaires. Ces critères sont alternatifs, ainsi qu’en atteste l’emploi de la conjonction de coordination « ou », après l’exposé de chacun d’entre eux [arrêt du 5 septembre 2019, R (Compétence responsabilité parentale et obligation alimentaire), C‑468/18, EU:C:2019:666, point 29 ainsi que jurisprudence citée].

46

L’article 3 du règlement no 4/2009 offre ainsi la possibilité d’introduire une demande relative à une obligation alimentaire sur le fondement de divers chefs de compétence, notamment, soit devant la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, conformément au point a) de cet article 3, soit devant la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, conformément au point b) dudit article [voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Landkreis Harburg (Subrogation d’un organisme public au créancier d’aliments), C‑540/19, EU:C:2020:732, point 30 et jurisprudence citée].

47

Le règlement no 4/2009 ne fournissant aucune définition de la notion de « résidence habituelle », au sens de son article 3, sous a) et b), il importe d’en rechercher une interprétation autonome et uniforme, conformément aux principes rappelés au point 43 du présent arrêt.

48

À cet égard, il importe de rappeler, d’une part, que les règles de compétence prévues par le règlement no 4/2009 visent non seulement à garantir une proximité entre le créancier d’aliments, considéré comme étant généralement la partie la plus faible, et la juridiction compétente mais aussi à assurer une bonne administration de la justice, tant du point de vue d’une optimisation de l’organisation juridictionnelle qu’au regard de l’intérêt des parties, qu’il s’agisse du demandeur ou du défendeur, de bénéficier, notamment, d’un accès facilité à la justice et d’une prévisibilité des règles de compétence [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, FX (Opposition à exécution d’une créance d’aliments), C‑41/19, EU:C:2020:425, point 40 et jurisprudence citée].

49

D’autre part, ainsi qu’il découle notamment du considérant 8 du règlement no 4/2009 et comme la Cour l’a déjà relevé, ce règlement nourrit des rapports étroits avec les stipulations du protocole de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires [arrêt du 5 septembre 2019, R (Compétence responsabilité parentale et obligation alimentaire), C‑468/18, EU:C:2019:666, point 46 ainsi que jurisprudence citée]. Or, en vertu de l’article 3 de ce protocole, c’est, en principe, la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments qui régit les obligations alimentaires, une telle résidence impliquant un degré suffisant de stabilité, à l’exclusion d’une présence temporaire ou occasionnelle [voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, W. J. (Changement de résidence habituelle du créancier d’aliments), C‑644/20, EU:C:2022:371, point 63].

50

Cette disposition reflète le système de règles de rattachement sur lequel repose ledit protocole, un tel système visant à garantir la prévisibilité de la loi applicable, en assurant que la loi désignée n’est pas dépourvue d’un lien suffisant avec la situation familiale en cause, étant entendu que la loi de la résidence habituelle du créancier d’aliments apparaît comme étant, en principe, celle qui présente le lien le plus étroit avec sa situation et comme étant la mieux à même de régir les problèmes concrets que ce créancier est susceptible de rencontrer [arrêt du 12 mai 2022, W. J. (Changement de résidence habituelle du créancier d’aliments), C‑644/20, EU:C:2022:371, point 64 et jurisprudence citée].

51

Ce rattachement présente l’avantage principal de déterminer l’existence et le montant de l’obligation alimentaire en tenant compte des conditions juridiques et de fait de l’environnement social de l’État où le créancier vit et exerce l’essentiel de ses activités. En effet, dans la mesure où c’est pour vivre que le créancier utilisera sa pension alimentaire, il convient d’apprécier le problème concret qui se pose par rapport à une société déterminée, à savoir celle où le créancier d’aliments vit et vivra [voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, W. J. (Changement de résidence habituelle du créancier d’aliments), C‑644/20, EU:C:2022:371, point 65].

52

Il est, dès lors, justifié de considérer que, eu égard à cet objectif, la résidence habituelle du créancier d’aliments soit celle du lieu où se situe, dans les faits, le centre habituel de la vie de ce dernier, en tenant compte de son environnement familial et social, en particulier lorsqu’il s’agit d’un enfant mineur [voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, W. J. (Changement de résidence habituelle du créancier d’aliments), C‑644/20, EU:C:2022:371, point 66].

53

Compte tenu de ces considérations et eu égard au fait que l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 et l’article 3 du protocole de La Haye reposent sur un facteur de rattachement commun, à savoir la résidence habituelle de l’intéressé, et entretiennent des rapports étroits, il est justifié que la définition de ce facteur soit guidée par les mêmes principes et caractérisée par les mêmes éléments dans les deux instruments. C’est ainsi que, quand bien même l’appréciation concrète de la résidence habituelle du demandeur d’aliments, du créancier ou, le cas échéant, du débiteur, dépend de circonstances propres à chaque cas d’espèce, susceptibles de varier, notamment, en fonction de l’âge et de l’environnement de l’intéressé, il est cohérent que la notion de « résidence habituelle », au sens de l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009, se caractérise, d’une part, par la volonté de la personne concernée de fixer le centre habituel de sa vie dans un lieu déterminé et, d’autre part, par une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné.

54

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les époux en cause au principal se sont mariés à l’ambassade d’Espagne en Guinée-Bissau au mois d’août 2010 et qu’ils ont résidé dans cet État du mois d’août 2010 au mois de février 2015, date à partir de laquelle ils ont déménagé au Togo, État dans lequel, malgré leur séparation de fait depuis le mois de juillet 2018, ils résident toujours, ainsi que leurs deux enfants.

55

En revanche, il ne ressort aucunement des éléments communiqués par la juridiction de renvoi que le père des enfants en cause au principal, qui a la nationalité portugaise, aurait résidé habituellement dans l’État membre dont relève cette juridiction, à savoir le Royaume d’Espagne, seul ou de manière conjointe avec la mère de leurs enfants communs. Cette dernière, de nationalité espagnole et qui a introduit la demande de dissolution du lien matrimonial devant les juridictions de cet État membre, allègue, quant à elle, avoir conservé sa propre résidence habituelle sur le territoire dudit État membre, nonobstant la circonstance qu’elle travaille en tant qu’agent contractuel de l’Union sur le territoire d’États tiers depuis, à tout le moins, le mois d’août 2010, et plus précisément au Togo depuis le mois de février 2015, et qu’elle vit dans cet État tiers avec ses enfants depuis lors.

56

Or, eu égard à ces circonstances et aux deux éléments qui caractérisent la notion de « résidence habituelle », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003, tels que ces éléments ont été rappelés au point 44 du présent arrêt, il apparaît que les époux en cause au principal, sous réserve de plus amples vérifications de la part de la juridiction de renvoi sur la base de l’ensemble des circonstances de fait propres au cas d’espèce [voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 52], ne résident pas habituellement sur le territoire de l’État membre dont relève la juridiction saisie de la demande de dissolution du lien matrimonial.

57

En effet, premièrement, exception faite, le cas échéant, des périodes de congés ou lors de la naissance des enfants, qui correspondent, en règle générale, à des interruptions occasionnelles et temporaires du cours normal de leur vie (voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 51), les époux en cause au principal sont physiquement absents, de manière permanente, du territoire du Royaume d’Espagne, depuis, tout au moins, le mois d’août 2010. Il est constant que, à la suite de la séparation de ces époux, l’épouse en cause au principal n’a pas déménagé sur le territoire de l’État membre dont relève la juridiction saisie de la demande de dissolution du lien matrimonial. En particulier, aucun élément du dossier ne permet de constater que cette épouse aurait résidé sur le territoire dudit État membre, dont elle est une ressortissante, dans les six mois précédant immédiatement sa demande de dissolution du lien matrimonial, ainsi que le prévoit l’article 3, paragraphe 1, sous a), sixième tiret, du règlement no 2201/2003.

58

Dans ces conditions, il n’apparaît pas que l’exigence, rappelée au point 44 du présent arrêt, relative à une présence suffisamment stable sur le territoire de l’État membre dont relève la juridiction de renvoi puisse être satisfaite en l’occurrence. Quant à la circonstance que le séjour des époux en cause au principal au Togo, en tant qu’agents contractuels à durée indéterminée de l’Union affectés à la délégation de cette dernière dans cet État tiers, conformément aux dispositions de l’article 85, paragraphe 1, du RAA qui s’appliquent aux agents contractuels visés à l’article 3 bis du RAA, non soumis à rotation au siège à Bruxelles, a de la sorte un lien direct avec l’exercice de leurs fonctions, il y a lieu de préciser que celle-ci n’est, en soi, de nature ni à empêcher que ce séjour présente un tel degré de stabilité (voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, points 12 et 47) ni à permettre de considérer que l’absence physique des intéressés du territoire de l’État membre dont relève la juridiction saisie de la demande de dissolution du lien matrimonial serait, en l’occurrence, purement temporaire ou occasionnelle.

59

Deuxièmement, aucun élément du dossier ne laisse entrevoir que les époux en cause au principal, ou tout au moins l’épouse, auraient décidé, malgré leur éloignement physique constant du territoire du Royaume d’Espagne depuis plusieurs années, de fixer le centre permanent ou habituel de leurs intérêts dans cet État membre. Quand bien même l’un de ces époux aurait manifesté l’intention de s’installer, à l’avenir, en Espagne, toujours est-il que, comme cela a été précisé au point 57 du présent arrêt, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en dépit de leur séparation de fait depuis le mois de juillet 2018, aucun des époux en cause au principal n’a quitté le Togo. D’ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 50 de ses conclusions, les postes dans les délégations de l’Union, telles que celle au Togo, étant sollicités volontairement par les fonctionnaires et les agents qui le souhaitent, il apparaît douteux que ces époux aient effectivement eu l’intention, après leur séparation de fait, de quitter le Togo pour transférer leur résidence habituelle sur le territoire du Royaume d’Espagne.

60

Une appréciation en substance analogue apparaît s’imposer, en l’occurrence, à propos de la résidence habituelle du défendeur ou du créancier d’aliments, au sens, respectivement, de l’article 3, sous a), et de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, dans la mesure où, sous réserve de plus amples vérifications par la juridiction de renvoi, rien ne paraît de nature à indiquer que les intéressés ont transféré leur résidence habituelle sur le territoire du Royaume d’Espagne.

61

Ces considérations ne sont pas remises en cause par l’argument du gouvernement espagnol, d’ailleurs uniquement développé à propos de l’interprétation du règlement no 2201/2003, selon lequel les époux en cause au principal, en raison de leur qualité d’agents contractuels affectés au sein de la délégation de l’Union au Togo, jouiraient du statut diplomatique dans cet État tiers et bénéficieraient donc, en vertu de l’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne, de l’immunité devant les juridictions civiles dans l’État accréditaire, ce qui, selon ce gouvernement, devrait conduire à reconnaître, en application de l’article 40 du code civil, la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel ces agents ne bénéficient pas dudit statut diplomatique, à savoir, en l’occurrence, le Royaume d’Espagne.

62

En effet, même si cette assertion est exacte, elle n’a cependant pas d’influence sur l’interprétation de la notion de « résidence habituelle », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003 et de l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009, puisque, en vertu de ces dispositions, la juridiction saisie ne peut reconnaître sa compétence que si les époux, conjointement ou séparément, et/ou leurs enfants, ces derniers en tant que créanciers d’aliments aux fins de l’application de l’article 3, sous b), du règlement no 4/2009, possèdent une résidence habituelle sur le territoire de l’État membre dont relève cette juridiction, une telle résidence habituelle répondant aux critères mentionnés aux points 44 et 53 du présent arrêt.

63

Or, le fait qu’une telle résidence habituelle dans l’État membre dont relève la juridiction saisie fasse défaut suffit à constater l’absence de compétence de cette juridiction, au titre de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003 et de l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009, indépendamment de la question de savoir si les époux en cause au principal et leurs enfants bénéficient, au Togo, d’une éventuelle immunité devant les juridictions civiles de cet État tiers.

64

Aucun argument en sens contraire ne saurait être tiré du considérant 14 du règlement no 2201/2003, également invoqué par le gouvernement espagnol, dont il résulte que, lorsque la juridiction compétente sur la base de ce règlement ne peut pas exercer sa compétence en raison de l’existence d’une immunité diplomatique conforme au droit international, la compétence doit être déterminée dans l’État membre dans lequel la personne concernée ne bénéficie d’aucune immunité, conformément à la loi de cet État membre.

65

En effet, comme la Commission l’a fait valoir à juste titre, ce considérant vise la situation dans laquelle la juridiction d’un État membre, bien que compétente sur la base des dispositions du règlement no 2201/2003, n’est pas en mesure d’exercer cette compétence en raison de l’existence d’une immunité diplomatique. Or, il est constant que, dans le litige au principal, ni les époux ni leurs enfants ne bénéficient de l’immunité diplomatique dans aucun État membre. En particulier, il résulte de l’article 11, sous a), du protocole sur les privilèges et immunités que les fonctionnaires et les autres agents de l’Union ne jouissent de l’immunité de juridiction sur le territoire des États membres que pour les actes qu’ils ont accomplis « en leur qualité officielle », c’est–à–dire dans le cadre de la mission confiée à l’Union (arrêt du 30 novembre 2021, LR Ģenerālprokuratūra, C‑3/20, EU:C:2021:969, point 56 et jurisprudence citée). Il s’ensuit, ainsi que le confirme l’article 23 du statut, qu’une telle immunité de juridiction ne couvre pas des actions en justice dont l’objet concerne des rapports d’ordre privé, telles que des demandes entre époux en matière matrimoniale, de responsabilité parentale ou d’obligations alimentaires à l’égard de leurs enfants, qui, par nature, ne portent pas sur la participation du bénéficiaire de l’immunité à l’exercice des tâches de l’institution de l’Union dont il relève (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 1968, Sayag et Zurich, 5/68, EU:C:1968:42, p. 585).

66

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003 et l’article 3, sous a) et b), du règlement no 4/2009 doivent être interprétés en ce sens que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle, au sens de ces dispositions, n’est pas susceptible de constituer un élément déterminant la qualité d’agents contractuels de l’Union des époux concernés, affectés dans une délégation de cette dernière auprès d’un État tiers et dont il est allégué qu’ils jouissent du statut diplomatique dans cet État tiers.

Sur la deuxième question

67

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi se demande, dans l’hypothèse où la détermination de la résidence habituelle des époux dépendrait de leur qualité d’agents contractuels de l’Union affectés dans une délégation de cette dernière auprès d’un État tiers, quelle serait l’incidence de cette situation sur la détermination de la résidence habituelle des enfants mineurs, au sens de l’article 8 du règlement no 2201/2003.

68

Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur la troisième question

69

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle d’un enfant, il y a lieu de prendre en considération le lien constitué par la nationalité de la mère ainsi que par la résidence de celle-ci, avant la célébration du mariage, dans l’État membre dont relève la juridiction saisie d’une demande en matière de responsabilité parentale, ou encore la circonstance selon laquelle les enfants mineurs sont nés dans cet État membre et en possèdent la nationalité.

70

Selon l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, la compétence de la juridiction d’un État membre en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant est déterminée sur la base du critère de la résidence habituelle de cet enfant au moment où cette juridiction est saisie.

71

À cet égard, la Cour a itérativement jugé que la résidence habituelle de l’enfant constitue une notion autonome de droit de l’Union, qui doit être interprétée au regard du contexte des dispositions mentionnant celle-ci et des objectifs du règlement no 2201/2003, notamment de l’objectif qui ressort du considérant 12 de celui-ci, selon lequel les règles de compétence que ce règlement établit sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, du critère de proximité (arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 40 et jurisprudence citée).

72

Conformément à la jurisprudence de la Cour, la résidence habituelle de l’enfant doit être établie sur la base d’un ensemble de circonstances de fait propres à chaque cas d’espèce. Outre la présence physique de l’enfant sur le territoire d’un État membre, doivent être retenus d’autres facteurs susceptibles de faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel et qu’elle traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial (arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 41 et jurisprudence citée), ce qui correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie (arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 42).

73

Figurent parmi ces facteurs la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de l’enfant sur le territoire de l’État membre concerné ainsi que la nationalité de cet enfant, les facteurs pertinents variant en fonction de l’âge de l’enfant concerné (arrêt du 8 juin 2017, OL, C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 44 et jurisprudence citée). Comptent également le lieu et les conditions de scolarisation de l’enfant ainsi que les rapports familiaux et sociaux que celui-ci entretient dans l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 43).

74

S’agissant de l’intention des parents de s’établir avec l’enfant dans un lieu donné, la Cour a reconnu qu’elle peut également être prise en considération lorsque cette intention est exprimée par certaines mesures tangibles, telles que l’acquisition ou la location d’un logement dans l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 46 et jurisprudence citée).

75

Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 72 de ses conclusions, la détermination de la résidence habituelle d’un enfant dans un État membre donné, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, exige, à tout le moins, que l’enfant concerné ait été physiquement présent dans cet État membre et que les facteurs supplémentaires pouvant être pris en compte fassent apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel et qu’elle traduit une certaine intégration de cet enfant dans un environnement social et familial.

76

Par conséquent, dans l’affaire au principal, aux fins de déterminer la résidence habituelle des enfants mineurs, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003, le lien constitué par la nationalité de la mère de ceux-ci ainsi que sa résidence en Espagne avant la célébration du mariage et la naissance des enfants, qui ne présentent pas de pertinence à ces fins, ne sauraient être pris en considération.

77

En revanche, la nationalité espagnole des enfants mineurs en cause au principal et le fait que ces derniers soient nés en Espagne sont susceptibles de constituer des facteurs pertinents, sans pour autant être déterminants. En effet, le fait qu’un enfant soit originaire d’un État membre et qu’il partage la culture de cet État avec l’un de ses parents n’est pas déterminant aux fins d’identifier le lieu de la résidence habituelle de cet enfant (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, HR, C‑512/17, EU:C:2018:513, point 52). Ce constat s’impose à plus forte raison lorsque, comme dans l’affaire au principal, aucun élément ne met en évidence que les enfants concernés auraient été physiquement présents, de manière non occasionnelle, sur le territoire de l’État membre dont relève la juridiction saisie, et y bénéficieraient, compte tenu de leur âge, d’une certaine intégration, notamment, dans un environnement scolaire, social et familial.

78

Il convient donc de répondre à la troisième question que l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle d’un enfant, le lien constitué par la nationalité de la mère ainsi que par la résidence de celle-ci, avant la célébration du mariage, dans l’État membre dont relève la juridiction saisie d’une demande en matière de responsabilité parentale n’est pas pertinent, tandis qu’est insuffisante la circonstance selon laquelle les enfants mineurs sont nés dans cet État membre et en possèdent la nationalité.

Sur la quatrième question

79

Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si, dans le cas où aucune juridiction d’un État membre n’est compétente pour statuer, respectivement, sur une demande de dissolution du lien matrimonial en vertu des articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003, et sur celle en matière de responsabilité parentale en vertu des articles 8 à 13 de ce règlement, les articles 7 et 14 dudit règlement doivent être interprétés en ce sens que le fait que le défendeur au principal soit ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève la juridiction saisie empêche l’application des clauses relatives à la compétence résiduelle prévues à ces articles 7 et 14 pour fonder la compétence de cette juridiction.

80

Il importe d’emblée d’observer que, tandis que l’article 7 du règlement no 2201/2003, intitulé « Compétences résiduelles », relève de la section 1 du chapitre II de ce règlement, intitulée « Divorce, séparation de corps et annulation du mariage », l’article 14 dudit règlement, également intitulé « Compétences résiduelles », figure parmi les dispositions de la section 2 du même chapitre, qui sont relatives à la « Responsabilité parentale ». Il en résulte que, dans la mesure où les articles 7 et 14 du règlement no 2201/2003 concernent respectivement la compétence résiduelle relative à la dissolution du lien matrimonial et celle en matière de responsabilité parentale des enfants, il convient d’examiner successivement ces deux régimes de compétence.

81

S’agissant, en premier lieu, de la compétence résiduelle relative à la dissolution du lien matrimonial, il ressort du libellé de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 que ce n’est que lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 5 de ce règlement que la compétence est réglée, dans chaque État membre, par le droit national.

82

Si, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 81 de ses conclusions, cette disposition, prise isolément, semble permettre aux époux n’ayant pas leur résidence habituelle dans un État membre et ayant des nationalités différentes de disposer d’un for subsidiaire sur la base des règles nationales de compétence, le champ d’application de cette disposition doit toutefois être interprété en tenant compte de l’article 6 du règlement no 2201/2003.

83

Or, l’article 6 de ce règlement, intitulé « Caractère exclusif des compétences définies aux articles 3, 4 et 5 », dispose qu’« un époux qui [...] a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État membre, ou [...] est ressortissant d’un État membre [...] ne peut être attrait devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des articles 3, 4 et 5 ».

84

Ainsi, selon cet article 6, un défendeur ayant sa résidence habituelle dans un État membre ou étant ressortissant d’un État membre ne peut être attrait, eu égard au caractère exclusif des compétences définies aux articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003, devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu de ces dispositions et, partant, à l’exclusion des règles de compétence fixées par le droit national (arrêt du 29 novembre 2007, Sundelind Lopez, C‑68/07, EU:C:2007:740, point 22).

85

Il en résulte que, lorsqu’une juridiction d’un État membre n’est pas compétente pour statuer sur une demande de dissolution du lien matrimonial sur le fondement des articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003, l’article 6 de ce règlement empêche cette juridiction de constater sa compétence en vertu des règles de compétence résiduelle prévues par le droit national, conformément à l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement, lorsque le défendeur est un ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève ladite juridiction.

86

En l’occurrence, l’époux, qui est défendeur à l’action en dissolution du lien matrimonial devant les juridictions espagnoles, est de nationalité portugaise, de sorte que, eu égard aux informations communiquées par la juridiction de renvoi et sous réserve de plus amples vérifications par cette dernière, les époux en cause au principal ne résident pas habituellement sur le territoire d’un État membre, notamment de l’État membre dont relève cette juridiction. Par conséquent, si la juridiction de renvoi ne peut constater sa compétence pour statuer sur une telle action en vertu des articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003, l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement ne l’autorise pas à fonder sa compétence en vertu de règles de compétence résiduelle prévues par le droit national, dans la mesure où l’article 6, sous b), dudit règlement empêcherait que le défendeur au principal, qui est un ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève cette juridiction, soit attrait devant cette dernière.

87

Il importe d’ajouter que, comme la Commission l’a indiqué dans ses observations écrites, cette interprétation ne signifie pas que l’époux, qui sollicite la dissolution du lien matrimonial, soit privé de la possibilité d’introduire sa demande devant les juridictions de l’État membre dont le défendeur est un ressortissant, si les articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003 ne désignent pas un autre for. En effet, dans un tel cas, l’article 6, sous b), de ce règlement ne fait pas obstacle à ce que les juridictions de l’État membre dont le défendeur est un ressortissant soient compétentes pour connaître de la demande de dissolution du lien matrimonial, en application des règles nationales de compétence de cet État membre.

88

En second lieu, quant à la compétence résiduelle en matière de responsabilité parentale, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 14 du règlement no 2201/2003, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13 de ce règlement, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État.

89

À cet égard, il convient de relever que le fait qu’un litige porté devant une juridiction d’un État membre ne soit pas susceptible de relever du champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 à défaut de résidence habituelle de l’enfant dans ledit État membre ne fait pas nécessairement obstacle à ce que cette juridiction soit compétente pour connaître de ce litige à un autre titre.

90

En l’occurrence, dans le cas où l’interprétation exposée aux points 70 à 78 du présent arrêt, selon laquelle, en substance, une présence physique de l’enfant dans un État membre est une condition préalable pour y établir sa résidence habituelle, a pour conséquence qu’il n’est pas possible de désigner comme compétente une juridiction d’un État membre en vertu des dispositions du règlement no 2201/2003 relatives à la responsabilité parentale, il n’en reste pas moins qu’il demeure loisible à chaque État membre, conformément à l’article 14 de ce règlement, de fonder la compétence de ses propres juridictions en vertu de règles de droit interne s’écartant du critère de la proximité sur lequel se fondent les dispositions dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2018, UD, C‑393/18 PPU, EU:C:2018:835, point 57).

91

Par conséquent, l’article 14 du règlement no 2201/2003 ne fait pas obstacle à ce que, pour établir sa propre compétence, la juridiction saisie applique les règles de droit interne, y compris, le cas échéant, celle fondée sur la nationalité de l’enfant concerné, quand bien même le père de celui-ci, défendeur, serait un ressortissant d’un État membre autre que celui dont cette juridiction relève.

92

Compte tenu de ces considérations, dans une situation telle que celle en cause au principal, il n’est pas exclu, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 95 de ses conclusions, que la compétence internationale en matière de dissolution du lien matrimonial, d’une part, et celle en matière de responsabilité parentale, d’autre part, appartiennent à des juridictions d’États membres différents. Ce constat pourrait conduire à se demander si l’intérêt supérieur de l’enfant, dont le respect doit, conformément aux considérants 12 et 33 du règlement no 2201/2003, tout particulièrement être assuré par les règles de compétence en matière de responsabilité parentale, ne serait pas susceptible d’être compromis par ce morcellement.

93

À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi que le considérant 5 du règlement no 2201/2003 l’indique, en vue de garantir l’égalité des enfants, ce règlement couvre toutes les décisions en matière de responsabilité parentale, y compris les mesures de protection de l’enfant, indépendamment de tout lien avec une procédure matrimoniale.

94

Or, bien que, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 96 de ses conclusions, le règlement no 2201/2003 permette, notamment à son article 12, paragraphe 3, aux époux d’éviter un morcellement de fors tel que celui visé au point 92 du présent arrêt en acceptant la compétence, aux fins d’une demande en matière de responsabilité parentale, de la juridiction compétente en matière de divorce, lorsque cette compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’en demeure pas moins qu’un tel morcellement, dont la survenance éventuelle est inhérente au système de ce règlement, n’est pas nécessairement incompatible avec ledit intérêt. En effet, le parent concerné peut, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, souhaiter introduire une telle demande devant d’autres juridictions, dont celles de l’État membre dont il est ressortissant, ce dernier choix pouvant être motivé, en particulier, par la facilité de s’exprimer dans sa langue maternelle et les coûts éventuellement moindres de la procédure [voir, par analogie, arrêt du 5 septembre 2019, R (Compétence responsabilité parentale et obligation alimentaire), C‑468/18, EU:C:2019:666, points 50 et 51].

95

Il convient d’ajouter que, conformément à l’article 12, paragraphe 4, du règlement no 2201/2003, lorsque l’enfant a sa résidence habituelle sur le territoire d’un État tiers, qui n’est pas partie contractante à la convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, conclue à La Haye le 19 octobre 1996, la compétence fondée, en particulier, sur le paragraphe 3 de cet article est présumée être dans l’intérêt de l’enfant, notamment lorsqu’une procédure s’avère impossible dans l’État tiers concerné.

96

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question :

Dans le cas où aucune juridiction d’un État membre n’est compétente pour statuer sur une demande de dissolution du lien matrimonial en vertu des articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003, l’article 7 de ce règlement, lu conjointement avec l’article 6 de celui-ci, doit être interprété en ce sens que le fait que le défendeur au principal soit ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève la juridiction saisie empêche l’application de la clause relative à la compétence résiduelle prévue à cet article 7 pour fonder la compétence de cette juridiction, sans toutefois faire obstacle à ce que les juridictions de l’État membre dont il est ressortissant soient compétentes pour connaître d’une telle demande en application des règles nationales de compétence de ce dernier État membre.

Dans le cas où aucune juridiction d’un État membre n’est compétente pour statuer sur une demande en matière de responsabilité parentale en vertu des articles 8 à 13 du règlement no 2201/2003, l’article 14 de ce règlement doit être interprété en ce sens que le fait que le défendeur au principal soit ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève la juridiction saisie ne fait pas obstacle à l’application de la clause relative à la compétence résiduelle prévue à cet article 14.

Sur la cinquième question

97

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, dans le cas où la résidence habituelle de l’ensemble des parties au litige en matière d’obligations alimentaires ne se trouve pas dans un État membre, dans quelles conditions la compétence fondée, dans des cas exceptionnels, sur le forum necessitatis, visé à l’article 7 du règlement no 4/2009, pourrait être constatée. En particulier, la juridiction de renvoi se demande, d’une part, quelles sont les conditions nécessaires pour considérer qu’une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel le litige a un lien étroit et si la partie qui se prévaut de cet article 7 est tenue de démontrer avoir vainement introduit, ou tenté d’introduire, cette procédure devant les juridictions de cet État tiers et, d’autre part, si, pour considérer qu’un litige doit présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie, il est possible de se fonder sur la nationalité de l’une des parties.

98

Selon l’article 7, premier alinéa, du règlement no 4/2009, lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 6 de ce règlement, les juridictions d’un État membre peuvent, dans des cas exceptionnels, connaître du litige si une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite, ou se révèle impossible dans un État tiers avec lequel le litige a un lien étroit. En vertu du second alinéa de cet article, le litige doit présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie.

99

L’article 7 du règlement no 4/2009 pose ainsi quatre conditions cumulatives à satisfaire pour qu’une juridiction d’un État membre, saisie d’une demande en matière d’obligations alimentaires, puisse exceptionnellement constater sa compétence en vertu de l’état de nécessité (forum necessitatis). Premièrement, cette juridiction doit constater qu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 6 du règlement no 4/2009. Deuxièmement, le litige dont elle est saisie doit avoir un lien étroit avec un État tiers. Troisièmement, la procédure en cause ne peut raisonnablement être introduite ou conduite dans cet État tiers ou s’y révèle impossible. Enfin, quatrièmement, le litige doit aussi présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie.

100

S’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que l’ensemble de ces conditions sont satisfaites afin que, le cas échéant, elle puisse se prévaloir de la compétence accordée par les dispositions de l’article 7 du règlement no 4/2009, il convient, pour chacune de ces conditions, et eu égard aux éléments fournis par cette juridiction, d’apporter les précisions suivantes.

101

En premier lieu, quant à la satisfaction de la première condition mentionnée au point 99 du présent arrêt, il importe d’observer qu’il ne suffit pas que la juridiction saisie constate que sa propre compétence, en vertu des articles 3 à 6 du règlement no 4/2009, fasse défaut, mais il convient également qu’elle s’assure, lorsque, notamment, plusieurs juridictions sont saisies, qu’aucune juridiction d’un État membre ne soit compétente en vertu de ces articles. La circonstance, mentionnée par la juridiction de renvoi comme prémisse de la cinquième question, que le défendeur ou le ou les créanciers résident habituellement dans un État tiers, c’est-à-dire qu’ils ne satisfont pas aux critères énoncés à l’article 3, sous a) et b) respectivement, du règlement no 4/2009, n’est donc pas suffisante afin de constater qu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 6 de ce règlement, au sens de l’article 7 de celui-ci. Par conséquent, il incombe encore à la juridiction de renvoi de vérifier qu’elle et les juridictions des autres États membres sont incompétentes pour statuer sur cette demande en vertu des chefs de compétence énumérés à l’article 3, sous c) ou d), ou aux articles 4 à 6 dudit règlement.

102

Premièrement, s’agissant de l’article 3, sous c) et d), du règlement no 4/2009, cette disposition attribue la compétence soit à la juridiction compétente selon la loi du for pour connaître d’une action principale relative à l’état des personnes dont la demande d’aliments est l’accessoire, soit à la juridiction compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale dont la demande d’aliments est l’accessoire, sauf si ces compétences sont fondées uniquement sur la nationalité de l’une des parties.

103

En l’occurrence, si, comme cela résulte des points 86 à 92 du présent arrêt, la juridiction de renvoi n’était pas compétente pour statuer sur la demande de dissolution du lien matrimonial, mais pourrait l’être, en vertu de la clause de compétence résiduelle prévue à l’article 14 du règlement no 2201/2003, pour statuer sur la demande relative à la responsabilité parentale sur la base de dispositions de droit national fondées sur la nationalité de la requérante au principal, la juridiction de renvoi devrait déterminer si, en raison de cette circonstance et eu égard à l’article 3, sous d), du règlement no 4/2009, elle serait incompétente pour connaître de la demande de créance alimentaire en faveur des enfants.

104

Deuxièmement, quant aux chefs de compétence énoncés aux articles 4 et 5 du règlement no 4/2009, si aucun élément du dossier dont la Cour dispose ne laisse apparaître qu’ils seraient applicables dans l’affaire au principal, il importe notamment de préciser que, d’une part, l’élection de for prévue à l’article 4 de ce règlement est, en vertu du paragraphe 3 de cet article, de toute manière exclue pour les litiges portant sur une obligation alimentaire à l’égard d’un enfant de moins de dix-huit ans et, d’autre part, quant à la compétence fondée sur l’article 5 dudit règlement, il ne résulte pas de ce dossier que le défendeur au principal aurait comparu de manière volontaire pour une raison autre que celle de contester la compétence de la juridiction d’un État membre saisie. En revanche, il n’apparaît pas exclu que les juridictions de la République portugaise puissent, le cas échéant, fonder leur compétence sur l’article 6 du même règlement, au vu de la nationalité portugaise commune du père et de ses enfants, si ces derniers sont parties à la procédure relative à la demande d’aliments en tant que créanciers de tels aliments, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

105

En deuxième lieu, quant à la condition posée à l’article 7 du règlement no 4/2009 selon laquelle le litige dont la juridiction est saisie possède un lien étroit avec un État tiers, il importe de relever que ce règlement ne fournit aucune indication quant aux circonstances permettant de constater l’existence d’un tel lien étroit. Toutefois, compte tenu des critères de compétence sur lesquels ledit règlement est fondé, tout particulièrement celui de la résidence habituelle, la juridiction saisie doit pouvoir être en mesure de constater l’existence d’un tel lien étroit lorsqu’il résulte des circonstances de l’espèce, ce qu’il appartient à cette juridiction de vérifier, que l’ensemble des parties au litige résident habituellement sur le territoire de l’État tiers concerné. En effet, indépendamment des critères sur lesquels la compétence en matière d’obligations alimentaires est fondée dans cet État tiers, en particulier lorsqu’il s’agit d’un État qui n’est pas partie contractante à la convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille, il est, en principe, raisonnable de considérer, compte tenu du critère de proximité, que les juridictions de l’État sur le territoire duquel l’enfant mineur, créancier d’aliments, et le débiteur d’aliments ont leur résidence habituelle seraient les mieux à même d’apprécier les besoins de cet enfant, eu égard à l’environnement, notamment social et familial, dans lequel il vit et est amené à vivre.

106

En troisième lieu, afin que la juridiction d’un État membre saisie puisse, à titre exceptionnel, exercer la compétence qui résulte de l’article 7 du règlement no 4/2009, il importe aussi que la procédure en cause ne puisse raisonnablement être introduite ou conduite ou se révèle impossible devant les juridictions de l’État tiers concerné.

107

À cet égard, si le considérant 16 de ce règlement mentionne la guerre civile comme un exemple dans lequel la procédure dans l’État tiers en cause se révèle impossible, illustrant ainsi le caractère exceptionnel des cas dans lesquels la compétence fondée sur le forum necessitatis peut être exercée, force est de relever que ledit règlement ne fournit pas d’indications sur les circonstances dans lesquelles la juridiction d’un État membre saisie pourrait constater que la procédure en matière d’obligations alimentaires ne puisse raisonnablement être introduite ou conduite devant les juridictions de l’État tiers concerné. Cependant, il ressort de ce même considérant 16 que c’est « [a]fin de remédier tout particulièrement à des situations de déni de justice » que le forum necessitatis a été institué permettant, dans des cas exceptionnels, à la juridiction d’un État membre saisie de connaître d’un litige qui présente un lien étroit avec un État tiers « lorsqu’on ne peut raisonnablement attendre du demandeur qu’il introduise ou conduise une procédure » dans cet État tiers.

108

Ainsi, il résulte de ces précisions, d’une part, que, afin, le cas échéant, d’établir sa compétence en vertu de l’article 7 du règlement no 4/2009, la juridiction d’un État membre saisie ne saurait exiger du demandeur d’aliments qu’il démontre avoir vainement introduit, ou tenté d’introduire, la procédure en cause devant les juridictions de l’État tiers concerné. Il suffit donc que la juridiction d’un État membre saisie, au vu de l’ensemble des éléments de fait et de droit de l’espèce, soit en mesure de s’assurer que les obstacles dans l’État tiers concerné soient tels qu’il serait déraisonnable d’imposer au demandeur qu’il sollicite la créance d’aliments devant les juridictions de cet État tiers.

109

En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 126 de ses conclusions, exiger d’un tel demandeur qu’il tente d’introduire une procédure devant les juridictions de l’État tiers concerné, uniquement aux fins de démontrer l’état de nécessité pour appliquer le forum necessitatis, serait contraire à l’objectif du règlement no 4/2009 qui vise, en particulier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 48 du présent arrêt, à protéger le créancier d’aliments et à favoriser la bonne administration de la justice. Ce constat s’impose à plus forte raison lorsque le créancier d’aliments est un enfant, dont l’intérêt supérieur doit guider l’interprétation ainsi que la mise en œuvre du règlement no 4/2009 et constitue, ainsi que l’affirme l’article 24, paragraphe 2, de la Charte, une considération primordiale dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, A, C‑184/14, EU:C:2015:479, point 46).

110

D’autre part, dans la mesure où, comme l’indique le considérant 16 du règlement no 4/2009, l’objectif de la compétence fondée sur le forum necessitatis est de remédier « tout particulièrement » à des situations de déni de justice, il est, en principe, justifié que la juridiction d’un État membre saisie puisse s’en prévaloir, dans des cas exceptionnels et sous réserve d’une analyse circonstanciée des conditions procédurales de l’État tiers concerné, lorsque l’accès à la justice dans cet État tiers est, en droit ou en fait, entravé, notamment par l’application de conditions procédurales discriminatoires ou contraires aux garanties fondamentales du procès équitable.

111

En quatrième lieu, il importe que le litige en cause présente un « lien suffisant » avec l’État membre de la juridiction saisie. À cet égard, afin de répondre aux doutes de la juridiction de renvoi, il suffit de relever que le considérant 16 du règlement no 4/2009 précise qu’un tel lien pourrait être constitué, notamment, par la nationalité de l’une des parties.

112

Compte tenu de ces précisions, ainsi que des éléments avancés par la mère des enfants mineurs en cause au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si cette juridiction peut se fonder sur les dispositions de l’article 7 du règlement no 4/2009 pour connaître de la demande d’aliments introduite par MPA en faveur de ses enfants. À cet égard, la juridiction de renvoi peut se déclarer compétente pour pallier un risque de déni de justice, mais ne peut se fonder uniquement sur des circonstances générales relatives aux défaillances du système judiciaire de l’État tiers, sans analyser les conséquences que lesdites circonstances pourraient avoir sur le cas d’espèce.

113

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 7 du règlement no 4/2009 doit être interprété en ce sens que :

dans le cas où la résidence habituelle de l’ensemble des parties au litige en matière d’obligations alimentaires ne se trouve pas dans un État membre, la compétence fondée, dans des cas exceptionnels, sur le forum necessitatis, visé à cet article 7, peut être constatée si aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 6 de ce règlement, si la procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite dans l’État tiers avec lequel le litige a un lien étroit, ou s’y révèle impossible, et si ce litige présente un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie ;

pour considérer, dans des cas exceptionnels, qu’une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite dans un État tiers, il importe que, au terme d’une analyse circonstanciée des éléments avancés dans chaque cas d’espèce, l’accès à la justice dans cet État tiers soit, en droit ou en fait, entravé, notamment par l’application de conditions procédurales discriminatoires ou contraires aux garanties fondamentales du procès équitable, sans qu’il soit exigé que la partie qui se prévaut dudit article 7 soit tenue de démontrer avoir vainement introduit, ou tenté d’introduire, cette procédure devant les juridictions du même État tiers, et

pour considérer qu’un litige doit présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie, il est possible de se fonder sur la nationalité de l’une des parties.

Sur la sixième question

114

Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il y a lieu d’interpréter l’article 47 de la Charte en ce sens qu’il s’oppose à ce que, même dans un cas dans lequel les époux concernés ont des liens étroits avec des États membres, en raison de leurs nationalités et de leur résidence antérieure, l’application des dispositions des règlements nos 2201/2003 et 4/2009 ne désigne aucun État membre compétent.

115

Ainsi qu’il ressort notamment des points 87 à 92 et 98 à 113 du présent arrêt, et comme la Commission l’a relevé, en substance, dans ses observations écrites, il apparaît que, en application des dispositions du règlement no 2201/2003 et du règlement no 4/2009, notamment des articles 7 et 14 du règlement no 2201/2003 et de l’article 7 du règlement no 4/2009, qui instaurent des mécanismes qui permettent de désigner une juridiction compétente lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des autres dispositions de ces règlements, les juridictions d’au moins un État membre devraient être compétentes pour connaître respectivement des actions en matière de dissolution du lien matrimonial, de responsabilité parentale et d’obligations alimentaires.

116

Par conséquent, ainsi que la Commission l’a fait observer, la sixième question étant hypothétique, il n’y a pas lieu d’y répondre.

Sur les dépens

117

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, et l’article 3, sous a) et b), du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, doivent être interprétés en ce sens que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle, au sens de ces dispositions, n’est pas susceptible de constituer un élément déterminant la qualité d’agents contractuels de l’Union européenne des époux concernés, affectés dans une délégation de cette dernière auprès d’un État tiers et dont il est allégué qu’ils jouissent du statut diplomatique dans cet État tiers.

 

2)

L’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003 doit être interprété en ce sens que, aux fins de la détermination de la résidence habituelle d’un enfant, le lien constitué par la nationalité de la mère ainsi que par la résidence de celle-ci, avant la célébration du mariage, dans l’État membre dont relève la juridiction saisie d’une demande en matière de responsabilité parentale n’est pas pertinent, tandis qu’est insuffisante la circonstance selon laquelle les enfants mineurs sont nés dans cet État membre et en possèdent la nationalité.

 

3)

Dans le cas où aucune juridiction d’un État membre n’est compétente pour statuer sur une demande de dissolution du lien matrimonial en vertu des articles 3 à 5 du règlement no 2201/2003, l’article 7 de ce règlement, lu conjointement avec l’article 6 de celui-ci, doit être interprété en ce sens que, le fait que le défendeur au principal soit ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève la juridiction saisie empêche l’application de la clause relative à la compétence résiduelle prévue à cet article 7 pour fonder la compétence de cette juridiction, sans toutefois faire obstacle à ce que les juridictions de l’État membre dont il est ressortissant soient compétentes pour connaître d’une telle demande en application des règles nationales de compétence de ce dernier État membre.

Dans le cas où aucune juridiction d’un État membre n’est compétente pour statuer sur une demande en matière de responsabilité parentale en vertu des articles 8 à 13 du règlement no 2201/2003, l’article 14 de ce règlement doit être interprété en ce sens que, le fait que le défendeur au principal soit ressortissant d’un État membre autre que celui dont relève la juridiction saisie ne fait pas obstacle à l’application de la clause relative à la compétence résiduelle prévue à cet article 14.

 

4)

L’article 7 du règlement no 4/2009 doit être interprété en ce sens que :

dans le cas où la résidence habituelle de l’ensemble des parties au litige en matière d’obligations alimentaires ne se trouve pas dans un État membre, la compétence fondée, dans des cas exceptionnels, sur le forum necessitatis, visé à cet article 7, peut être constatée si aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 3 à 6 de ce règlement, si la procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite dans l’État tiers avec lequel le litige a un lien étroit, ou s’y révèle impossible, et si ce litige présente un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie ;

pour considérer, dans des cas exceptionnels, qu’une procédure ne peut raisonnablement être introduite ou conduite dans un État tiers, il importe que, au terme d’une analyse circonstanciée des éléments avancés dans chaque cas d’espèce, l’accès à la justice dans cet État tiers soit, en droit ou en fait, entravé, notamment par l’application de conditions procédurales discriminatoires ou contraires aux garanties fondamentales du procès équitable, sans qu’il soit exigé que la partie qui se prévaut dudit article 7 soit tenue de démontrer avoir vainement introduit, ou tenté d’introduire, cette procédure devant les juridictions du même État tiers, et

pour considérer qu’un litige doit présenter un lien suffisant avec l’État membre de la juridiction saisie, il est possible de se fonder sur la nationalité de l’une des parties.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.

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