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Document 52006AE0586

Avis du Comité économique et social européen sur La gestion des mutations industrielles dans les zones transfrontalières à la suite de l'élargissement de l'Union européenne

JO C 185 du 8.8.2006, p. 24–30 (ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, IT, LV, LT, HU, NL, PL, PT, SK, SL, FI, SV)

8.8.2006   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 185/24


Avis du Comité économique et social européen sur «La gestion des mutations industrielles dans les zones transfrontalières à la suite de l'élargissement de l'Union européenne»

(2006/C 185/05)

Le 20 juillet 2005, la future présidence autrichienne du Conseil de l'Union européenne a décidé, conformément à l'article 262 du traité instituant la Communauté européenne, de consulter le Comité économique et social européen sur «La gestion des mutations industrielles dans les zones transfrontalières à la suite de l'élargissement de l'Union européenne»

La commission consultative des mutations industrielles, chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 22 mars 2006 (rapporteur: M. KRZAKLEWSKI).

Lors de sa 426ème session plénière des 20 et 21 avril 2006 (séance du 21 avril 2006), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 69 voix pour, 2 voix contre et 5 abstentions.

Première partie: synthèse des conclusions et des recommandations du CESE

Le gouvernement autrichien a adressé à la commission consultative des mutations industrielles (CCMI) la demande formelle d'élaborer un avis exploratoire sur le thème des «Mutations industrielles dans l'Union élargie: perspectives et effets pour les régions transfrontalières».

Le Comité considère, qu'au cours du mandat de la nouvelle présidence, il convient de définir en termes distincts et précis ce que l'on entend par une «région» dans un contexte transfrontalier et industriel. Cette définition devra se référer spécifiquement aux régions situées au contact d'États qui ne sont pas membres de l'UE et tenir compte du statut de candidat à l'adhésion que ce pays voisin concerné possède ou ne possède pas.

Il s'impose tout particulièrement de répondre à un certain nombre de questions: où et comment tracer la ligne de partage entre les effets des changements qui ont été entrepris dans ces régions dans les années 1990 et ceux résultant des mutations enregistrées en lien avec l'adhésion à l'UE? Avec quels résultats les instruments communautaires y ont-ils été mis en œuvre avant et après l'adhésion? Dans l'application des politiques de l'Union, quels retards ont été enregistrés dans ces régions par rapport à d'autres?

Le Comité observe qu'aujourd'hui comme hier, la possibilité pour les parties intéressées d'employer des ressources disponibles au titre des fonds structurels de l'UE a constitué un facteur très important, voire décisif, pour conduire et développer une politique industrielle dans les régions transfrontalières de l'Europe élargie. Il est absolument indispensable d'augmenter la part qui, dans les fonds structurels, est dédiée à ces zones. Le règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'institution d'un groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) offre une nouvelle chance à cet égard. Le Comité souligne avec une insistance toute particulière qu'il est indispensable d'inclure parmi les parties prenantes du GECT les acteurs économiques et sociaux, et les autres organisations concernées de la société civile, en particulier les organismes de formation. L'instauration de telles entités juridiques peut contribuer à renforcer la volonté de coopération transfrontalière, donner aux régions intéressées le sentiment d'être davantage les acteurs de leur propre destin et les inciter plus fortement à harmoniser leurs législations.

Le Comité affirme que le développement des marchés du travail dans les zones concernées constitue un facteur qui exerce une influence non négligeable sur les mutations industrielles. Il subsiste encore des barrières temporaires à la mobilité transfrontalière des travailleurs au sein de l'Union européenne. Le Comité invite les États membres à examiner sérieusement la possibilité de raccourcir les périodes transitoires. Le déroulement de cet examen doit inclure une participation appropriée des partenaires sociaux et leur consultation à tous les niveaux pertinents. Entre autres instruments susceptibles d'influer sur la politique industrielle, le Comité souligne l'intérêt que revêt l'éventuelle instauration de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés européennes (ACCIS).

Dans son avis, le Comité souligne à plusieurs reprises que le dialogue social et l'implication de la société civile exercent une fonction extrêmement importante pour la gestion de la politique industrielle dans les régions étudiées. Cette observation s'applique tant durant la mise en oeuvre de politiques industrielles dynamiques que pour surmonter les problèmes touchant aux relations entre groupes nationaux, ethniques et culturels différents.

Seconde partie: argumentation à l'appui du présent avis

1.   Introduction

1.1

Peu de temps avant de prendre la présidence de l'Union européenne, le gouvernement autrichien a adressé à la commission consultative des mutations industrielles (CCMI) la demande formelle d'élaborer un avis exploratoire sur le thème des «Mutations industrielles dans l'Union élargie: perspectives et effets pour les régions transfrontalières». Par définition, la présentation d'un avis exploratoire précède l'adoption, par les institutions de l'UE, d'une proposition ou d'une décision politique.

1.2

Le passage à l'économie de marché et l'incorporation (transposition) du marché intérieur et des règles communautaires de concurrence ont enclenché une nouvelle dynamique dans un grand nombre de régions d'Europe centrale et orientale. Avec l'arrivée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'UE, des régions frontalières ont pu se rapprocher davantage, redonnant vie, dans bien des cas, à des liens économiques et commerciaux historiques. Ce dynamisme retrouvé a cependant généré aussi son lot de difficultés nouvelles essentiellement liées au marché du travail, tout en mettant en lumière les carences en infrastructures des zones frontalières entre lesquelles une coopération s'est établie.

1.3

Afin d'étudier plus précisément les mutations industrielles qui interviennent dans les régions transfrontalières de l'Union élargie et de rassembler des matériaux en vue de l'élaboration d'un avis, la CCMI et l'Observatoire européen du changement (EMCC) ont organisé les 17 et 18 octobre 2005 à Bratislava, sur le territoire de la région transfrontalière Centrope, des «ateliers» auxquels ont participé des membres de la CCMI, des représentants des partenaires sociaux autrichiens, slovaques et hongrois et des experts.

2.   Observations générales — Aperçu de la situation dans les régions transfrontalières de l'Union élargie

2.1

Les régions frontalières, qui couvrent actuellement quelque 40 % de la superficie européenne, regroupent environ 33 % de la population de l'UE (1).

2.2

Depuis l'époque de la signature du traité sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier, les frontières de l'Union européenne ont subi constamment des changements, qui devraient se poursuivre à moyen terme. Eu égard aux processus d'évolution qui en découlent, il convient que l'Union européenne fasse évoluer en continu sa politique concernant les régions frontalières.

2.2.1

Dès avant leur adhésion, au moment de l'adaptation de leur système juridique et socio-économique, les régions frontalières au sein des pays candidats qui partagent une frontière physique avec l'UE entreprennent une coopération avec celles de l'UE qui leur sont limitrophes et y occupent une position plus périphérique.

2.2.2

Le «Rideau de fer» constituait une frontière d'une nature particulière; aujourd'hui, son tracé se situe en grande partie à l'intérieur des limites de l'UE des Vingt-cinq. En 1989, au moment de la chute du Mur de Berlin et neuf ans après la révolution de Solidarité en Pologne (1980), pratiquement aucune infrastructure n'existait dans les zones situées à proximité de cette ligne qui séparait l'Europe des pays de l'ancien bloc soviétique et, en particulier, dans les aires qui formaient le «no man's land». Ce problème est loin d'être résolu, même si des progrès significatifs ont été enregistrés s'agissant de gommer les marques laissées par les décisions politiques qui ont abouti à pareille situation.

2.2.3

La Méditerranée offre un autre exemple spécifique de frontière. Si une politique de coopération entre l'UE et les pays qui bordent cette mer existe depuis plusieurs années déjà, l'Europe ne l'a pas, ces derniers temps, rangée parmi ses principales priorités, étant donné l'évolution de la situation internationale.

2.3

Avant l'entrée des nouveaux pays dans l'UE, il s'est créé sur leurs zones limitrophes une série d'associations transfrontalières, qui prennent par exemple la forme d'eurorégions et constituent un type de coopération de part et d'autre des frontières tirant son origine de conventions entre des territoires frontaliers voisins. Le fonctionnement des eurorégions ne devait pas obligatoirement être régi par des accords internationaux mais découlait d'un libre choix des collectivités et autres parties intéressées. L'activité conjointe établie dans le cadre des eurorégions avait pour but de résoudre des problèmes en commun, indépendamment des frontières politiques, et de mettre en place une collaboration économique dans le domaine de la communication et des actions en faveur de l'environnement.

2.4

Des années 1990 à nos jours, la mise en œuvre concrète de cette collaboration interrégionale s'est principalement opérée dans le cadre des différents programmes Interreg qui se sont succédé et le CESE s'est penché lui aussi sur certains de ses aspects, en lui consacrant des avis qui s'inspiraient notamment de l'expérience engrangée dans le secteur de la Méditerranée et de la Baltique (2), (3), (4).

2.4.1

Sur la base de ces travaux du CESE, il a été établi que la coopération interrégionale bénéficiant d'un soutien communautaire pouvait être définie en fonction des critères suivants:

a)

le type de territoire visé: région, grandes villes, entités locales subrégionales,

b)

les catégories d'extension spatiale: zones contiguës ou non contiguës (coopération transfrontalière ou transnationale),

c)

la couverture géographique: coopération à l'intérieur de l'UE ou entre des régions de l'UE et de pays voisins extracommunautaires,

d)

les niveaux de coopération, tels que:

la collecte d'expériences partagées, la constitution de réseaux de transfert de savoir-faire,

la planification territoriale,

les projets communs pour attirer des investissements en matière d'infrastructures et autres équipements.

2.4.2

Dans ses avis concernant Interreg, le Comité constate que dans les années 1990, la combinaison entre plusieurs catégories de coopération s'opérait de manière plutôt sélective. Par exemple, la coopération ne fonctionnait qu'à quelques-uns uns des niveaux indiqués et se limitait à certaines catégories spatiales et zones géographiques.

2.4.3

Dans le cas des régions transfrontalières situées aux points de rencontre entre la France, la Belgique, l'Allemagne et le Luxembourg, lesquelles ont été soumises à des processus de restructuration intenses, un des grands acquis communautaires a consisté en l'application de méthodes de redéploiement qui ont contré le dépeuplement de ces zones et l'apparition sur leur territoire de véritables «déserts postindustriels». Les ressources et moyens prévus par le traité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier ont exercé une influence déterminante pour que les restructurations aboutissent à pareil résultat.

2.5

À l'heure actuelle, on recense quelque 180 associations transfrontalières actives en Europe. La plupart d'entre elles constituent des outils dont le but est d'atténuer les effets négatifs de l'existence d'une frontière en activité. Le territoire des nouveaux États membres compte 32 eurorégions, qui témoignent ainsi clairement de leur vaste mobilisation dès lors qu'il s'agit de soutenir l'idée de coopération transfrontalière.

2.6

Dans la majorité de ces 32 zones transfrontalières où des États membres «nouveaux» côtoient des «anciens» qui leur sont limitrophes, il n'a été entrepris jusqu'à présent aucune initiative commune qui concernerait directement la politique industrielle, bien que nombre de projets communs s'y rapportent indirectement.

2.7

En règle générale, les initiatives nouvelles qui ont été prises dans le domaine de la politique industrielle ont été déployées dans des régions transfrontalières qui étaient situées dans le voisinage géographique de métropoles (par exemple à l'intérieur du triangle Vienne-Budapest-Bratislava) ou dont le territoire abritait des centres industriels ou un groupe de villes de grande taille mais de nature non métropolitaine (région de Katowice et Ostrava, aux confins de la République tchèque et de la Pologne).

2.7.1

La région du Frioul — Vénétie julienne, à la frontière italo-slovène, offre un nouvel exemple intéressant de mutations industrielles, différents secteurs de production, en particulier l'industrie du meuble, y ayant connu une reprise juste avant et après l'élargissement.

3.   Observations spécifiques

3.1   Caractéristiques principales d'une région transfrontalière de l'Union élargie

3.1.1

Tels qu'indiqués dans le présent avis, les traits qui caractérisent une région transfrontalière dotée d'une politique industrielle en développement ont été définis pour l'essentiel sur la base de l'observation de la région Centrope (5).

3.1.1.1

La région Centrope est composée de territoires de trois nouveaux États membres et de l'un des quinze anciens États membres (les länder de Vienne, de Basse-Autriche et du Burgenland en Autriche, la région de Moravie méridionale en République tchèque, les districts de Bratislava et de Trnava en République slovaque et les comtés de Győr-Moson-Sopron et de Vas en Hongrie). Elle comprend à la fois des zones qui présentent les problèmes typiques des espaces périphériques et, dans leur voisinage, des zones centrales urbaines économiquement dynamiques.

3.1.1.2

Dans les années 1990, la région a subi une intense restructuration, qui a été suivie d'investissements dans certaines portions de son territoire. Cette situation a provoqué des glissements sur le marché du travail, étant donné qu'un nombre considérable de travailleurs s'en sont retirés, principalement parmi les plus âgés, puis qu'une demande de main-d'œuvre est apparue — pas toujours au même endroit — au fur et à mesure que des investissements étaient effectués.

3.1.1.3

Dans le quadrilatère formé par l'Autriche, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie, l'élargissement de l'Union européenne a réuni des marchés régionaux du travail différents, dont l'intégration pose un défi. La délocalisation des entreprises et l'exode des travailleurs vers les villes ainsi que les lacunes de l'infrastructure, en particulier pour les transports, continuent comme auparavant à peser sur la structure du marché du travail, au même titre que les différences salariales sensibles entre l'Autriche et les nouveaux États membres et la pénurie annoncée de personnel qualifié.

3.1.1.4

Certains signes sont apparus qui laissent entrevoir que des réseaux de production d'échelle transfrontalière sont en train de se former. Parmi les facteurs qui ont contribué à ce phénomène figure le développement de l'infrastructure de transport, qui a nécessité des investissements substantiels. Cette action a abouti à combler les lacunes existantes et retisser des liens qui avaient été rompus.

3.1.2

Pour ces régions, les investissements étrangers et nationaux, y compris ceux émanant des rangs des petites et moyennes entreprises ont été et demeurent un des principaux facteurs de stimulation des mutations industrielles. Dans les pays où elles ont été créées avant l'adhésion, les «zones économiques spéciales» et autres «zones industrielles» ont «aspiré» la majorité des investissements, alors que leur localisation ne coïncidait que rarement avec le territoire des régions transfrontalières (voir l'avis CESE CCMI/025), lesquelles, dès lors, sont jusqu'à présent peu nombreuses à avoir développé une nouvelle politique industrielle sur leur territoire.

3.1.2.1

Les investissement qui ont constitué les principaux moteurs de la croissance ont été les implantations dans des installations préexistantes ou créées ex nihilo, ainsi que les transplantations. La reconnaissance de nouveaux marchés, les différences en matière de fiscalité des entreprises, le fort différentiel salarial et les aides publiques sont autant d'éléments qui ont stimulé ces investissements. Tous ces facteurs sont venus épauler le processus de restructuration et ont contribué à la croissance économique.

3.1.2.2

Ces évolutions ont permis de disposer d'une main-d'œuvre dotée de qualifications élevées ou moyennes et abouti à réduire les coûts liés au travail ou autres. Pour des métiers tels les machinistes, les monteurs, les usineurs, les soudeurs, les ingénieurs mécaniciens ou les informaticiens spécialisés, on a assisté à un accroissement de la demande, qui se manifeste d'ailleurs de plus en plus visiblement dans les secteurs de production de toute l'Union européenne.

3.1.2.3

Pareils mouvements ont eu pour effet d'accroître les compétences en matière de gestion, d'enclencher une politique fondée sur les ressources humaines et d'activer le dialogue social. Grâce à elles, des moyens financiers ont également pu être dégagés pour réaliser des investissements et nouer des relations avec des marchés de fournisseurs et de clients.

3.1.2.4

À ce mouvement d'investissement ont participé non seulement les grandes sociétés de l'UE mais également des entreprises petites et moyennes ou extracommunautaires. Elles ont investi en «grappes», de manière groupée, pratiqué l'«essaimage» (multiplication) des implantations, tissé des relations avec les firmes locales et forgé des liens avec des affaires familiales ou des filiales étrangères.

3.1.3

Si l'on analyse les caractéristiques structurelles des mutations industrielles dans les régions transfrontalières étudiées, on constate que la méthode qui s'y applique généralement est celle du pas à pas.

3.1.3.1

Dans un premier temps, le lancement du processus productif s'est appuyé sur une forte intensité en travail et une qualification plutôt faible des travailleurs, tandis que dans un second stade, on a recherché des travailleurs et des prestations plus qualifiés. Dès lors que la première étape a été franchie avec succès, on est passé à une phase où quelques cas de «délocalisations» d'entreprises se sont produits, mais au sein même de la région, le but étant d'obtenir des coûts de main-d'œuvre moins élevés.

3.1.3.2

Mises en place pour dégager des gains de compétitivité sans quitter le réseau ou le territoire régional, les liaisons organisées bidirectionnelles, vers l'amont (à l'étranger, dans le cadre de la région puis en dehors d'elle) et vers l'aval (sur le territoire local), ont exercé une influence significative sur les problèmes structurels qui accompagnent ces mutations industrielles.

3.1.3.3

Des approches assorties de risques plus élevés, suivant le principe de la «boule de neige», ont également été employées et ont permis, semble-t-il, de forger des liens plus forts. Les «enclaves» créées sous l'action de ce processus au sein d'une entreprise en phase ascendante se sont distinguées en ce qu'elles se prêtaient plus aisément à une «greffe» sur de nouvelles sociétés, créées par la suite.

3.1.3.4

Dans les régions transfrontalières, y compris des nouveaux pays de l'UE, un phénomène qui se manifeste de plus en plus fréquemment consiste en la création de nouvelles filiales ou divisions d'entreprises du fait d'investisseurs dynamiques qui passent à une deuxième phase de développement dans la région. On remarque également que dans ces zones, la politique industrielle est stimulée par des réseaux d'entreprises qui fonctionnent sur un schéma transfrontalier et présentent un caractère international, par exemple, en ce qu'elles pratiquent une gestion transfrontalière interactive de leurs ressources humaines.

3.2   Facteurs de croissance et d'intégration inhérents aux mutations industrielles dans les régions transfrontalières

3.2.1

En ce qui concerne la politique industrielle, la démarche consistera à recourir à des mesures directes de stimulation et d'encouragement, ainsi qu'à instaurer une asymétrie entre les entreprises. S'agissant de la mise en œuvre de cette approche asymétrique, les firmes qui comptent des petites et moyennes entreprises en réseau rencontrent davantage de difficultés.

3.2.1.1

Comme le souligne l'exposé de M. Pedersini (voir note 5), on pourra, dans un avenir rapproché, procéder à un raccourcissement de la période de fonctionnement de l'entreprise à un horizon chronologique de moyen terme; cette évolution aura évidemment des conséquences sociales et sa réalisation devra s'accompagner de la mise en œuvre de mécanismes de protection adaptés, qui auront été arrêtés par la voie du dialogue social et économique.

3.2.2

Pour ce qui est du développement de l'UE et de l'avenir de la politique industrielle sur l'ensemble de son territoire en général et dans les régions transfrontalières en particulier, un défi d'une haute importance sera de faire face au problème des différences au niveau de la fiscalité des entreprises, en particulier en matière d'imposition des personnes morales (6).

3.2.2.1

Il importe au plus haut point de déterminer si la fiscalité des personnes morales doit faire l'objet d'une harmonisation et comment il convient de définir la base de l'imposition, soit qu'elle s'effectue en fonction du lieu où se situe le siège légal de l'entreprise (imposition selon les règles de l'État de résidence, IRER), soit qu'elle soit établie suivant une législation fiscale commune (assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés européennes, ACCIS).

3.2.2.2

Si l'on choisit la voie de l'imposition selon les règles de l'État de résidence, on évitera d'avoir à prendre un certain nombre de mesures juridiques en vue de définir l'assiette d'imposition dans les régions transfrontalières de l'UE. Les risques que recèle cette approche sont toutefois plus nombreux que ses avantages (7).

3.2.2.3

Le recours à l'option de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés européennes aboutira quant à lui à ce que tous les entrepreneurs actifs à l'échelon transnational appliqueront, pour la fixation de l'assiette d'imposition, des principes homogènes (8), quel que soit le pays où est implanté leur siège légal. Par ailleurs, cette approche ne nécessite pas de modification des réglementations nationales existantes mais implique simplement que les États conviennent d'appliquer à l'échelle de l'Union certaines règles supplémentaires nouvelles concernant les entreprises dont l'activité couvre plusieurs pays.

3.2.2.4

Ce mécanisme de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés européennes présente certaines failles, en ce que pour un même pays, deux entreprises proches du point de vue du potentiel et des parts qu'elles détiennent sur le marché national risquent bien d'employer des bases différentes pour établir leur revenu imposable.

3.2.3

Dans les régions citées, l'état actuel des infrastructures de transport et le rythme auquel elles se développent, tant en leur sein même qu'au niveau de leurs «couloirs d'accès», comptent également parmi les principaux facteurs qui influent sur le déploiement de la politique industrielle. Il importe par conséquent non seulement d'investir de manière intensive dans la construction et la modernisation du réseau régional de transport mais également de créer des entreprises de transport communes et de leur appliquer une gestion moderne en s'appuyant sur l'innovation et la recherche scientifique.

4.   Bilan et conclusions finales

4.1

Le concept de régions transfrontalières qui se caractériseraient par une nouvelle politique industrielle mise en œuvre sur leur territoire est très complexe, et ce aussi bien dans un sens général qu'en rapport avec des exemples concrets et en situation. Telle est la raison pour laquelle le Comité considère, qu'au cours du mandat de la nouvelle présidence, il convient de définir en termes distincts et précis ce que l'on entend par une «région» dans un contexte transfrontalier et industriel. Cette définition devra se référer spécifiquement aux régions situées au contact d'États qui ne sont pas membres de l'UE et tenir compte du statut de candidat à l'adhésion que ce pays voisin possède ou ne possède pas.

4.1.1

Dans le cas des régions de ce type dont l'activité prend place tout à la fois, dans une zone s'étendant sur de «nouveaux» États membres et à un point de rencontre de ces derniers avec les pays de la «vieille» Union européenne, il s'impose tout particulièrement de répondre à deux questions: d'une part où et comment tracer la ligne de partage entre les effets des changements qui ont été entrepris dans ces régions dans les années 1990 et ceux résultant des mutations enregistrées en lien avec l'adhésion à l'UE; d'autre part, avec quels résultats les instruments communautaires y ont-ils été mis en œuvre avant et après l'adhésion.

4.1.2

Les travaux qui seront réalisés par la nouvelle présidence en coopération avec le CESE devraient aussi apporter une réponse aux interrogations suivantes:

Les instruments communautaires, tant directs qu'indirects, qui sont déployés dans les régions transfrontalières n'accusent-ils pas un retard par rapport aux besoins de ces territoires et, par là même, de l'ensemble de l'UE?

Comment arriver à tirer le meilleur profit de la concorde qui a pu être observée entre employeurs et organisations syndicales et semble présider à beaucoup d'initiatives économiques dans les régions transfrontalières?

Comment peut-on agir pour contrebalancer la menace que constitue un éventuel phénomène de double délocalisation, c'est-à-dire dans un avenir assez proche, des régions transfrontalières vers les pays de l'Est de l'Europe puis, finalement, vers l'Asie?

Si l'on se soucie de remédier aux conséquences des retards dont sont affectées nombre de régions transfrontalières (et qui peuvent aussi bien s'enraciner dans leur terreau historique que résulter de l'incapacité des politiques de l'UE à épouser leurs besoins), n'est-ce pas précisément sur leur territoire qu'il conviendrait d'instaurer anticipativement certains instruments communautaires dont la mise en œuvre est programmée, en considérant que pareille démarche offrirait l'occasion de vérifier ces actions sur le terrain et aurait valeur d'initiative pilote?

4.2

Étant donné que les régions transfrontalières de l'Union élargie adoptent une démarche qui leur est propre et se caractérise:

par une volonté de réduire au maximum le coût du travail,

par la pratique du déplacement dynamique des entreprises,

par des efforts pour ramener à un «horizon chronologique moyen» la période prévue pour le fonctionnement des entreprises,

par des mutations dynamiques dans la structure de l'emploi, du fait du recours à la méthode du pas à pas,

le CESE estime qu'un enjeu d'une haute importance consistera à garantir la cohésion sociale et à éviter une surenchère à la baisse en matière de droit du travail et de normes sociales. Aussi est-il indispensable que la réalisation de ces processus aille de pair avec l'utilisation des instruments qui ressortissent au champ des relations sociales modernes et bien établies dans l'UE et, plus particulièrement, de la concertation sociale ou du dialogue entre représentants des parties prenantes.

4.2.1

Eu égard aux difficultés qui caractérisent le marché du travail dans les régions transfrontalières et résultent tout à la fois des négligences dont elles ont souffert au cours de leur histoire, des processus de restructuration et des mutations dynamiques que provoque l'application d'une politique industrielle spécifique sur leur territoire, le CESE propose qu'afin de promouvoir l'emploi et l'augmentation des qualifications, on recourre dans pareilles situations à des mécanismes qui, autrefois, ont souvent été utilisés dans l'UE pour favoriser le travail et consistent à subventionner les entreprises créatrices de postes durables.

4.2.2

Il convient d'engager cette démarche tout en mettant en place des garanties formelles qui empêchent toute malversation au détriment de l'argent public et garantissent que les emplois créés de cette façon sont incontestablement des postes nouveaux et de nature permanente. Des techniques permettant d'offrir pareilles garanties dans les marchés publics ont été discutées lors de la révision des directives de l'UE en la matière.

4.2.3

En particulier, une entreprise ne devrait pas avoir le droit de bénéficier d'aides d'État ni de subventions au titre des fonds structurels lorsque après avoir perçu des aides, elle a délocalisé des emplois ou, à la suite d'une délocalisation, licencié du personnel sur son implantation initiale sans respecter les réglementations nationales et internationales.

4.3

Le Comité observe qu'aujourd'hui comme hier, la possibilité pour les parties intéressées d'employer des ressources disponibles au titre des fonds structurels de l'UE a constitué un facteur très important, voire décisif, pour conduire et développer une politique industrielle dans les régions transfrontalières de l'Europe élargie. Il est absolument indispensable d'augmenter la part qui, dans les fonds structurels, est dédiée à ces régions, tant pour adoucir le déroulement des puissants mécanismes de transition que pour rendre possible une adaptation au dynamisme des politiques appliquées sur ces territoires.

4.3.1

C'est sur ce fondement et en se référant à son avis (9) sur le règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'institution d'un groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) que le Comité souligne avec une insistance toute particulière qu'il est indispensable de compléter les dispositions dudit règlement qui ont trait au but et à la composition du GECT par la formule «et des acteurs économiques et sociaux, ainsi que des autres organisations concernées de la société civile».

4.3.1.1

Les entités juridiques créées dans le cadre du GECT comme dans celui des autres fonds structurels devraient être responsables de la coordination des diverses sources de financement qui ouvrent la possibilité d'élaborer et mettre en oeuvre un projet réalisé au titre de ces fonds pour soutenir une politique industrielle dans la région concernée, ces moyens étant accessibles aux représentants des diverses parties intéressées au niveau régional. L'instauration de telles entités juridiques pourrait contribuer à renforcer la volonté de coopération transfrontalière, donnerait aux régions intéressées le sentiment d'être davantage les acteurs de leur propre destin et les inciterait plus fortement à harmoniser leurs législations.

4.3.2

Durant l'élaboration puis la mise en œuvre des projets alimentés par les fonds structurels, il convient de tirer parti de la possibilité qui est offerte de combiner les concours financiers publics avec des ressources privées fournies par des investisseurs sans que l'intervention de ces derniers soit qualifiée d'aide d'État illicite. Le critère déterminant à cet égard ne serait plus l'avantage retiré par l'acteur économique concerné mais celui apporté à la région, en termes d'emplois, de développement des infrastructures et de performance économique.

4.4

Le Comité considère que le développement des marchés du travail dans les régions concernées constitue un facteur qui exerce une influence non négligeable sur les mutations industrielles. Il subsiste encore des barrières temporaires à la mobilité transfrontalière des travailleurs au sein de l'Union européenne. Le Comité invite les États membres à examiner sérieusement la possibilité de raccourcir les périodes transitoires. Le déroulement de cet examen doit inclure une participation appropriée des partenaires sociaux et leur consultation à tous les niveaux pertinents.

4.4.1

Lorsqu'on s'emploie à encourager l'instauration des conditions requises pour une plus grande mobilité des travailleurs dans les régions transfrontalières, il convient également de ne pas oublier que des tensions peuvent voir le jour du fait de la nationalité ou de l'origine ethnique. Les spécificités de régions dans lesquelles des cultures et des nationalités différentes voisinent de longue date et l'expérience qu'elles ont accumulées devraient permettre mieux qu'ailleurs d'atténuer et de résoudre ces problèmes délicats. Le rôle du dialogue social et l'implication de la société civile revêtent une importance hors pair lorsqu'il s'agit de surmonter les problèmes touchant aux relations entre divers groupes nationaux, ethniques ou culturels (10).

4.5

Les activités liées aux mutations structurelles dynamiques dans les régions transfrontalières devraient bénéficier d'un accompagnement sous forme d'exercices d'expertise et d'évaluation, ainsi que d'études scientifiques, qui seraient entrepris sous les auspices des présidences successives de l'UE, car en la matière, les initiatives d'origine spontanée peuvent désormais s'avérer inefficaces ou, pis encore, déstabilisantes.

Bruxelles, le 21 avril 2006.

La Présidente

du Comité économique et social européen

Anne-Marie SIGMUND


(1)  A. ZÖLNER, intervention lors de la 216ème session de la commission des affaires étrangères du Sénat de la République de Pologne, Varsovie, le 26 octobre 2004.

(2)  JO C 133 du 31.5.1995.

(3)  JO C 39 du 12.2.1996.

(4)  JO C 39 du 12.2.1996.

(5)  Atelier de travail conjoint CCMI-EMCC, Bratislava, 17 et 18 octobre 2005, avec notamment les exposés de M. Roberto PEDERSINI et de Mme Klára FÓTI.

(6)  COM(2005) 532.

(7)  Rafał LIPNIEWICZ: «Jeden system dla wszystkich przedsiębiorców» («Un seul système pour tous les entrepreneurs»), Rzeczpospolita, 27 juillet 2004, no 174.

(8)  Ibidem.

(9)  JO C 234 du 22.9.2005.

(10)  Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, Rapport «Regional Social Capital in Europe» («Le capital social des régions en Europe»), 2005.


ANNEXE

À l'Avis du Comité économique et social européen

Les amendement suivants, qui ont recueilli plus d'un quart des suffrages exprimés, ont été repoussés au cours des débats:

Paragraphe 3.2.2.1

Modifier comme suit:

«Il importe au plus haut point de déterminer si la fiscalité des personnes morales doit faire l'objet d'une harmonisation et comment il convient de définir la base d'imposition, soit qu'elle s'effectue en fonction du lieu où se situe le siège légal de l'entreprise (imposition selon les règles de l'État de résidence, IRER), soit qu'elle soit établie suivant une législation fiscale commune (assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés européennes, ACCIS)».

Paragraphe 3.2.2.2

Biffer.

Paragraphe 3.2.2.3

Biffer.

Paragraphe 3.2.2.4

Biffer.

Exposé des motifs

Une discussion sur d'hypothétiques pistes de politique fiscale est dénuée de valeur dans le cadre de l'avis à l'examen, d'autant qu'elle est étrangère aux objectifs qui lui ont été assignés.

Résultats du vote

Voix pour: 20

Voix contre: 50

Abstentions: 3


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