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Document 62016CJ0016

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 20 février 2018.
Royaume de Belgique contre Commission européenne.
Pourvoi – Protection des consommateurs – Services de jeux d’argent et de hasard en ligne – Protection des consommateurs et des joueurs et prévention de ces jeux chez les mineurs – Recommandation 2014/478/UE de la Commission – Acte de l’Union juridiquement non contraignant – Article 263 TFUE.
Affaire C-16/16 P.

Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:79

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

20 février 2018 ( *1 )

« Pourvoi – Protection des consommateurs – Services de jeux d’argent et de hasard en ligne – Protection des consommateurs et des joueurs et prévention de ces jeux chez les mineurs – Recommandation 2014/478/UE de la Commission – Acte de l’Union juridiquement non contraignant – Article 263 TFUE »

Dans l’affaire C‑16/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 6 janvier 2016,

Royaume de Belgique, représenté par Mmes L. Van den Broeck, M. Jacobs et J. Van Holm, en qualité d’agents, assistées de Mes P. Vlaemminck, B. Van Vooren, R. Verbeke et J. Auwerx, advocaten,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. F. Wilman et Mme H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. L. da Cruz Vilaça, J. Malenovský et E. Levits, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet, J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme C. Toader (rapporteur), MM. C. Lycourgos et M. Vilaras, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 décembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, le Royaume de Belgique demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 27 octobre 2015, Belgique/Commission (T‑721/14, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2015:829), par laquelle ce dernier a rejeté comme irrecevable son recours ayant pour objet l’annulation de la recommandation 2014/478/UE de la Commission, du 14 juillet 2014, relative à des principes pour la protection des consommateurs et des joueurs dans le cadre des services de jeux d’argent et de hasard en ligne et pour la prévention des jeux d’argent et de hasard en ligne chez les mineurs (JO 2014, L 214, p. 38, ci-après la « recommandation litigieuse »).

Le cadre juridique

2

L’article 263, premier alinéa, TFUE énonce :

« La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil [de l’Union européenne], de la Commission [européenne] et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. »

3

Sous une section intitulée « Les actes juridiques de l’Union », l’article 288 TFUE dispose :

« Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.

Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.

La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.

La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci.

Les recommandations et les avis ne lient pas. »

4

L’article 1er du règlement no 1 du Conseil, du 15 avril 1958, portant fixation du régime linguistique de la Communauté économique européenne (JO 1958, 17, p. 385), tel que modifié par le règlement (UE) no 517/2013 du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 1), prévoit :

« Les langues officielles et les langues de travail des institutions de l’Union sont l’allemand, l’anglais, le bulgare, le croate, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’irlandais, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois et le tchèque. »

Les antécédents du litige

5

Le 14 juillet 2014, la Commission européenne a adopté, en vertu de l’article 292 TFUE, la recommandation litigieuse.

6

Il ressort du considérant 9 de cette recommandation que son objectif est de « protéger la santé des consommateurs et des joueurs et donc également de réduire autant que possible le préjudice économique que pourrait entraîner un comportement de jeu compulsif ou excessif ».

7

Le point I, intitulé « Finalité », de ladite recommandation est rédigé comme suit :

« 1.

Il est recommandé aux États membres d’adopter des principes sur les services de jeux d’argent et de hasard en ligne et pour des communications commerciales responsables sur ces services, afin de garantir aux consommateurs, aux joueurs et aux mineurs un niveau élevé de protection, visant à protéger la santé et à réduire autant que possible le préjudice économique que peut entraîner un comportement de jeu excessif ou compulsif.

2.

La présente recommandation est sans préjudice du droit des États membres de réglementer les services de jeux d’argent et de hasard. »

8

Les points III à X de la même recommandation ont trait, respectivement, aux « Exigences d’information », aux « Mineurs », à l’« Enregistrement du joueur et [à l’]ouverture d’un compte de joueur », à l’« Activité du joueur et [au] soutien », à la « Sortie temporaire et [à l’]auto-exclusion », aux « Communications commerciales », au « Parrainage » ainsi qu’à l’« Éducation et [à la] sensibilisation ».

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

9

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 octobre 2014, le Royaume de Belgique a introduit un recours tendant à l’annulation de la recommandation litigieuse.

10

Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2014, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991. Le Royaume de Belgique a déposé ses observations sur cette exception le 20 février 2015.

11

La Commission excipait de l’irrecevabilité du recours introduit devant le Tribunal au motif que la recommandation litigieuse ne constitue pas un acte susceptible de recours au titre de l’article 263 TFUE. En substance, elle estimait que, tant dans sa forme que dans son contenu, la recommandation litigieuse est une « véritable » recommandation au sens de l’article 288 TFUE, laquelle ne lie pas et n’impose aucune obligation contraignante. En attesteraient la présentation formelle de cette recommandation fondée sur l’article 292 TFUE ainsi que sa formulation en termes non impératifs et conditionnels. La Commission ajoutait qu’aucun des arguments soulevés par le Royaume de Belgique dans la requête n’est susceptible d’invalider cette qualification de la recommandation litigieuse comme étant un acte non susceptible de recours.

12

Le Royaume de Belgique considérait le recours comme recevable. En substance, s’appuyant notamment sur les arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit  AETR  (22/70, EU:C:1971:32) et du 13 décembre 1989, Grimaldi (C‑322/88, EU:C:1989:646), ainsi que sur le principe de protection juridictionnelle effective, il faisait observer que la recommandation litigieuse doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Premièrement, il alléguait que cette recommandation produit des « effets juridiques négatifs » dès lors que, comme cela ressortait des premier, troisième et quatrième moyens soulevés dans sa requête, elle viole des principes fondamentaux du droit de l’Union, à savoir le principe de la compétence d’attribution et l’obligation de coopération loyale entre institutions de l’Union ainsi qu’entre celles-ci et les États membres. Deuxièmement, il faisait observer, dans le cadre des deuxième et cinquième moyens soulevés à l’appui de son recours, que la recommandation litigieuse procède de l’intention d’harmoniser l’application des dispositions des articles 49 et 56 TFUE dans le domaine des jeux de hasard et constitue, en réalité, une directive cachée, ce qu’il appartiendrait aux juridictions de l’Union de contrôler. Il ajoutait que la recommandation litigieuse produit des effets juridiques indirects, dès lors que, d’une part, les États membres sont tenus, en raison de leur obligation de coopération loyale, par une obligation de moyens de la respecter et que, d’autre part, les juridictions nationales devront prendre cette recommandation en considération.

13

Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 12 et 16 janvier 2015, la République hellénique et la République portugaise ont demandé à intervenir dans cette procédure au soutien des conclusions du Royaume de Belgique.

14

Par l’ordonnance attaquée, prise en application de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, ce dernier a accueilli l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Le Tribunal a en effet jugé que la recommandation litigieuse ne produit pas et n’est pas destinée à produire des effets de droit obligatoires, de sorte qu’elle ne saurait être qualifiée d’« acte attaquable », au sens de l’article 263 TFUE. Il a, en conséquence, rejeté le recours comme irrecevable et décidé qu’il n’y avait pas lieu, partant, de statuer sur les demandes d’intervention.

Les conclusions des parties

15

Par son pourvoi, le Royaume de Belgique demande à la Cour :

d’annuler dans son intégralité l’ordonnance attaquée ;

de déclarer recevable le recours en annulation ;

de juger l’affaire au fond ;

de déclarer recevables les demandes d’intervention de la République hellénique et de la République portugaise, et

de condamner la Commission aux dépens.

16

La Commission demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi et

de condamner le Royaume de Belgique aux dépens.

Sur le pourvoi

17

À l’appui de son pourvoi, le Royaume de Belgique invoque trois moyens.

Sur les premier et deuxième moyens

Argumentation des parties

18

Dans le cadre du premier moyen, le Royaume de Belgique fait valoir que l’adoption de tout acte juridique, au sens de l’article 288 TFUE, suffit en soi pour produire des effets juridiques susceptibles de justifier un contrôle de légalité au titre de l’article 263 TFUE. L’exclusion des recommandations du champ d’application de ce contrôle devrait faire l’objet d’une interprétation stricte. Par conséquent, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal dans l’ordonnance attaquée, il devrait être possible de soumettre au juge de l’Union la vérification du respect, par l’institution qui a adopté la recommandation litigieuse, des principes d’attribution des compétences, de coopération loyale et de l’équilibre institutionnel, qui revêtent une importance fondamentale dans le cadre de la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, ainsi qu’entre les institutions de l’Union. Même en présence d’une véritable recommandation, le Tribunal serait ainsi compétent pour vérifier si lesdits principes n’ont pas été méconnus lors de l’adoption de cette recommandation, sans que cela exige un contrôle complet du contenu matériel de cette dernière.

19

À cet égard, le Royaume de Belgique soutient que l’article 292 TFUE, au visa duquel la recommandation litigieuse a été adoptée, ne constitue pas une base juridique matérielle, mais uniquement une base juridique procédurale conférant non seulement à la Commission, mais également au Conseil, la compétence pour adopter des recommandations. Le respect du principe de l’équilibre institutionnel impliquerait, par conséquent, que le juge de l’Union puisse vérifier si la Commission disposait, en l’occurrence, d’une base juridique matérielle pour adopter la recommandation litigieuse.

20

Le Royaume de Belgique fait également valoir qu’il découle de l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit  AETR  (22/70, EU:C:1971:32), que le juge de l’Union doit pouvoir vérifier, dès le stade de l’appréciation de la recevabilité du recours en annulation, si l’acte attaqué est susceptible de produire des effets juridiques à l’égard des prérogatives des autres institutions de l’Union et des États membres, sans devoir statuer au fond sur la validité de cet acte.

21

Dans le cadre du deuxième moyen, le Royaume de Belgique soutient que l’ordonnance attaquée, en particulier ses points 53 à 55, aboutit à une inégalité procédurale en ce qu’il ne lui serait pas permis de faire contrôler par le juge de l’Union le respect, par la Commission, du principe de coopération loyale, alors que cette institution aurait, pour sa part, la possibilité de soumettre au contrôle juridictionnel la conformité à ce principe d’actes juridiques, fussent-ils dépourvus d’effets contraignants.

22

Le Royaume de Belgique fait également valoir que la conclusion tirée par le Tribunal au point 52 de l’ordonnance attaquée n’est pas conciliable avec les enseignements découlant des arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, EU:C:1986:166), et du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C‑70/88, EU:C:1990:217), selon lesquels un recours en annulation doit être déclaré recevable, même en l’absence de disposition à cet effet dans les traités, lorsqu’il tend à faire contrôler le respect par une institution de l’Union des principes fondamentaux de l’ordre juridique de celle-ci.

23

Le Royaume de Belgique relève encore que, dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Conseil/Commission (C‑73/14, EU:C:2015:663), la Cour n’a pas mis en doute la recevabilité du recours en annulation alors que l’objet de ce recours concernait la position de l’Union dans le cadre d’une procédure d’avis consultatif dépourvue d’effet contraignant.

24

La Commission propose de rejeter ces moyens.

Appréciation de la Cour

25

En premier lieu, en ce que les deux premiers moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, sont tirés d’une erreur de droit commise par le Tribunal du fait d’avoir considéré que la recommandation litigieuse ne produit pas d’effets juridiques susceptibles de justifier un contrôle de légalité au titre de l’article 263 TFUE, il importe de rappeler que, aux termes du premier alinéa de cet article, la Cour contrôle la légalité, notamment, des actes du Conseil, de la Commission et de la BCE, « autres que les recommandations ».

26

En instituant les recommandations comme catégorie particulière d’actes de l’Union et en prévoyant expressément qu’elles « ne lient pas », l’article 288 TFUE a entendu investir les institutions habilitées à les adopter d’un pouvoir d’incitation et de persuasion, distinct du pouvoir d’adopter des actes dotés d’une force obligatoire.

27

Dans ce contexte, c’est à juste titre que, au point 17 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal, en s’appuyant sur une jurisprudence bien établie de la Cour, a jugé qu’ « échappe au contrôle juridictionnel prévu à l’article 263 TFUE tout acte ne produisant pas d’effets juridiques obligatoires, tels que [...] les simples recommandations ».

28

Contrairement à ce que soutient le Royaume de Belgique, il ne suffit donc pas qu’une institution adopte une recommandation prétendument en méconnaissance de certains principes ou règles procédurales pour que cette recommandation soit susceptible d’un recours en annulation, alors qu’elle ne produit pas d’effets juridiques obligatoires.

29

Toutefois, à titre exceptionnel, l’impossibilité de former un recours en annulation contre une recommandation ne vaut pas si l’acte attaqué, par son contenu, ne constitue pas une véritable recommandation.

30

À cet égard, lors de l’analyse du contenu de l’acte attaqué visant à déterminer si celui-ci produit des effets de droit obligatoires, il doit être tenu compte du fait que, ainsi qu’il a été rappelé au point 25 du présent arrêt, les recommandations sont, conformément à l’article 263 TFUE, exclues du champ d’application de cette disposition et que, en vertu de l’article 288, cinquième alinéa, TFUE, elles n’ont pas de force obligatoire.

31

Cela étant précisé, il convient de rappeler que sont considérées comme des « actes attaquables », au sens de l’article 263 TFUE, toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit  AETR , 22/70, EU:C:1971:32, points 39 et 42, ainsi que du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C‑599/15 P, EU:C:2017:801, point 47 et jurisprudence citée).

32

Pour déterminer si l’acte attaqué produit des effets de droit obligatoires, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier lesdits effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de ce même acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 55 et jurisprudence citée, ainsi que du 25 octobre 2017, Slovaquie/Commission, C‑593/15 P et C‑594/15 P, EU:C:2017:800, point 47).

33

En l’occurrence, au point 18 de l’ordonnance attaquée, afin de déterminer si la recommandation litigieuse était susceptible de produire de tels effets et, partant, de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, le Tribunal a examiné son libellé et le contexte dans lequel elle s’inscrit, son contenu ainsi que l’intention de son auteur.

34

Plus particulièrement, le Tribunal a considéré, premièrement, au point 21 de l’ordonnance attaquée, que « la recommandation litigieuse est libellée pour l’essentiel, en des termes non impératifs », ainsi qu’il ressort de l’analyse qu’il a opérée aux points 22 et 23 de l’ordonnance attaquée. À cet égard, il a précisé, aux points 26 et 27 de cette ordonnance, que certaines versions linguistiques de ladite recommandation, bien que comportant partiellement des termes plus impératifs, sont néanmoins rédigées de manière essentiellement non contraignante.

35

Deuxièmement, le Tribunal a relevé, au point 29 de cette ordonnance, « qu’il ressort également du contenu de la recommandation litigieuse que cet acte n’est aucunement destiné à produire des effets juridiques contraignants et que la Commission n’a nullement eu l’intention de lui conférer de tels effets ». En particulier, il est rappelé, au point 31 de l’ordonnance attaquée, que, « au paragraphe 2 de la recommandation litigieuse, il est explicitement précisé que celle-ci est sans préjudice du droit des États membres de réglementer les services de jeux d’argent et de hasard ». Par ailleurs, au point 32 de ladite ordonnance, il est souligné que la recommandation litigieuse ne comporte aucune indication explicite selon laquelle les États membres seraient tenus d’adopter et d’appliquer les principes qu’elle énonce.

36

Le Tribunal a, troisièmement, constaté, au point 36 de ladite ordonnance, en ce qui concerne le contexte dans lequel la recommandation litigieuse s’inscrit, que, « sans que cela soit contesté par le Royaume de Belgique », il résulte d’un extrait de la communication COM(2012) 596 final de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, du 23 octobre 2012, intitulée « Vers un cadre européen global pour les jeux de hasard en ligne », que, « [d]ans l’ensemble, il ne semble pas opportun, à ce stade, de proposer une législation de l’[Union] spécifique au secteur des jeux de hasard en ligne ».

37

C’est, partant, au terme d’une analyse menée à suffisance de droit du libellé, du contenu et de la finalité de la recommandation litigieuse ainsi que du contexte dans lequel celle-ci s’inscrit que le Tribunal a pu valablement conclure, au point 37 de l’ordonnance attaquée, que ladite recommandation « ne produit ni n’est destinée à produire des effets de droit obligatoires, en sorte qu’elle ne saurait être qualifiée d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE ».

38

L’analyse qui précède n’est pas remise en cause, premièrement, par l’argument du Royaume de Belgique tiré de ce que, dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Conseil/Commission (C‑73/14, EU:C:2015:663), la Cour n’a pas mis en doute la recevabilité du recours en annulation du Conseil, alors que ce recours concernait la présentation d’une position de l’Union dans le cadre d’une procédure d’avis consultatif dépourvue d’effet contraignant. En effet, il suffit de relever que ledit recours était dirigé, non pas contre une recommandation, au sens de l’article 288, cinquième alinéa, TFUE, mais contre une décision de la Commission produisant, conformément à l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, des effets juridiques obligatoires. Du reste, tirer prétexte du fait que cette décision a été prise dans le cadre de la participation à une telle procédure revient, comme l’a souligné à juste titre la Commission, à confondre erronément la nature des effets de ladite décision et la nature de la procédure d’avis consultatif en cause.

39

Deuxièmement, dans la mesure où le premier moyen est pris d’une violation, par le Tribunal, de la portée des principes d’attribution des compétences, de coopération loyale ainsi que de l’équilibre institutionnel, il convient de relever que le Royaume de Belgique reproche, ce faisant, au Tribunal de ne pas avoir déduit le caractère attaquable de la recommandation litigieuse de la supposée méconnaissance par la Commission desdits principes. Or, comme il a été souligné au point 28 du présent arrêt, un tel raisonnement ne peut être retenu.

40

En outre, en ce que le deuxième moyen est pris d’une méconnaissance, par le Tribunal, de la supposée réciprocité du principe de coopération loyale, il y a lieu de relever, d’une part, que, comme l’a souligné, en substance, le Tribunal au point 55 de l’ordonnance attaquée, le recours en manquement et le recours en annulation constituent des voies de droit ayant des objets différents et répondant à des conditions de recevabilité différentes et, d’autre part, que le principe de coopération loyale ne peut aboutir à écarter les conditions de recevabilité expressément prévues à l’article 263 TFUE.

41

Troisièmement, l’argument du Royaume de Belgique, tiré de ce que, dans l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit  AETR  (22/70, EU:C:1971:32), la Cour, aux fins de se prononcer sur la recevabilité du recours en annulation, a examiné si l’acte du Conseil en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était susceptible d’avoir des effets juridiques à l’égard des prérogatives des autres institutions de l’Union et des États membres, n’est pas de nature à infirmer la considération figurant au point 37 du présent arrêt.

42

En effet, il suffit de relever, à cet égard, que cet acte était une délibération du Conseil consignée dans un procès-verbal, dont la Cour, aux fins d’apprécier le caractère attaquable, a vérifié s’il était destiné à produire des effets juridiques obligatoires. En revanche, la présente affaire concerne une recommandation, laquelle est expressément exclue, aux termes de l’article 263, premier alinéa, TFUE, du champ d’application du contrôle de légalité prévu à cet article 263, ainsi que la Cour l’a d’ailleurs rappelé, aux points 38 et 39 de l’arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit  AETR  (22/70, EU:C:1971:32), dans le contexte de l’article 173 CEE (devenu article 173 CE, lui-même devenu article 230 CE). Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 33 à 37 du présent arrêt, le Tribunal a examiné si la recommandation litigieuse était destinée à produire des effets juridiques obligatoires et a jugé, à juste titre, que tel n’était pas le cas.

43

En second lieu, en ce que les deux premiers moyens sont tirés d’une violation de l’article 263 TFUE au motif que le Tribunal a exclu, par l’ordonnance attaquée, que la recommandation litigieuse puisse faire l’objet d’un contrôle de légalité au titre de cet article, ce qui serait contraire aux exigences découlant des arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, EU:C:1986:166), et du 22 mai 1990, Parlement/Conseil (C‑70/88, EU:C:1990:217), il importe de souligner que, à la différence des affaires ayant donné lieu à ces deux arrêts, la présente affaire est caractérisée, non pas par l’absence, dans les traités, d’une disposition prévoyant le droit d’introduire un recours en annulation tel que celui en cause en l’espèce, mais par l’existence d’une disposition expresse, à savoir l’article 263, premier alinéa, TFUE, qui exclut les recommandations du champ d’application du recours en annulation, dès lors que ces actes ne produisent pas d’effets juridiques obligatoires, ce que le Tribunal a, à juste titre, constaté en l’espèce.

44

Par ailleurs, bien que l’article 263 TFUE exclue le contrôle de la Cour sur les actes ayant la nature d’une recommandation, l’article 267 TFUE lui attribue la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union, sans exception aucune (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi, C‑322/88, EU:C:1989:646, point 8, ainsi que du 13 juin 2017, Florescu e.a., C‑258/14, EU:C:2017:448, point 30).

45

Il s’ensuit que les premier et deuxième moyens doivent être rejetés dans leur intégralité.

Sur le troisième moyen

Argumentation des parties

46

Par son troisième moyen, le Royaume de Belgique soutient que le Tribunal, après avoir constaté que la recommandation litigieuse est rédigée en des termes impératifs dans ses versions en langues allemande et néerlandaise, aurait dû reconnaître que cette recommandation vise à produire des effets de droit obligatoires à tout le moins à son égard.

47

Selon la Commission, ce moyen doit être rejeté, dans la mesure où, en se fondant sur une critique textuelle portant uniquement sur certaines versions linguistiques, ledit moyen méconnaît le principe d’interprétation uniforme des dispositions du droit de l’Union.

Appréciation de la Cour

48

Ainsi qu’il résulte de l’article 1er du règlement no 1, tel que modifié par le règlement no 517/2013, toutes les langues officielles de l’Union que cette disposition énumère constituent les langues authentiques des actes dans lesquelles ils sont rédigés.

49

Il s’ensuit que toutes les versions linguistiques d’un acte de l’Union doivent, par principe, se voir reconnaître la même valeur. Afin de préserver l’unité d’interprétation du droit de l’Union, il importe dès lors, en cas de divergences entre ces versions, d’interpréter la disposition concernée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, EMU Tabac e.a., C‑296/95, EU:C:1998:152, point 36, et du 20 novembre 2003, Kyocera, C‑152/01, EU:C:2003:623, points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

50

Ainsi, la formulation utilisée dans une des versions linguistiques d’un acte ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cet acte ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Une telle approche serait en effet incompatible avec l’exigence d’uniformité d’application du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2009, Zurita García et Choque Cabrera, C‑261/08 et C‑348/08, EU:C:2009:648, point 55 et jurisprudence citée, ainsi que du 9 mars 2017, GE Healthcare, C‑173/15, EU:C:2017:195, point 65 et jurisprudence citée).

51

En l’occurrence, comme il ressort du point 34 du présent arrêt, le Tribunal a procédé, dans l’ordonnance attaquée, à un examen comparé des différentes versions linguistiques de la recommandation litigieuse et il en a conclu que celle-ci est libellée, pour l’essentiel, en des termes non impératifs.

52

En outre, ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, c’est au terme d’une analyse menée à suffisance de droit du libellé et du contenu de la recommandation litigieuse, ainsi que du contexte dans lequel elle s’inscrit, que le Tribunal a pu valablement décider, au point 37 de l’ordonnance attaquée, que cette recommandation « ne produit ni n’est destinée à produire des effets de droit obligatoires, en sorte qu’elle ne saurait être qualifiée d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE ».

53

Dès lors, le troisième moyen ne saurait prospérer.

54

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

Sur les dépens

55

L’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour prévoit que, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Belgique aux dépens et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

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