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Document 62020CJ0357

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 28 octobre 2021.
IE contre Magistrat der Stadt Wien.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Wien.
Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 12, paragraphe 1 – Système de protection stricte des espèces animales – Annexe IV, sous a) – Cricetus cricetus (grand hamster) – Aires de repos et sites de reproduction – Détérioration ou destruction.
Affaire C-357/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:881

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

28 octobre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 12, paragraphe 1 – Système de protection stricte des espèces animales – Annexe IV, sous a) – Cricetus cricetus (grand hamster) – Aires de repos et sites de reproduction – Détérioration ou destruction »

Dans l’affaire C‑357/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne, Autriche), par décision du 10 juillet 2020, parvenue à la Cour le 31 juillet 2020, dans la procédure

IE

contre

Magistrat der Stadt Wien,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, Mme I. Ziemele, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes et M. Noll-Ehlers, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IE, employé d’un promoteur immobilier, au Magistrat der Stadt Wien (administration municipale de la ville de Vienne, Autriche), au sujet de l’adoption par ce dernier d’une décision administrative pénale infligeant à IE une amende et, en cas de non-recouvrement de celle-ci, une peine privative de liberté de substitution pour avoir, dans le cadre d’un projet de construction d’un bâtiment, détérioré et détruit des aires de repos ainsi que des sites de reproduction de l’espèce Cricetus cricetus (grand hamster) qui figure sur la liste des espèces animales protégées inscrites à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats ». Ce litige a déjà donné lieu à une demande de décision préjudicielle, sur laquelle la Cour s’est prononcée dans l’arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), (C‑477/19, EU:C:2020:517).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2 de la directive « habitats » prévoit :

« 1.   La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité [FUE] s’applique.

2.   Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt [pour l’Union européenne].

3.   Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

4

L’article 12, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a)

toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

b)

la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;

c)

la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ;

d)

la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

5

Au nombre des espèces animales présentant un « intérêt [pour l’Union] et nécessitant une protection stricte », dont la liste est établie à l’annexe IV, sous a), de ladite directive, figure, notamment, le Cricetus cricetus (grand hamster).

Le droit autrichien

6

Le Wiener Naturschutzgesetz (loi sur la protection de la nature du Land de Vienne), du 31 août 1998 (LGBl. für Wien, 45/1998), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « WNSchG »), transpose la directive « habitats » dans le droit national pour le Land de Vienne (Autriche).

7

L’article 10, paragraphe 3, point 4, du WNSchG reprend le libellé de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de cette directive. Il dispose notamment qu’il est interdit de détériorer ou de détruire les sites de reproduction ou les aires de repos d’animaux strictement protégés.

8

Les sanctions prévues pour une violation de l’article 10, paragraphe 3, point 4, du WNSchG sont fixées à l’article 49, paragraphe 1, point 5, de celui-ci. Selon cette dernière disposition, est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 21000 euros ou, en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’une peine privative de liberté de substitution pouvant atteindre quatre semaines, et, en cas de répétition, d’une amende pouvant atteindre 35000 euros, ou en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’une peine privative de liberté de substitution pouvant atteindre six semaines, toute personne, qui, en violation de l’article 10, paragraphe 3, point 4, du WNSchG, détériore ou détruit des sites de reproduction ou des aires de repos d’animaux strictement protégés.

9

Selon l’article 22, paragraphe 5, du WNSchG, l’autorité compétente peut autoriser des interventions individuelles si la mesure envisagée, individuellement ou en combinaison avec d’autres mesures sollicitées auprès de l’autorité compétente, ne compromet pas de manière significative l’objectif de la protection.

10

L’annexe du Wiener Naturschutzverordnung définit le Cricetus cricetus (grand hamster) comme étant une espèce animale strictement protégée.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Un promoteur immobilier, employeur d’IE, a entrepris des travaux de construction d’un bâtiment sur un terrain sur lequel s’était implanté le Cricetus cricetus (grand hamster). La propriétaire de ce terrain, qui avait connaissance de cette situation, en a informé ce promoteur immobilier, lequel a désigné, avant le début des travaux, un expert environnemental. Celui-ci a ainsi établi une carte des entrées de terriers du Cricetus cricetus (grand hamster) et a déterminé, dans un secteur particulier, si ces terriers étaient ou non habités.

12

Avant la réalisation des travaux, ledit promoteur immobilier a fait procéder au retrait de la couche végétale, au dégagement du lieu de construction, à la réalisation d’une voie de chantier et à la construction d’un parking à proximité immédiate d’entrées de terriers du Cricetus cricetus (grand hamster) (ci-après les « mesures dommageables »). En particulier, le retrait de la couche végétale visait à faire déplacer le Cricetus cricetus (grand hamster), implanté sur les surfaces où aurait lieu l’activité de construction, vers les surfaces qui auraient été spécialement protégées et réservées pour cette espèce animale. Toutefois, l’autorisation préalable des mesures dommageables n’avait pas été sollicitée auprès de l’autorité compétente et, par conséquent, n’avait pas été obtenue avant le début des travaux. En outre, au moins deux entrées de terriers ont été détruites.

13

L’administration municipale de la ville de Vienne a dès lors considéré qu’IE, en tant qu’employé du même promoteur immobilier, était responsable de la détérioration et de la destruction des aires de repos ainsi que des sites de reproduction du Cricetus cricetus (grand hamster), lui infligeant, conformément à l’article 10, paragraphe 3, point 4, du WNSchG, une amende susceptible, en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’être convertie en une peine privative de liberté.

14

IE a saisi le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne, Autriche) d’un recours visant à contester l’infliction de cette amende, au motif, notamment, que, d’une part, les terriers concernés n’étaient pas occupés par le Cricetus cricetus (grand hamster) au moment de la mise en œuvre des mesures dommageables et, d’autre part, ces mesures n’avaient pas conduit à la détérioration ou à la destruction des aires de repos ou des sites de reproduction de cette espèce animale.

15

Dans ce contexte, cette juridiction a, par une première demande de décision préjudicielle, datée du 12 juin 2019, posé à la Cour une série de questions portant sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », aux fins d’obtenir des précisions sur ce que les notions d’« aire de repos », de « site de reproduction », de « détérioration » et de « destruction », au sens de cette disposition, recouvrent. Par l’arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster) (C‑477/19, EU:C:2020:517), la Cour a répondu à la première de ces questions en disant pour droit que ladite disposition doit être interprétée en ce sens que la notion d’« aires de repos » comprend également les aires de repos qui ne sont plus occupées par le Cricetus cricetus (grand hamster) dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que cette espèce revienne sur ces aires de repos, ce qu’il incombait à la juridiction de renvoi de vérifier. En outre, par cet arrêt, la Cour a déclaré les autres questions irrecevables en raison d’insuffisances de la demande de décision préjudicielle dans la définition du cadre factuel et du cadre juridique national concernés ainsi que de l’absence d’explication sur les motifs précis pour lesquels l’interprétation du droit de l’Union sollicitée était nécessaire à la juridiction de renvoi aux fins de la solution du litige au principal.

16

C’est dans ce contexte que cette juridiction saisit la Cour d’une nouvelle demande de décision préjudicielle, présentant un exposé des faits plus détaillé et précisant que la « détérioration d’une aire de repos », la « destruction d’une aire de repos », la « détérioration d’un site de reproduction » et la « destruction d’un site de reproduction » constituent, selon la réglementation nationale, quatre infractions distinctes qui doivent être sanctionnées de manière autonome. Dès lors, elle estime nécessaire, pour résoudre le litige au principal, de déterminer la portée tant dans l’espace que dans le temps de la notion de « site de reproduction » ainsi que les critères de distinction entre la « détérioration » et la « destruction » d’un site de reproduction et/ou d’une aire de repos.

17

En particulier, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la protection offerte par l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » vise uniquement l’habitation concrète des terriers du Cricetus cricetus (grand hamster) ou si elle s’étend également aux abords de ces terriers. En outre, au vu des divergences entre l’avis de l’expert privé désigné par IE et celui des experts de l’administration municipale de la ville de Vienne, elle relève la nécessité de clarifier la question de savoir si seules la période d’habitation concrète et effective des terriers par leCricetus cricetus (grand hamster) ainsi que celle d’émancipation des progénitures de cette espèce animale doivent être prises en compte aux fins de la qualification, sur le plan temporel, d’un site de reproduction ou s’il convient de tenir compte également de la période de gestation et de la période de dépendance éventuelle de celle-ci.

18

Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Que doit-on entendre par l’expression “site de reproduction” visée à l’article 12, paragraphe [1], sous [d], de la [directive “habitats”] et comment doit-on distinguer sur le plan géographique un “site de reproduction” d’autres lieux ?

2)

Selon quels critères doit-on déterminer si et, dans l’affirmative, pour quelle durée l’existence d’un site de reproduction est limitée dans le temps ?

3)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission a entraîné une détérioration ou destruction d’un site de reproduction ?

4)

Selon quels critères doit-on déterminer si une “aire de repos” visée à l’article 12, paragraphe [1], sous [d], de la directive [“habitats”] a été détruite ou détériorée ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

19

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion de « site de reproduction », visée à cette disposition, comprend uniquement les terriers du Cricetus cricetus (grand hamster) ou si elle s’étend également aux abords des entrées de terriers de cette espèce animale protégée.

20

Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 23 et jurisprudence citée].

21

En premier lieu, il convient de relever que, selon les termes mêmes de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.

22

Cependant, le libellé de cette disposition ne permet pas, en tant que tel, de déterminer si la protection offerte par cette disposition aux sites de reproduction d’une espèce animale protégée s’étend également aux abords de ces sites.

23

En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », si la directive « habitats » ne comporte pas de définition de la notion de « site de reproduction », la Cour a souligné que l’interdiction énoncée à cette disposition ne concerne pas directement les espèces animales, mais tend à protéger des parties importantes de leur habitat [arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 28].

24

Il en résulte que la protection stricte offerte par l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » vise à garantir que des parties importantes de l’habitat des espèces animales protégées soient préservées de manière à ce que ces dernières puissent bénéficier des conditions requises pour, notamment, s’y reproduire (voir, par analogie, arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 29).

25

Or, il convient de relever qu’une interprétation de la notion de « site de reproduction », figurant à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », telle que préconisée par la demanderesse au principal, qui entendrait limiter la portée de cette notion aux seuls terriers du Cricetus cricetus (grand hamster), est susceptible d’exclure de cette protection des zones nécessaires à la reproduction et à la naissance des progénitures de cette espèce animale protégée, qui peuvent se situer aux abords de ces terriers. Une telle interprétation ne serait pas de nature à garantir que des parties importantes de l’habitat de ladite espèce animale soient préservées de manière à ce que cette dernière puisse bénéficier des conditions requises pour, notamment, s’y reproduire.

26

À cet égard, dans le document d’orientation sur la protection stricte des espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive « habitats » 92/43/CEE (version finale, février 2007), la Commission précise, d’une part, que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être compris comme visant à sauvegarder la fonctionnalité écologique des sites de reproduction et, d’autre part, que ces derniers peuvent englober les aires nécessaires à la parade nuptiale, l’accouplement, la construction du nid ou la sélection du site de ponte ou de parturition, le lieu de développement et d’éclosion des œufs et le site de nidification ou de parturition lorsqu’il est occupé par des progénitures dépendant de ce site.

27

Ainsi, il ressort du contexte dans lequel l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » s’inscrit que la notion de « site de reproduction » doit être comprise comme visant l’ensemble des zones nécessaires pour permettre à l’espèce animale concernée de se reproduire avec succès, y compris les abords du site de reproduction, cette interprétation étant également corroborée par les objectifs de cette directive.

28

En effet, en troisième lieu, il convient de rappeler, comme la Cour l’a souligné au point 18 de son arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster) (C‑477/19, EU:C:2020:517), que, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive « habitats », cette dernière « a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres ». En outre, selon l’article 2, paragraphes 2 et 3, de cette directive, les mesures prises en vertu de celle-ci visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de la faune et de la flore sauvages d’intérêt pour l’Union, et tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que des particularités régionales et locales.

29

Par ailleurs, la directive « habitats » vise à assurer une protection stricte des espèces animales, au moyen notamment des interdictions prévues à son article 12, paragraphe 1, de telle sorte que le régime de protection prévu à cette disposition doit être en mesure d’éviter effectivement que des atteintes soient portées à l’habitat des espèces animales protégées [voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 20 et jurisprudence citée].

30

Partant, la protection des sites de reproduction d’une espèce animale protégée, prévue à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », doit permettre de garantir que ces derniers contribuent au maintien ou au rétablissement d’un état de conservation favorable de cette espèce animale, en ce sens que cette protection assure la permanence de leur fonctionnalité écologique.

31

Or, il ne serait pas compatible avec cet objectif de priver de protection les abords des sites de reproduction d’une espèce animale protégée dès lors que ceux-ci peuvent s’avérer nécessaires pour permettre à cette espèce animale de se reproduire avec succès.

32

En l’occurrence, il est constant que les mesures dommageables ont consisté dans le retrait de la couche végétale aux abords de l’entrée de terriers du Cricetus cricetus (grand hamster), le dégagement du lieu de construction, la réalisation d’une voie de chantier et la construction d’un parking à proximité immédiate d’entrées de terriers.

33

Dans ces conditions, et ainsi qu’il ressort tant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » que des objectifs poursuivis par celui-ci, il y a lieu de considérer que la protection d’un site de reproduction d’une espèce animale protégée, telle que cette disposition l’impose, serait privée d’effet utile si des activités humaines, réalisées aux abords de ce site, avaient pour objet ou pour effet que cette espèce animale ne fréquente plus le site de reproduction concerné, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

34

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion de « site de reproduction », visée à cette disposition, comprend également les abords de ce site dès lors que ceux-ci s’avèrent nécessaires pour permettre aux espèces animales protégées figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, tel le Cricetus cricetus (grand hamster), de se reproduire avec succès.

Sur la deuxième question

35

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la protection des sites de reproduction d’une espèce animale protégée offerte par cette disposition se trouve limitée dans le temps.

36

Il ressort du dossier dont dispose la Cour que la juridiction de renvoi cherche, plus particulièrement, à savoir si cette protection couvre uniquement la période d’habitation concrète et effective des terriers par le Cricetus cricetus (grand hamster) et d’émancipation des progénitures de cette espèce animale protégée ou si elle s’applique également pour toute la période de gestation et la période de dépendance éventuelle de celle-ci.

37

Afin de répondre à cette question, il convient de relever que la Cour a été amenée, dans l’arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster) (C‑477/19, EU:C:2020:517), à préciser la portée de la notion d’ « aire de repos », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ». Elle a ainsi adopté, au terme d’une interprétation littérale, systématique et téléologique de cette disposition, une acception large de la portée de cette notion dans le temps, impliquant que la protection des aires de repos de l’espèce animale concernée couvre également les aires de repos qui ne sont plus occupées par cette espèce animale dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce animale revienne sur ces aires de repos.

38

Eu égard aux considérations énoncées aux points 24, 29 et 30 du présent arrêt portant sur la protection stricte offerte par l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », une telle acception large doit également être retenue s’agissant de la portée dans le temps de la protection des sites de reproduction, tels que visés à cette disposition.

39

Il en découle que, en vue d’assurer la protection stricte offerte par cette disposition, les sites de reproduction d’une espèce animale protégée doivent bénéficier d’une protection aussi longtemps que cela est nécessaire pour permettre à cette espèce animale de se reproduire avec succès, de telle sorte que cette protection s’étende également à des sites de reproduction qui ne sont plus occupés dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce animale revienne sur ces sites, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

40

Une telle conclusion est d’ailleurs confortée par la lecture du document d’orientation, mentionné au point 26 du présent arrêt, dans lequel la Commission précise que les sites de reproduction sont cruciaux pour le cycle de vie d’une espèce animale protégée et constituent des parties très importantes de son habitat global nécessaire à sa survie, de telle sorte que ceux-ci doivent être protégés même lorsqu’ils ne sont pas occupés, mais qu’il existe une forte probabilité que l’espèce animale concernée revienne sur ces sites.

41

Partant, il y a lieu de considérer que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » ne saurait être interprété en ce sens que la protection des sites de reproduction d’une espèce animale protégée que cette disposition prévoit se limite à la période d’habitation concrète et effective ou à la période de gestation et à la période de dépendance éventuelle de cette espèce animale.

42

Aux fins de la mise en œuvre du régime de protection prescrit à cette disposition, il appartiendra dès lors à la juridiction de renvoi d’examiner, en particulier, au titre de la sauvegarde de la fonctionnalité écologique des sites de reproduction du Cricetus cricetus (grand hamster), s’il existe une probabilité suffisamment élevée que, en dehors des périodes mentionnées au point précédent, cette espèce animale protégée revienne sur ces sites afin de s’y reproduire.

43

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que les sites de reproduction d’une espèce animale protégée doivent bénéficier d’une protection aussi longtemps que cela est nécessaire pour permettre à cette espèce animale de se reproduire avec succès, de telle sorte que cette protection s’étende également à des sites de reproduction qui ne sont plus occupés dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce animale revienne sur ces sites.

Sur les troisième et quatrième questions

44

Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur l’interprétation des notions de « détérioration » et de « destruction », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ».

45

En particulier, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si les mesures dommageables constituent une « détérioration » ou une « destruction » d’un site de reproduction et/ou d’une aire de repos, au sens de cette disposition.

46

À cet égard, il convient de constater que la directive « habitats » ne contient pas de définition de ces notions, lesquelles doivent, dès lors, être interprétées conformément au sens habituel des termes qui les composent dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ces termes sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont lesdits termes font partie [voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Staatssecretaris van Financiën (Taux réduit de TVA pour aphrodisiaques), C‑331/19, EU:C:2020:786, point 24 et jurisprudence citée].

47

S’agissant, tout d’abord, du sens habituel dans le langage courant des termes « détérioration » et « destruction », il y a lieu de relever que ces termes visent, respectivement, l’action de se dégrader, y compris le fait de s’affaiblir de manière graduelle, et l’action de faire disparaître.

48

Concernant, ensuite, le contexte dans lequel l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » s’inscrit, il ressort du document d’orientation de la Commission, mentionné au point 26 du présent arrêt, que la détérioration peut être définie comme une dégradation physique touchant un habitat, un site de reproduction ou une aire de repos qui, à la différence de la destruction, peut se produire lentement et progressivement réduire la fonctionnalité écologique du site ou de l’aire concernée, de telle sorte que cette dégradation peut ne pas aboutir immédiatement à une perte de fonctionnalité, mais la compromettra qualitativement ou quantitativement et pourra, à terme, mener à sa perte complète.

49

En outre, il convient de rappeler que l’interdiction des actes causant la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos énoncée à cette disposition n’est pas limitée, contrairement à ce qui est prévu pour les actes visés à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de ladite directive, aux actes intentionnels [voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2020, Magistrat der Stadt Wien (Grand hamster), C‑477/19, EU:C:2020:517, point 27 et jurisprudence citée].

50

Enfin, s’agissant de l’objectif poursuivi par la directive « habitats », il importe également de rappeler que celui-ci vise, ainsi qu’il a été mentionné au point 29 du présent arrêt, à assurer une protection stricte des espèces animales, au moyen notamment des interdictions prévues à son article 12, paragraphe 1.

51

Au regard de ce système de protection stricte, il y a lieu de considérer que le degré d’atteinte à la fonctionnalité écologique du site de reproduction ou de l’aire de repos, que celle-ci soit intentionnelle ou non, constitue le critère décisif aux fins d’établir une distinction entre, d’une part, un acte causant une détérioration de ce site de reproduction ou de cette aire de repos et, d’autre part, un acte causant leur destruction.

52

Il convient, en particulier, de garantir que les sites de reproduction et les aires de repos d’une espèce animale protégée ne soient pas détériorés ou détruits par les activités humaines, de manière à ce qu’ils continuent de fournir les conditions requises pour que cette espèce animale puisse s’y reposer ou s’y reproduire avec succès. Une telle évaluation doit tenir compte des exigences écologiques propres à chaque espèce animale concernée, à laquelle appartient l’individu en cause, ainsi que de la situation au niveau des individus de cette espèce animale occupant le site de reproduction ou l’aire de repos concernés.

53

En l’occurrence, aux fins de l’application de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », il reviendra à la juridiction de renvoi d’examiner si les mesures dommageables ont été de nature à réduire progressivement ou à éliminer totalement la fonctionnalité écologique de ces habitats.

54

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que les notions de « détérioration » et de « destruction », visées à cette disposition, doivent être interprétées en ce sens qu’elles désignent, respectivement, la réduction progressive de la fonctionnalité écologique d’un site de reproduction ou d’une aire de repos d’une espèce animale protégée et la perte totale de cette fonctionnalité, indépendamment du caractère intentionnel ou non de telles atteintes.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, doit être interprété en ce sens que la notion de « site de reproduction », visée à cette disposition, comprend également les abords de ce site dès lors que ceux-ci s’avèrent nécessaires pour permettre aux espèces animales protégées figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, tel le Cricetus cricetus (grand hamster), de se reproduire avec succès.

 

2)

L’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens que les sites de reproduction d’une espèce animale protégée doivent bénéficier d’une protection aussi longtemps que cela est nécessaire pour permettre à cette espèce animale de se reproduire avec succès, de telle sorte que cette protection s’étende également à des sites de reproduction qui ne sont plus occupés dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce animale revienne sur ces sites.

 

3)

L’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43 doit être interprété en ce sens que les notions de « détérioration » et de « destruction », visées à cette disposition, doivent être interprétées en ce sens qu’elles désignent, respectivement, la réduction progressive de la fonctionnalité écologique d’un site de reproduction ou d’une aire de repos d’une espèce animale protégée et la perte totale de cette fonctionnalité, indépendamment du caractère intentionnel ou non de telles atteintes.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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