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Document 62022CJ0197

Judgment of the Court (Tenth Chamber) of 7 September 2023.
European Commission v Italian Republic.
Case C-197/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:642

ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

7 septembre 2023 (*)

« Manquement d’État – Environnement – Directive 98/83/CE – Eaux destinées à la consommation humaine – Article 4, paragraphe 1, sous b) – Mesures nécessaires pour assurer la qualité des eaux – Conformité aux exigences minimales spécifiées à l’annexe I, parties A et B – Article 8, paragraphe 2 – Adoption des mesures correctives nécessaires le plus rapidement possible – Obligation de résultat – Annexe I, partie B – Valeurs paramétriques d’arsenic et de fluorures – Concentrations supérieures à ces valeurs – Persistance des dépassements »

Dans l’affaire C‑197/22

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 11 mars 2022,

Commission européenne, représentée par M. G. Gattinara et Mme E. Sanfrutos Cano, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. E. Feola et de Mme M. Russo, avvocati dello Stato,

partie défenderesse,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias (rapporteur), président de chambre, MM. I. Jarukaitis et Z. Csehi, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République italienne :

–        en n’ayant pas pris de mesures visant à assurer le respect des valeurs paramétriques indiquées à l’annexe I, partie B, de la directive 98/83/CE du Conseil, du 3 novembre 1998, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (JO 1998, L 330, p. 32), d’une part, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans les eaux de la commune de Bagnoregio (Italie), à partir de l’année 2018, de la commune de Civitella d’Agliano (Italie), au premier semestre de l’année 2018, au second semestre de l’année 2019 et à partir de l’année 2020, à l’exception du second semestre de l’année 2021, de la commune de Fabrica di Roma (Italie), en 2013 et à partir de l’année 2015, de la commune de Farnese (Italie), en 2013 et à partir de l’année 2018, de la commune de Ronciglione (Italie), en 2013, au premier semestre de l’année 2018 et au premier semestre de l’année 2019, puis à partir de l’année 2020, et de la commune de Tuscania (Italie), de l’année 2018 à aujourd’hui, à l’exception du premier semestre de l’année 2019, et, d’autre part, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de la commune de Bagnoregio, de l’année 2018 au premier semestre de l’année 2019, et de la commune de Fabrica di Roma, en 2018, au premier semestre de l’année 2019 et au second semestre de l’année 2021, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe I, partie B, de la directive 98/83, et

–        en n’ayant pas pris les mesures nécessaires le plus rapidement possible pour rétablir la qualité des eaux destinées à la consommation humaine dans les communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans ces eaux, et dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de ces dernières, a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        Les considérants 5, 12, 13 et 25 de la directive 98/83 énonçaient :

« (5)      considérant que des normes communautaires concernant des paramètres essentiels et préventifs de qualité tenant à la salubrité des eaux destinées à la consommation humaine sont nécessaires, parallèlement à d’autres mesures communautaires, pour définir des objectifs minimaux de qualité fixés en matière d’environnement et garantir et encourager l’exploitation durable des eaux destinées à la consommation humaine ;

[...]

(12)      considérant qu’il est nécessaire de fixer, pour les substances importantes dans l’ensemble de la Communauté [européenne], des valeurs paramétriques particulières suffisamment strictes pour garantir que l’objectif de la directive puisse être atteint ;

(13)      considérant que les valeurs paramétriques reposent sur les connaissances scientifiques disponibles et que le principe de précaution a également été pris en considération ; que ces valeurs ont été choisies pour garantir que les eaux destinées à la consommation humaine peuvent être consommées sans danger pendant toute une vie et qu’elles offrent donc un degré élevé de protection sanitaire ;

[...]

(25)      considérant qu’il y a lieu que, en cas de non-respect des exigences de la présente directive, l’État membre concerné recherche les causes et veille à ce que les mesures correctives nécessaires soient prises le plus rapidement possible afin de rétablir la qualité des eaux ».

3        L’article 1er de cette directive, intitulé « Objectif », disposait, à son paragraphe 2 :

« L’objectif de la directive est de protéger la santé des personnes des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine en garantissant la salubrité et la propreté de celles‑ci. »

4        L’article 4 de ladite directive, intitulé « Obligations générales », prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des obligations qui leur incombent au titre d’autres dispositions communautaires, les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer la salubrité et la propreté des eaux destinées à la consommation humaine. Pour satisfaire aux exigences minimales de la présente directive, les eaux destinées à la consommation humaine sont salubres et propres si elles :

[...]

b)      sont conformes aux exigences minimales spécifiées à l’annexe I, parties A et B,

et si, conformément aux dispositions pertinentes des articles 5 à 8 et 10 et conformément au traité, les États membres prennent toutes les autres mesures nécessaires pour garantir que les eaux destinées à la consommation humaine satisfont aux exigences de la présente directive. »

5        L’article 5 de la même directive, intitulé « Normes de qualité », énonçait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Les États membres fixent, pour les paramètres figurant à l’annexe I les valeurs applicables aux eaux destinées à la consommation humaine.

2.      Les valeurs fixées conformément au paragraphe 1 ne sont pas moins strictes que celles figurant à l’annexe I. [...] »

6        L’article 6 de la directive 98/83, intitulé « Point de conformité », disposait, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Les valeurs paramétriques fixées conformément à l’article 5 doivent être respectées :

a)      pour les eaux fournies par un réseau de distribution, au point où, à l’intérieur de locaux ou d’un établissement, elles sortent des robinets qui sont normalement utilisés pour la consommation humaine

[...]

2.      En ce qui concerne les eaux visées au paragraphe 1, point a), les États membres sont réputés avoir rempli leurs obligations au titre du présent article ainsi qu’au titre [de l’article 4 et de l’article]  8, paragraphe 2, lorsqu’il peut être établi que le non‑respect des valeurs paramétriques fixées en vertu de l’article 5 est imputable à l’installation privée de distribution ou à son entretien, sauf dans les locaux et établissements où l’eau est fournie au public, tels que les écoles, les hôpitaux et les restaurants. »

7        L’article 8 de cette directive, intitulé « Mesures correctives et restrictions d’utilisation », prévoyait, à son paragraphe 2 :

« Si, malgré les mesures prises pour satisfaire aux obligations imposées par l’article 4, paragraphe 1, les eaux destinées à la consommation humaine ne satisfont pas aux valeurs paramétriques fixées, conformément à l’article 5, et sous réserve de l’article 6, paragraphe 2, l’État membre concerné veille à ce que les mesures correctives nécessaires soient prises le plus rapidement possible afin de rétablir la qualité et accorde la priorité à leur application, compte tenu, entre autres, de la mesure dans laquelle la valeur paramétrique pertinente a été dépassée et du danger potentiel pour la santé des personnes. »

8        L’article 9 de ladite directive, intitulé « Dérogations », énonçait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres peuvent prévoir des dérogations aux valeurs paramétriques fixées à l’annexe I, partie B [...] »

9        Aux termes de l’article 14 de la même directive, intitulé « Délai de mise en conformité » :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que la qualité des eaux destinées à la consommation humaine soit conforme à la présente directive, dans un délai de cinq ans à partir de son entrée en vigueur [...] »

10      L’article 15 de la directive 98/83, intitulé « Cas exceptionnels », disposait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres peuvent, dans des cas exceptionnels et pour des zones géographiquement délimitées, introduire auprès de la Commission une demande particulière visant à obtenir une prolongation du délai prévu à l’article 14. [...] »

11      L’article 17 de cette directive, intitulé « Transposition en droit national », disposait, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive dans un délai de deux ans à compter de la date de son entrée en vigueur. [...] »

12      L’annexe I de ladite directive, intitulée « Paramètres et valeurs paramétriques », prévoyait, dans sa partie B, relative aux « paramètres chimiques », les valeurs paramétriques de 10 μg/l (microgramme par litre) pour l’arsenic et de 1,5 mg/l (milligramme par litre) pour les fluorures.

13      La directive 98/83 a été abrogée par la directive (UE) 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (JO 2020, L 435, p. 1), avec effet au 13 janvier 2023.

 Le droit italien

14      La directive 98/83 a été transposée dans le droit italien par le decreto legislativo n. 31 – Attuazione della direttiva 98/83/CE relativa alla qualità delle acque destinate al consumo umano (décret législatif n° 31, portant mise en œuvre de la directive 98/83/CE relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine), du 2 février 2001 (supplément ordinaire à la GURI n° 52, du 3 mars 2001).

15      En vertu des articles 6 et 10 de ce décret législatif, il incombe à l’autorité sanitaire locale (ci‑après l’« ASL ») de contrôler le respect des paramètres qualitatifs des eaux, d’apprécier l’adéquation des mesures prises à cette fin ainsi que de proposer des mesures appropriées au maire compétent.

16      Les valeurs paramétriques fixées par ledit décret législatif pour l’arsenic et les fluorures sont identiques à celles prévues à l’annexe I, partie B, de la directive 98/83.

 La procédure précontentieuse

17      Dans le cadre d’une procédure EU Pilot, la Commission a demandé aux autorités italiennes de lui fournir des informations sur les dépassements persistants des valeurs paramétriques pour l’arsenic et les fluorures dans les eaux destinées à la consommation humaine de certaines communes italiennes. Ces autorités ont confirmé l’existence de ces dépassements dans leurs courriers reçus par la Commission les 24 février et 6 mai 2014.

18      Le 11 juillet 2014, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République italienne, dans laquelle, en particulier, elle attirait son attention sur les dépassements persistants des valeurs pour l’arsenic et les fluorures, enregistrés à la date du 31 décembre 2013, pour 37 communes italiennes correspondant à des zones d’approvisionnement en eau et, notamment, en ce qui concernait les concentrations en arsenic, pour les communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione ainsi que de Tuscania, et, en ce qui concernait les concentrations en fluorures, pour les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma. Cette lettre relevait, en outre, que ces concentrations atteignaient des niveaux très élevés.

19      Par courriers des 16 septembre et 19 septembre 2014, les autorités italiennes ont, d’une part, confirmé les dépassements des valeurs relatives à l’arsenic et aux fluorures dans les communes concernées et, d’autre part, informé la Commission des mesures qu’elles avaient prises.

20      Compte tenu de la persistance des dépassements de ces valeurs dans ces communes et à la suite des demandes de la Commission, les autorités italiennes ont fourni à cette dernière des informations actualisées dans les courriers des 17 mars, 4 mai et 18 décembre 2015 ainsi que dans les courriers des 11 mai, 31 août et 8 novembre 2016, du 26 octobre 2017 et du 16 février 2018. Il ressortait, en substance, de ces courriers, d’une part, que les installations d’épuration des eaux nécessaires au respect desdites valeurs n’étaient pas achevées dans certaines des communes concernées par la procédure d’infraction et, d’autre part, que les dépassements de ces mêmes valeurs perduraient.

21      Par une note du 26 juin 2018, confirmée par une note du 10 décembre 2018, les autorités italiennes ont informé la Commission de la persistance des dépassements des valeurs en cause dans les communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, dans lesquelles les installations d’épuration des eaux nécessaires au respect de ces valeurs n’avaient pas encore été transférées à la société en charge de l’exploitation de telles installations dans la province de Viterbe (Italie). En outre, dans la seconde de ces notes, les autorités italiennes demandaient le classement de la procédure d’infraction.

22      Compte tenu de la persistance de la situation d’infraction, la Commission a émis, le 25 janvier 2019, un avis motivé, dans lequel elle a, notamment, estimé que, en n’ayant pas pris de mesures visant à assurer le respect desdites valeurs dans seize communes de la région du Latium (Italie), dont les six communes visées par le présent recours, la République italienne avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/83, lu en combinaison avec l’annexe I de celle-ci, et que, en n’ayant pas pris des mesures correctives le plus rapidement possible, elle avait manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de ladite directive. La Commission a, partant, invité la République italienne à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

23      Le 25 mars 2019, date à laquelle ce délai a expiré, les autorités italiennes ont répondu à la Commission en confirmant les dépassements des valeurs en cause dans certaines des communes concernées et en précisant que ces dépassements étaient imputables à des problèmes de gestion des installations d’épuration des eaux par les administrations municipales. En outre, elles ont indiqué que le transfert de la gestion des installations d’épuration des eaux à un exploitant interviendrait dans un délai d’au moins trois mois à compter du 25 mars 2019 et que la mise en conformité ultérieure avec ces valeurs nécessiterait un délai supplémentaire de six mois. Finalement, elles ont exposé que lesdits problèmes de gestion avaient été résolus par la prise de mesures visant à permettre à la région du Latium d’exercer ses pouvoirs de substitution et que les communes concernées avaient adopté des arrêtés spécifiques de non‑potabilité.

24      Cependant, en ce qui concerne, en particulier, les teneurs en arsenic et en fluorures dans les eaux des six communes visées par le présent recours, la Commission a considéré que les données mises à disposition sur le site Internet de l’ASL faisaient apparaître que les dépassements des valeurs paramétriques relatives à ces polluants avaient persisté en 2019, en 2020 et en 2021, qui est la dernière année pour laquelle de telles données étaient disponibles.

25      Dans ces conditions, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur le premier grief, tiré d’une violation des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe I, partie B, de la directive 98/83

 Argumentation des parties

26      Par son premier grief, la Commission demande à la Cour de constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe I, partie B, de la directive 98/83, en n’ayant pas pris de mesures visant à assurer le respect des valeurs paramétriques fixées par cette dernière, d’une part, en ce qui concerne la présence d’arsenic dans les eaux de la commune de Bagnoregio, à partir de l’année 2018, dans la commune de Civitella d’Agliano, au premier semestre de l’année 2018, au second semestre de l’année 2019 et à partir de l’année 2020, à l’exception du second semestre de l’année 2021, dans la commune de Fabrica di Roma en 2013 et à partir de l’année 2015, dans la commune de Farnese en 2013 et à partir de l’année 2018, dans la commune de Ronciglione en 2013, au premier semestre de l’année 2018 et au premier semestre de l’année 2019, puis à partir de l’année 2020, dans la commune de Tuscania, de l’année 2018 à aujourd’hui, à l’exception du premier semestre de l’année 2019, et, d’autre part, en ce qui concerne la présence des fluorures dans les eaux de la commune de Bagnoregio, de l’année 2018 au premier semestre de l’année 2019, et dans la commune de Fabrica di Roma, en 2018, au premier semestre de l’année 2019 et au second semestre de l’année 2021.

27      À cet égard, en premier lieu, la Commission fait observer que, si, à l’expiration du délai indiqué dans l’avis motivé, à savoir le 25 mars 2019, les données relatives aux teneurs en arsenic et en fluorures présentes dans les eaux des communes de Civitella d’Agliano et de Tuscania, communiquées par les autorités italiennes, étaient inférieures aux valeurs paramétriques relatives à ces polluants fixées par la directive 98/83, celles-ci ont été dépassées immédiatement après ce délai et restent, selon les dernières données disponibles, supérieures à ces valeurs.

28      Or, elle soutient que, dans une telle situation où la conformité ponctuelle au droit de l’Union ne fait pas disparaître le manquement persistant, la jurisprudence issue des arrêts du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie (C‑488/15, EU:C:2017:267 points 42 et 43), du 5 septembre 2019, Commission/Italie (Bactérie Xylella fastidiosa) (C‑443/18, EU:C:2019:676, point 75 et jurisprudence citée), du 10 novembre 2020, Commission/Italie (Valeurs limites – PM10) (C‑644/18, EU:C:2020:895, points 75 et 76), ainsi que du 3 juin 2021, Commission/Allemagne (Valeurs limites – NO2) (C‑635/18, EU:C:2021:437, points 53 et 83), l’autorise à produire des éléments complémentaires relatifs à des faits postérieurs audit délai, lorsque ceux-ci sont de même nature, sont constitutifs d’un même comportement et sont nécessaires pour évaluer la persistance de l’infraction en cause.

29      En deuxième lieu, elle affirme que, ainsi qu’il ressortirait des arrêts du 14 novembre 2002, Commission/Irlande (C‑316/00, EU:C:2002:657, points 37 et 38) et du 31 janvier 2008, Commission/France (C‑147/07, EU:C:2008:67, points 10 et 20), les dépassements des valeurs paramétriques indiquées à l’annexe I, partie B, de la directive 98/83 constituent, en eux-mêmes, une violation de l’obligation de résultat qui découle de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec cette partie de l’annexe et à la lumière des considérants 2, 5, 12 et 13 de ladite directive.

30      En effet, tout d’abord, la Commission soutient que l’obligation des États membres de prendre les mesures nécessaires pour assurer la salubrité et la propreté des eaux destinées à la consommation humaine est, selon l’article 4 de la même directive, réputée respectée si ces eaux satisfont à ces valeurs.

31      Ensuite, elle fait valoir que ces valeurs sont contraignantes depuis le 25 décembre 2000, date à laquelle les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 98/83 devaient avoir été mises en vigueur.

32      Enfin, selon la Commission, les dérogations accordées à la République italienne en vertu de l’article 9 de cette directive ont cessé de produire leurs effets à la fin de l’année 2012, de sorte que cet État membre serait tenu de respecter lesdites valeurs à compter du 1er janvier 2013.

33      En troisième lieu, la Commission fait valoir que, ainsi que le montreraient les données annexées à la requête, la situation de non-conformité à ces valeurs dans les six communes visées par le présent recours n’a pas évolué, en ce sens qu’elle existait avant la date du 25 mars 2019 et qu’elle persisterait toujours.

34      Ainsi, les dépassements de la limite de concentration en arsenic établie à l’annexe I de cette directive auraient persisté avant et après cette date dans les communes de Bagnoregio, de Fabrica di Roma, de Farnese et de Ronciglione. Par ailleurs, en ce qui concerne les communes de Civitella d’Agliano et de Tuscania, le respect de cette limite, à ladite date, n’aurait été qu’apparent, comme l’aurait confirmé l’évolution des teneurs en arsenic dans les eaux de ces communes entre ladite date et l’introduction du présent recours.

35      En ce qui concerne la valeur paramétrique relative aux fluorures, son dépassement aurait également persisté dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma.

36      Pour sa part, la République italienne affirme que le respect des valeurs fixées à l’annexe I, partie B, de la directive 98/83 a été constaté, d’une part, dans les eaux des communes de Bagnoregio et de Civitella d’Agliano en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic et, d’autre part, dans les eaux de la commune de Bagnoregio en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures.

37      Plus précisément, en premier lieu, en ce qui concerne la commune de Bagnoregio, s’agissant, d’une part, desdites teneurs en arsenic, elle soutient que celle indiquée dans la requête, en référence à la date du 17 novembre 2021, concernerait seulement un point de prélèvement. Or le contrôle effectué le 28 septembre 2021 sur la station d’eau potable alimentant ce point fournirait un résultat de 3 μg/litre d’arsenic. En outre, cette commune, qui admettrait la fluctuation ponctuelle des teneurs à ce point de prélèvement, aurait assuré qu’elle serait en mesure de ramener ces teneurs dans les limites fixées par la directive 98/83 et de révoquer l’ordonnance de non‑potabilité de l’eau qu’elle avait adoptée. Par ailleurs, ladite commune aurait certifié que l’eau des sources Pidocchio et Vetriolo alimentant celle-ci était potable.

38      D’autre part, s’agissant des teneurs en fluorures présentes dans les eaux de la commune de Bagnoregio, bien que la République italienne reconnaisse que les valeurs relevées étaient « aberrantes » en 2018 et en 2019, les échantillons prélevés en 2020 seraient dans la norme, à l’exception de quatre d’entre eux. Il en irait de même pour ceux résultant des analyses effectuées entre le mois d’avril et le mois de juillet 2021. En outre, il résulterait d’une note de cette commune, datée du 4 juin 2022, que l’eau était potable sur l’ensemble de son territoire. Elle ajoute que le transfert du service intégré de l’eau sur ladite commune à l’exploitant désigné par la région du Latium permettra d’accéder aux ressources financières régionales supplémentaires prévues par le conseil régional.

39      En deuxième lieu, en ce qui concerne la commune de Civitella d’Agliano, la République italienne soutient que, si les mesures effectuées font apparaître d’importantes fluctuations des teneurs en arsenic des eaux de cette commune en 2020, ces mesures démontreraient au contraire, pour l’année 2021, un niveau constamment conforme aux exigences de la directive et, au regard des relevés effectués au début de l’année 2022, ces teneurs devraient désormais être considérées comme normales.

40      En troisième lieu, en ce qui concerne les autres communes visées par le présent recours, la République italienne indique être convaincue que les efforts continus des autorités nationales permettront de ramener les valeurs en cause à la normale dans les plus brefs délais. À cet égard, elle mentionne les démarches des communes de Fabrica di Roma, de Ronciglione et de Tuscania concernant la mise en état des installations d’élimination de l’arsenic ainsi que l’avancée des procédures de transfert du service intégré de l’eau des communes de Farnese et de Tuscania à l’exploitant désigné par la région du Latium. Enfin, s’agissant des eaux de la commune de Farnese, le niveau de concentration actuel en arsenic de celles-ci serait négligeable et, à l’égard de la commune de Ronciglione, la dernière analyse relative à l’arsenic ferait état d’un dépassement uniquement pour une station de préparation d’eau potable.

41      Dans son mémoire en réplique, la Commission rétorque tout d’abord que la République italienne ne conteste pas les données produites dans la requête, relatives au dépassement des valeurs paramétriques fixées par la directive 98/83. En outre, dans la mesure où cet État membre se bornerait à rappeler les initiatives antérieures prises par les autorités italiennes et ne conclurait pas au rejet du présent recours, la Commission en déduit qu’il ne conteste pas l’infraction en cause.

42      Ensuite, elle soutient que l’obligation de résultat qui découle de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/83, lu en combinaison avec l’annexe I, partie B, de cette directive, s’appliquant à l’ensemble du territoire national, l’existence d’un dépassement de ces valeurs à un seul point de prélèvement dans l’une des zones composant ce territoire suffit à faire constater l’existence d’un tel dépassement pour cette zone dans son ensemble. En outre, elle affirme que, en cas de persistance de ce dépassement, une éventuelle conformité à un autre point de prélèvement à l’intérieur de la même zone ne saurait faire cesser un tel manquement aux obligations découlant de ladite directive.

43      Enfin, en premier lieu, s’agissant du niveau de concentration en arsenic dans les eaux de la commune de Bagnoregio, le fait que les données produites par la Commission pour l’année 2021 se limitent à un seul point de prélèvement ne contredirait pas l’existence d’un dépassement de la valeur paramétrique fixée pour l’arsenic pour le second semestre de cette année. En effet, les données produites par la République italienne ne se référeraient pas au même point de prélèvement. Par ailleurs, et en tout état de cause, ces données n’émaneraient pas de l’autorité compétente à laquelle la loi ayant transposé la directive 98/83 aurait confié le contrôle du respect des paramètres qualitatifs des eaux. En revanche, les chiffres indiqués par la Commission pour l’année 2021, confirmés par les données produites pour le même point de prélèvement par une note du 24 février 2022 de l’ASL de Viterbe, autorité régionale compétente pour le contrôle des valeurs paramétriques relatives à l’arsenic et aux fluorures dans la zone dans laquelle se trouvent les communes en cause, seraient corrects.

44      En deuxième lieu, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de cette même commune, les observations de la République italienne se référeraient aux années 2020 et 2021 et n’infirmeraient donc pas le dépassement de la valeur paramétrique fixée pour ces substances en 2018 et en 2019, évoqué dans la requête. Au demeurant, la prétendue conformité de ce niveau de concentration en 2021 serait démentie par les données de l’ASL de Viterbe produites par la République italienne elle-même.

45      En troisième lieu, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans les eaux de la commune de Civitella d’Agliano, la République italienne reconnaîtrait un dépassement en 2022. En outre, les données fournies par cet État membre pour cette commune, pour l’année 2021, seraient dénuées de pertinence, dès lors qu’elles porteraient sur des points publics d’écoulement d’eau différents du point de prélèvement sur lequel se fonde la requête, ainsi que sur des paramètres microbiologiques sans rapport avec la présente affaire. Au demeurant, les données indiquées par la Commission pour les années 2018 à 2020 ne seraient pas contestées.

46      En quatrième lieu, en ce qui concerne les données relatives au dépassement des valeurs paramétriques dans les autres communes, les éléments fournis par la République italienne ne contrediraient pas les constatations figurant dans la requête concernant les dépassements des valeurs autorisées. En outre, la référence aux initiatives de ces communes ne serait pas pertinente pour l’examen du premier grief, voire confirmerait les dépassements reprochés.

47      Dans son mémoire en duplique, la République italienne souligne, de manière générale, tout d’abord, l’importante planification d’interventions sur le territoire national au cours de la période antérieure à celle visée par le présent recours, laquelle se serait concrétisée, par la suite, par la construction d’installations d’élimination de l’arsenic tendant à apporter une solution au problème constaté. Ensuite, les initiatives des autorités italiennes auraient permis une réduction progressive et significative, au niveau national, de l’étendue des phénomènes initiaux de non-conformité. Ainsi, la population desservie de manière autonome par les communes visées par le présent recours correspondrait à 0,5 % de la population de la région du Latium et à 0,05 % de la population nationale. Enfin, le transfert effectif à l’exploitant désigné par la région du Latium des stations de préparation d’eau potable des six communes concernées par le présent recours, permettrait, d’ici au mois de janvier 2023, le respect des paramètres fixés par la directive 98/83.

 Appréciation de la Cour

48      En premier lieu, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/83, d’une part, les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer la salubrité et la propreté des eaux destinées à la consommation humaine. D’autre part, pour satisfaire aux exigences minimales de cette directive, les eaux destinées à la consommation humaine sont salubres et propres, notamment, si, en vertu du point b) de cette disposition, elles sont conformes aux exigences minimales spécifiées à l’annexe I, parties A et B, de celle-ci.

49      Ainsi il résulte de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 98/83 que les États membres ont l’obligation de prendre les dispositions nécessaires pour que les eaux destinées à la consommation humaine soient au moins conformes aux exigences spécifiées à l’annexe I, parties A et B, de cette directive. Cette disposition impose donc aux États membres de faire en sorte que certains résultats soient atteints, sans qu’ils puissent invoquer, en dehors des dérogations prévues aux articles 9 et 15 de ladite directive, des circonstances particulières aux fins de justifier le non-respect de cette obligation. Le fait d’avoir pris toutes les mesures raisonnablement possibles ne saurait donc justifier le manquement à cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2002, Commission/Irlande, C‑316/00, EU:C:2002:657, point 38, et du 29 septembre 2005, Commission/Portugal, C‑251/03, EU:C:2005:581, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

50      Plus particulièrement, aux termes de l’annexe I, partie B, de cette directive, les eaux destinées à la consommation humaine doivent, notamment, présenter des valeurs maximales de 10 μg/l pour l’arsenic et de 1,5 mg/l pour les fluorures. Il appartient donc aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour que ces valeurs ne soient pas dépassées.

51      En deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé (arrêt du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C-488/15, EU:C:2017:267, point 40 et jurisprudence citée).

52      Toutefois, il se déduit également de la jurisprudence de la Cour que, dans la mesure où un recours vise à dénoncer un manquement systématique et persistant aux dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe I, partie B, de la directive 98/83, la production d’éléments complémentaires visant, au stade de la procédure devant la Cour, à étayer la généralité et la constance du manquement ainsi allégué ne saurait être exclue en principe [voir, en ce sens, arrêts du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C‑488/15, EU:C:2017:267, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 juin 2022, Commission/Slovaquie (Protection du Grand tétras), C-661/20, EU:C:2022:496, point 94].

53      En particulier, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’objet d’un recours en manquement peut s’étendre à des faits postérieurs à l’avis motivé pour autant qu’ils sont de même nature et constitutifs d’un même comportement que les faits visés par cet avis [arrêts du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C‑488/15, EU:C:2017:267, point 43 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 juin 2022, Commission/Slovaquie (Protection du Grand tétras), C-661/20, EU:C:2022:496, point 95].

54      En l’occurrence, il y a lieu de relever que, par le présent grief, la Commission reproche à la République italienne de ne pas avoir pris de mesures visant, conformément à l’article 4, paragraphe 1, et à l’annexe I, partie B, de la directive 98/83, à assurer le respect des valeurs paramétriques mentionnées au point 50 du présent arrêt dans les communes, d’une part, de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, en ce qui concerne l’arsenic et, d’autre part, dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma, en ce qui concerne les fluorures, pour des périodes qui sont, en partie, antérieures à la date d’émission de l’avis motivé, à savoir le 25 janvier 2019, et, en partie, postérieures à cette date.

55      Cependant, dès lors que le présent grief vise le défaut persistant de mesures permettant d’assurer le respect de ces valeurs dans les communes concernées, la Commission est recevable à se fonder non seulement sur les dépassements desdites valeurs dont elle a eu connaissance au cours de la procédure précontentieuse, mais également sur les dépassements de même nature et constitutifs du même manquement survenus après le 25 janvier 2019, afin d’illustrer la constance et la généralité de ce dernier [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2022, Commission/Slovaquie (Protection du Grand tétras), C-661/20, EU:C:2022:496, point 97].

56      En troisième lieu, sur le fond, il y a lieu de souligner que, en vertu de l’article 17 de la directive 98/83, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de celle-ci, soit le 25 décembre 2000. En outre, en vertu de l’article 14 de ladite directive, les États membres disposaient d’un délai de cinq ans à compter de cette entrée en vigueur, soit jusqu’au 25 décembre 2003, pour garantir la conformité à la même directive de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

57      Par ailleurs, il ressort du dossier soumis à la Cour que, si la République italienne a bénéficié de dérogations aux valeurs fixées par la directive 98/83 en ce qui concerne l’arsenic et les fluorures, accordées sur le fondement de l’article 9 de celle-ci, ces dérogations ont pris fin le 31 décembre 2012, de sorte que cet État membre était, en tout état de cause, tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect de ces paramètres à compter du 1er janvier 2013.

58      Or, ainsi qu’il ressort des éléments relatifs à la procédure précontentieuse produits par la Commission, des dépassements persistants des valeurs paramétriques relatives à l’arsenic et aux fluorures ont été constatés dans les communes faisant l’objet du présent recours depuis l’année 2013. Les autorités italiennes ont, néanmoins, disposé d’un délai de près de six ans, soit jusqu’au 25 mars 2019, date à laquelle le délai fixé dans l’avis motivé a expiré, pour prendre les mesures nécessaires aux fins de se conformer à ces valeurs.

59      Cependant, ainsi que le font ressortir les données produites par la Commission dans le cadre du présent recours, lesquelles émanent de l’ASL de Viterbe, les dépassements desdites valeurs constatés dans l’avis motivé ont persisté postérieurement à l’expiration dudit délai dans les communes, d’une part, de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, en ce qui concerne l’arsenic et, d’autre part, dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma, en ce qui concerne les fluorures.

60      En particulier, selon ces données, la concentration en arsenic des eaux destinées à la consommation sur la commune de Bagnoregio a été constamment supérieure à la valeur paramétrique de 10 μg/litre fixée par la directive 98/83 à partir de l’année 2018 jusqu’au premier semestre de l’année 2021. De même, ces données font apparaître que cette valeur n’a pas été respectée dans la commune de Fabrica di Roma en 2013, en 2015 et de l’année 2018 à l’année 2021, la concentration en arsenic des eaux de cette commune présentant fréquemment un niveau particulièrement élevé, entre trois et quatre fois supérieur à ladite valeur. Une situation de non-conformité à celle-ci ressort également de ces données en ce qui concerne, d’une part, la commune de Farnese, en 2013 et de l’année 2018 à l’année 2021, et, d’autre part, la commune de Ronciglione, en 2013, au premier semestre de l’année 2018, au premier semestre de l’année 2019, en 2020 et en 2021.

61      S’agissant du niveau de fluorures dans les eaux destinées à la consommation humaine dans la commune de Bagnoregio, entre l’année 2018 et le premier semestre de l’année 2019, et dans la commune de Fabrica di Roma, en 2018, au premier semestre de l’année 2019 et au second semestre de l’année 2021, celui-ci est demeuré non conforme à la valeur paramétrique de 1,50 mg/litre fixée par cette directive.

62      Par ailleurs, s’agissant du niveau de concentration en arsenic dans les eaux destinées à la consommation humaine sur le territoire des communes de Civitella d’Agliano et de Tuscania, sa conformité ponctuelle à ladite directive à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé ne remet pas en cause, ainsi que le relève, à bon droit, la Commission, le bien-fondé du premier grief, en tant qu’il concerne ces deux communes.

63      À cet égard, d’une part, il y a lieu de souligner, comme l’énoncent les considérants 12 et 13 de la même directive, que celle-ci a pour objectif, en particulier, de fixer des valeurs paramétriques suffisamment strictes pour garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine, lesquelles valeurs reposent sur les connaissances scientifiques disponibles et, eu égard au principe de précaution, sont choisies pour garantir la consommation humaine des eaux destinées à cet usage sans danger pendant toute une vie. Plus particulièrement, s’agissant de l’arsenic et des fluorures, la Commission rappelle, d’une part, que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe l’arsenic en tant que substance cancérigène certaine et l’associe directement à diverses pathologies oncologiques et, d’autre part, qu’une concentration excessive de fluorures peut entraîner des dommages permanents à la dentition ainsi qu’une altération du processus de calcification osseuse.

64      Par conséquent, afin que cet objectif ne soit pas compromis, il est nécessaire que les seuils déterminés par ces valeurs, notamment pour l’arsenic et les fluorures, soient atteints dans un délai donné et ne soient pas dépassés une fois atteints [voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2020, Commission/Italie (Valeurs limites – PM10), C‑644/18, EU:C:2020:895, point 75 et jurisprudence citée].

65      D’autre part, un éventuel respect ponctuel des valeurs paramétriques relatives à l’arsenic et aux fluorures ne remet pas en cause le caractère persistant du manquement reproché dans son ensemble dans les communes concernées au cours de la période visée par le présent recours [voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Commission/Allemagne (Valeurs limites – NO2), C‑635/18, EU:C:2021:437, point 83], dès lors que les données postérieures à la date à laquelle a expiré le délai fixé dans l’avis motivé font apparaître que ces valeurs ont continué à être dépassées après cette date.

66      En l’occurrence, ces valeurs auraient dû être respectées au plus tard à compter du 1er janvier 2013, date à laquelle les dérogations accordées à la République italienne avaient expiré, et il ressort des données fournies par la Commission que les dépassements de la valeur paramétrique relative à l’arsenic ont persisté sur le territoire de la commune de Civitella d’Agliano au premier semestre de l’année 2018, au second semestre de l’année 2019, au second semestre de l’année 2020 et en 2022 et sur celui de la commune de Tuscania entre l’année 2018 et l’année 2021, à l’exception du premier semestre de l’année 2019.

67      En outre, il convient de relever que, par les arguments qu’elle a avancés en réponse au premier grief, la République italienne ne conteste pas l’exactitude des données sur lesquelles la Commission fonde le présent grief, lesquelles émanent, ainsi qu’il a été relevé au point 59 du présent arrêt, de l’ASL de Viterbe, qui est l’autorité compétente aux fins de contrôler le respect desdites valeurs dans les communes concernées.

68      À cet égard, il y a lieu de constater qu’est dénuée de pertinence la circonstance alléguée par la République italienne que le niveau de concentration en arsenic invoqué par la Commission pour le second semestre de l’année 2021 en ce qui concerne les eaux de la commune de Bagnoregio ne se rapporterait qu’à un seul point de prélèvement sur le territoire de cette commune.

69      En effet, la République italienne ne conteste pas l’affirmation de la Commission figurant dans le mémoire en réplique, selon laquelle les données que cet État membre a produites à l’appui de son mémoire en défense ne concernent pas le même point de prélèvement et n’émanent pas, à la différence de celles invoquées par la Commission dans la requête, de l’ASL de Viterbe. La République italienne n’a pas davantage contesté, ainsi qu’il ressort des données qu’elle a elle-même fournies à l’appui de son mémoire en défense et comme la Commission le relève, que les dépassements constatés en 2021 sont confirmés par cette autorité en 2022 pour le même point de prélèvement.

70      Or, d’une part, eu égard à l’obligation de résultat fixée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 98/83, lu en combinaison avec l’annexe I, partie B, de celle-ci, telle que rappelée au point 49 du présent arrêt, une amélioration partielle de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine sur le territoire de la commune de Bagnoregio ne saurait suffire à remettre en cause le manquement à cette obligation, dès lors qu’il est établi que celle-ci n’est pas pleinement respectée sur ce territoire (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2005, Commission/Espagne, C-121/03, EU:C:2005:512, points 108 à 110, ainsi que du 31 janvier 2008, Commission/France, C-147/07, EU:C:2008:67, points 10, 11, 20 et 21). D’autre part, pour les raisons exposées aux points 62 à 66 du présent arrêt, la situation de conformité ponctuelle invoquée par la République italienne ne saurait, en tout état de cause, infirmer le caractère persistant du non-respect de la valeur paramétrique relative à l’arsenic dans cette commune pour l’ensemble de la période considérée.

71      S’agissant de la teneur en fluorures présente dans les eaux de la même commune, qui serait, selon la République italienne, désormais conforme à la valeur paramétrique de 1,5 mg/litre fixée par ladite directive, il suffit de relever que la République italienne ne conteste pas la non-conformité de cette teneur pour la période comprise entre l’année 2018 et le premier semestre de l’année 2019, qui fait l’objet du présent recours. Au demeurant, comme la Commission l’a relevé dans son mémoire en réplique, il ressort du courrier de l’ASL de Viterbe du 24 février 2022, annexé au mémoire en défense de la République italienne, que la valeur paramétrique en cause avait été, de nouveau, dépassée sur le territoire de la même commune.

72      Concernant, ensuite, la teneur en arsenic présente dans les eaux de la commune de Civitella d’Agliano, si la République italienne affirme, dans le mémoire en défense, que celle-ci serait revenue à des niveaux conformes en 2021, il y a lieu de relever que les données produites par la Commission font apparaître un nouveau dépassement de la valeur paramétrique en 2022 sur le territoire de cette commune. En outre, cet État membre ne conteste pas, comme il est affirmé dans le mémoire en réplique de la Commission, que les données qu’il a fournies en ce qui concerne cette commune pour l’année 2021 sont relatives à des points publics d’écoulement de l’eau, distincts du point de prélèvement auquel se réfère la requête, et qu’elles portent sur des paramètres microbiologiques.

73      Enfin, s’agissant des autres communes visées par le présent recours, force est de constater que, eu égard à l’obligation de résultat rappelée au point 49 du présent arrêt, les efforts continus des autorités italiennes, invoqués par la République italienne dans le mémoire en défense, ne sauraient infirmer l’existence d’un manquement à une telle obligation, pour importants que soient ces efforts (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2002, Commission/Irlande, C-316/00, EU:C:2002:657, point 37). En tout état de cause, en indiquant qu’il est convaincu que lesdits efforts permettront de ramener les teneurs en cause à la normale dans les plus brefs délais, cet État membre confirme que, à la date du dépôt de son mémoire en défense, ces teneurs n’étaient toujours pas conformes aux exigences de la directive 98/83.

74      Il résulte de ce qui précède que le premier grief doit être accueilli.

 Sur le second grief, tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83

 Argumentation des parties

75      Par son second grief, la Commission demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris les mesures nécessaires le plus rapidement possible pour rétablir la qualité des eaux dans les communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans les eaux de ces communes, et dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de ces dernières, la République italienne a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83.

76      En premier lieu, elle soutient que, à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83, le législateur de l’Union européenne se réfère à la nécessité d’adopter des mesures susceptibles de ramener ces niveaux de concentration en deçà des valeurs paramétriques fixées par cette directive. En effet, cette disposition établirait une corrélation entre le rétablissement de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine et le respect de ces valeurs, ce que confirmerait une lecture systématique de ladite directive, étayée par son article 7, paragraphe 1, première phrase. En outre, cet article 8, paragraphe 2, mettrait l’accent sur la nécessité d’une action rapide, laquelle serait confirmée par les considérants 2, 5 et 13 de la même directive ainsi que par l’obligation des États membres, prévue à l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci de vérifier « immédiatement », par une enquête, tout non-respect des valeurs qu’elle fixe.

77      En second lieu, la Commission affirme que les autorités italiennes n’ont pas satisfait à l’obligation d’adopter des mesures visant à obtenir le plus tôt possible la conformité des teneurs en arsenic et en fluorures aux valeurs paramétriques figurant à l’annexe I, partie B, de la directive 98/83.

78      À cet égard, premièrement, elle relève que le non-respect de ces valeurs est imputable non pas à l’installation privée de distribution ou à son entretien, au sens de l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, mais à la présence de teneurs excessives en arsenic et en fluorures dans les eaux, mesurées dans des zones de captage.

79      Deuxièmement, elle affirme, ainsi qu’il ressort de la note du 26 juin 2018 des autorités italiennes, mentionnée au point 21 du présent arrêt, que celles-ci avaient identifié la raison du dépassement continu des valeurs en cause, à savoir l’absence de transfert de la gestion des installations d’épuration des eaux à une société ad hoc.

80      Or, selon la Commission, en dépit du dépassement manifeste, constaté au premier semestre de l’année 2018, des valeurs paramétriques relatives à l’arsenic et aux fluorures, la réponse des autorités italiennes aux griefs de la Commission confirmerait qu’elles n’avaient pas encore pris toutes les mesures nécessaires, dès lors que celles-ci indiquaient que, à l’avenir, la région du Latium exercerait des « pouvoirs de substitution » à l’égard des communes concernées. En outre, les affirmations de ces autorités, à la fin de l’année 2018, confirmeraient, selon elle, qu’aucune mesure concrète n’avait été prise pour remédier à cette omission. Ainsi, ce ne serait que le 25 mars 2019 qu’elles auraient donné une première indication quant aux délais de mise en conformité avec la directive 98/83. Toutefois, tant les données se rapportant au second semestre de l’année 2019 que celles concernant les années 2020 et 2021 prouveraient que les mesures nécessaires qu’elles avaient annoncées n’avaient pas été prises. En tout état de cause, ces circonstances démontreraient que de telles mesures n’avaient pas été prises le plus rapidement possible, comme l’exige l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83.

81      Troisièmement, l’absence de mesures correctives nécessaires serait confirmée par le fait que, à l’exception des teneurs en fluorures dans les eaux de la commune de Bagnoregio, tous les dépassements des valeurs paramétriques qui sont visés par le premier grief perdureraient toujours. Elle serait également corroborée par le maintien des arrêtés municipaux de non-potabilité dans les communes en cause, à l’exception de celle de Civitella d’Agliano.

82      Quatrièmement, il ressortirait d’un courrier des autorités italiennes du 16 septembre 2021 que l’exercice des pouvoirs de substitution par la région du Latium à l’égard des communes concernées n’aurait eu aucune suite. Or, selon les autorités italiennes elles-mêmes, cette mesure permettrait le respect des valeurs paramétriques en cause. En outre, il résulterait du même courrier que les mesures prises par cette région semblent avoir été contestées en justice et faire l’objet, à ce titre, d’une demande de suspension de leurs effets.

83      Pour sa part, la République italienne soutient que les mesures nécessaires ont été adoptées, dans les meilleurs délais, pour rétablir la qualité des eaux dans les communes visées par le présent recours et qu’elle a rempli l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83.

84      À l’appui de ses allégations, la République italienne se réfère aux actions entreprises par les autorités italiennes depuis l’année 2011 pour résoudre le problème de la qualité de l’eau dans la province de Viterbe.

85      Ainsi, premièrement, par une ordonnance du président du Conseil des ministres, le président de la Région du Latium aurait été nommé « commissaire délégué à l’urgence arsenic » et une série d’interventions devant permettre, grâce à la construction d’installations d’élimination de l’arsenic, de fournir de l’eau potable aux populations aurait été prévue, lesquelles interventions auraient été mises en œuvre par décret du président de la région du Latium. En outre, ce commissaire délégué aurait identifié les communes dans lesquelles les concentrations en arsenic dépassaient la valeur de 10 μg/litre autorisée par le décret législatif n° 31 du 2 février 2001, mentionné au point 14 du présent arrêt, et, au mois de novembre 2012, la région aurait alloué à ce dernier, de manière provisoire, un montant de 24 235 000 euros permettant de couvrir toutes les interventions prévues.

86      Deuxièmement, la République italienne met en exergue la situation particulièrement complexe dans la zone dans laquelle se trouveraient les communes visées par le présent recours, caractérisée par une forte concentration en arsenic présente dans la plupart des sources d’approvisionnement en eau potable du territoire couvert, en raison de leurs caractéristiques géologiques ainsi que des systèmes hydrauliques très fragmentés et, partant, difficiles à intégrer dans le système d’aqueducs.

87      Troisièmement, elle détaille, pour chaque commune visée par le présent recours, la liste des interventions financées par les ressources régionales et des travaux réalisés dans ces communes en conséquence ainsi que les dates d’achèvement de ces travaux, toutes antérieures à l’année 2018.

88      Quatrièmement, elle expose les mesures prises par la région du Latium pour exercer ses pouvoirs de substitution à l’égard des communes concernées. Ainsi, par une note du 13 mars 2015, cette région aurait mis en demeure, notamment, les communes concernées par le présent recours de se mettre en conformité avec les valeurs paramétriques requises dans un délai de trente jours, mise en demeure qui aurait été confirmée par le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) ainsi que par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). À la suite d’une seconde note du 24 avril 2018 et face à l’inertie des communes concernées, ladite région aurait procédé à la mise en œuvre de ses pouvoirs de substitution. Certes, les décisions relatives à cette mise en œuvre concernant les communes de Bagnoregio, de Fabrica di Roma, de Farnese et de Ronciglione auraient été annulées. Toutefois, l’approvisionnement en eau aurait été conforme aux paramètres légaux dans les communes dont les installations d’épuration étaient gérées par l’exploitant désigné par la région du Latium. Finalement, en 2022, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) aurait confirmé le bien-fondé de ces décisions et, à l’issue de cette procédure, la région du Latium aurait donc ordonné le transfert au même exploitant des installations desdites communes.

89      Dans son mémoire en réplique, premièrement, la Commission rétorque que les éléments fournis par les autorités italiennes en ce qui concerne la situation des eaux destinées à la consommation humaine avant le 31 décembre 2012, au demeurant non pertinents pour la période faisant l’objet du présent recours, font apparaître que les teneurs élevées en arsenic et en fluorures étaient connues des autorités italiennes depuis l’année 2009. Il ne pourrait donc être soutenu que, s’agissant des six communes concernées par le présent recours, les mesures nécessaires aux fins du rétablissement de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ont été, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83, adoptées le plus rapidement possible.

90      Deuxièmement, elle allègue que les interventions des autorités italiennes mentionnées par la République italienne en ce qui concerne ces six communes étaient très limitées et manifestement inappropriées dès lors qu’elles n’auraient pas permis de mettre un terme à une situation perdurant depuis, au moins, l’année 2013 et qui se serait prolongée après la réalisation de ces interventions. Au demeurant, l’absence d’interventions rapides et efficaces pour mettre en conformité les teneurs en arsenic et en fluorures avec les limites fixées par la directive 98/83 serait soulignée par les documents produits par la République italienne en ce qui concerne les communes de Bagnoregio, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, qui se référeraient à des initiatives engagées à la fin de l’année 2021 par les autorités italiennes.

91      Troisièmement, s’agissant des recours juridictionnels introduits par quatre des six communes concernées, la Commission affirme que, selon la jurisprudence, le recours à des voies de droit internes ne saurait préjudicier à l’exercice du recours visé à l’article 258 TFUE (arrêt du 10 juillet 2014, Commission/Belgique, C‑421/12, EU:C:2014:2064, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée). En tout état de cause, les mesures indiquées par les autorités italiennes elles-mêmes comme étant susceptibles de ramener les teneurs en cause dans les limites de la directive 98/83 n’auraient été adoptées qu’à une date postérieure au dépôt même de la requête, ce qui confirmerait qu’elles ne l’auraient pas été le plus rapidement possible.

 Appréciation de la Cour

92      Par le second grief, la Commission reproche à la République italienne d’avoir manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83, en n’ayant pas pris les mesures nécessaires le plus rapidement possible pour rétablir la qualité des eaux destinées à la consommation humaine dans les communes visées par le présent recours.

93      Aux termes de l’article 8, paragraphe 2, de cette directive, si, malgré les mesures prises pour satisfaire aux obligations imposées par l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci, les eaux destinées à la consommation humaine ne satisfont pas aux valeurs paramétriques fixées, conformément à son article 5, et sous réserve de son article 6, paragraphe 2, l’État membre concerné veille à ce que les mesures correctives nécessaires soient prises le plus rapidement possible afin de rétablir la qualité des eaux destinées à la consommation humaine et accorde la priorité à leur application, compte tenu, entre autres, de la mesure dans laquelle la valeur paramétrique pertinente a été dépassée et du danger potentiel pour la santé des personnes.

94      En premier lieu, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83, le rétablissement de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine visé à cette disposition doit s’entendre de la remise en conformité de la qualité de ces eaux avec les valeurs paramétriques prévues par le droit national, lesquelles, conformément à l’article 5 de cette directive, ne peuvent être moins strictes que celles figurant à l’annexe I de celle-ci.

95      En deuxième lieu, ainsi qu’il a été relevé aux points 49, 70 et 73 du présent arrêt, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’annexe I, parties A et B, de celle-ci, fixe à l’égard des États membres une obligation de résultat en ce qui concerne les mesures prises pour que lesdites eaux soient, au moins, conformes aux exigences de ladite annexe I. Il s’ensuit que, eu égard au lien direct établi par l’article 8, paragraphe 2, de cette directive entre le non-respect de ces exigences et l’obligation de veiller à l’adoption des mesures correctives nécessaires (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C-488/15, EU:C:2017:267, point 82), cette dernière obligation doit être elle-même considérée comme une obligation de résultat, imposant aux États membres de faire en sorte que le rétablissement de la conformité de la qualité de ces eaux aux valeurs paramétriques fixées par le droit national à un niveau au moins aussi strict que celui requis par lesdites exigences soit atteint.

96      En troisième lieu, il convient de relever que cette dernière disposition impose aux États membres de veiller à ce que ces mesures correctives soient prises « le plus rapidement possible ». Elle fixe donc à leur égard un devoir de célérité, lequel est renforcé par l’obligation complémentaire énoncée par ladite disposition, d’« accorder la priorité à [l’]application [desdites mesures], compte tenu, entre autres, de la mesure dans laquelle la valeur paramétrique pertinente a été dépassée et du danger potentiel pour la santé des personnes ». En effet, une telle célérité est requise afin de ne pas compromettre l’objectif, énoncé au considérant 13 de la directive 98/83, de garantir, par la fixation de telles valeurs paramétriques, un degré élevé de protection sanitaire.

97      Par conséquent, il doit être déduit du libellé de l’article 8, paragraphe 2, de cette directive que ce devoir de célérité s’impose à l’État membre concerné à compter de la date à laquelle il doit prendre les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, dans l’hypothèse où, malgré les mesures qu’il a adoptées à cet effet, les valeurs paramétriques fixées à l’annexe I de celle-ci ont été dépassées (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2017, Commission/Bulgarie, C-488/15, EU:C:2017:267, points 91 et 114).

98      En quatrième lieu, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 98/83, les États membres sont réputés avoir rempli leurs obligations au titre de cette disposition ainsi qu’au titre de l’article 4 et de l’article 8, paragraphe 2, de celle-ci, lorsqu’il peut être établi que le non‑respect des valeurs paramétriques fixées en vertu de l’article 5 de cette directive est imputable à l’installation privée de distribution ou à son entretien, sauf dans les locaux et les établissements où l’eau est fournie au public, tels que les écoles, les hôpitaux et les restaurants. Il s’ensuit que, en indiquant, audit article 8, paragraphe 2, que les États membres doivent prendre les mesures correctives nécessaires « sous réserve de l’article 6, paragraphe 2 », le législateur de l’Union a entendu exonérer les États membres de l’obligation d’adopter ces mesures seulement dans le cas où cette dernière disposition est applicable.

99      En l’occurrence, tout d’abord, ainsi qu’il a déjà été relevé dans le cadre de l’examen du premier grief, aux points 56 et 57 du présent arrêt, les États membres étaient tenus de prendre les mesures nécessaires pour garantir la conformité de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine à la directive 98/83, au plus tard, le 25 décembre 2003 et les dérogations à l’application des valeurs paramétriques fixées par cette directive, accordées à la République italienne, ont pris fin le 31 décembre 2012, de sorte que ces valeurs étaient donc, en tout état de cause, pleinement applicables sur le territoire de cet État membre au 1er janvier 2013.

100    Il s’ensuit que les dépassements desdites valeurs paramétriques constatés à partir de cette dernière date, en ce qui concerne l’arsenic et les fluorures, imposaient aux autorités italiennes de veiller à l’adoption, le plus rapidement possible, de mesures correctives efficaces, permettant de rétablir la qualité des eaux destinées à la consommation humaine sur le territoire des communes concernées.

101    Ensuite, ainsi qu’il ressort de la lettre de mise en demeure de la Commission du 11 juillet 2014, et comme la République italienne l’a confirmé dans ses courriers des 16 et 19 septembre 2014, des dépassements persistants de la valeur paramétrique relative à l’arsenic, notamment dans les six communes concernées par le présent recours, ainsi que de la valeur paramétrique relative aux fluorures dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma étaient déjà enregistrés au 31 décembre 2013.

102    En outre, ainsi qu’il ressort des explications de la République italienne figurant dans le mémoire en défense, les autorités italiennes n’ignoraient pas les causes systémiques de ces dépassements, lesquelles, selon cet État membre, tiennent, notamment, aux caractéristiques du territoire concerné, à savoir, d’une part, sur le plan géologique, une forte concentration en arsenic présente dans les sources d’approvisionnement en eau potable et, d’autre part, des systèmes hydrauliques très fragmentés et, partant, difficiles à intégrer dans le réseau d’aqueducs.

103    Certes, comme l’expose la République italienne, les autorités nationales et régionales ont effectué un certain nombre d’interventions visant, en particulier, à doter les communes concernées par ces dépassements d’installations d’épuration des eaux. Toutefois, comme le relève la Commission, ces interventions, qui ont abouti à la réalisation de travaux, dans les six communes concernées par le présent recours, échelonnés entre l’année 2014 et l’année 2016 au plus tard, n’ont pas permis de mettre fin auxdits dépassements, lesquels, ainsi qu’il a été constaté aux points 59 à 66 du présent recours, étaient encore persistants non seulement à la date à laquelle a expiré le délai fixé dans l’avis motivé, mais aussi postérieurement à cette date.

104    Au demeurant, ainsi que le font ressortir les explications de cet État membre et les éléments qu’il a soumis à l’appui de ces dernières, ces interventions étaient partielles, dans la mesure où elles n’ont pas permis d’assurer la conformité aux valeurs paramétriques fixées par la directive 98/83 de la totalité des points d’approvisionnement situés sur le territoire de ces communes, certains des travaux nécessaires étant, en 2021, encore en cours.

105    Par ailleurs, comme la Commission le relève dans la requête, la note des autorités italiennes du 26 juin 2018, mentionnée au point 21 du présent arrêt, montre que ces autorités étaient conscientes que le non-respect persistant de ces valeurs dans lesdites communes était dû, en particulier, au fait que les installations d’épuration des eaux réalisées sur le territoire de celles-ci n’avaient pas encore été transférées à l’exploitant désigné par la région du Latium. Au demeurant, il ressort des éléments soumis à la Cour que ces autorités imputaient déjà ces dépassements à des problèmes de gestion de telles installations dès l’année 2016. Comme la Commission le relève également, lesdites autorités ont continué à se référer à ces problèmes dans un courrier du mois de décembre 2018 et dans leur réponse à l’avis motivé en date du 25 mars 2019, annonçant, dans celle-ci, qu’un délai de neuf mois serait nécessaire pour résoudre lesdits problèmes.

106    En outre, ainsi qu’il ressort des documents produits par la République italienne à l’appui de son mémoire en défense, la région du Latium a mis en demeure les communes concernées de procéder audit transfert, une première fois le 13 mars 2015 et, une seconde fois, le 24 avril 2018. Cependant, selon les éléments fournis dans le mémoire en duplique, c’est seulement par une note du 4 octobre 2022 que l’exploitant désigné par cette région a indiqué qu’il avait repris les installations d’épuration des eaux des communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese et de Tuscania et acquis celles de la commune de Ronciglione.

107    Enfin, comme la Commission le relève, à juste titre, dans la requête et ainsi qu’il ressort des allégations de la République italienne elle-même, le non-respect des valeurs paramétriques relatives à l’arsenic et aux fluorures résulte non pas, en l’occurrence, de problèmes imputables à l’installation privée de distribution ou à son entretien, au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 98/83, mais de la présence de valeurs excessives d’arsenic et de fluorures mesurées dans des zones de captage des eaux destinées à la consommation humaine. Il s’ensuit que, cette disposition n’étant pas applicable en l’occurrence, cet État membre ne saurait être exonéré de l’obligation qui s’impose à lui en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de cette directive.

108    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que les mesures correctives nécessaires pour rétablir la qualité des eaux sur le territoire des communes visées par le présent recours n’ont pas été prises le plus rapidement possible et que, en conséquence, la République italienne a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83.

109    Il s’ensuit que le second grief doit être accueilli.

110    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu :

–        des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe I, partie B, de la directive 98/83, en n’ayant pas pris de mesures visant à assurer le respect des valeurs paramétriques indiquées à l’annexe I, partie B, de cette directive, d’une part, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans les eaux de la commune de Bagnoregio à partir de l’année 2018, de la commune de Civitella d’Agliano, au premier semestre de l’année 2018, au second semestre de l’année 2019 et à partir de l’année 2020, à l’exception du second semestre de l’année 2021, de la commune de Fabrica di Roma, en 2013 et à partir de l’année 2015, de la commune de Farnese, en 2013 et à partir de l’année 2018, de la commune de Ronciglione, en 2013, au premier semestre de l’année 2018 et au premier semestre de l’année 2019, puis à partir de l’année 2020, et de la commune de Tuscania, de l’année 2018 à aujourd’hui, à l’exception du premier semestre de l’année 2019, et, d’autre part, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures, dans les eaux de la commune de Bagnoregio, de l’année 2018 au premier semestre de l’année 2019, et de la commune de Fabrica di Roma, en 2018, au premier semestre de l’année 2019 et au second semestre de l’année 2021 ;

–        de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83, en n’ayant pas veillé à ce que les mesures nécessaires soient prises le plus rapidement possible pour rétablir la qualité des eaux destinées à la consommation humaine dans les communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans ces eaux, et dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de ces dernières.

 Sur les dépens

111    En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :

1)      La République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu :

–        des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’annexe I, partie B, de la directive 98/83/CE du Conseil, du 3 novembre 1998, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, en n’ayant pas pris de mesures visant à assurer le respect des valeurs paramétriques indiquées à l’annexe I, partie B, de cette directive, d’une part, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans les eaux de la commune de Bagnoregio à partir de l’année 2018, de la commune de Civitella d’Agliano, au premier semestre de l’année 2018, au second semestre de l’année 2019 et à partir de l’année 2020, à l’exception du second semestre de l’année 2021, de la commune de Fabrica di Roma, en 2013 et à partir de l’année 2015, de la commune de Farnese, en 2013 et à partir de l’année 2018, de la commune de Ronciglione, en 2013, au premier semestre de l’année 2018 et au premier semestre de l’année 2019, puis à partir de l’année 2020, et de la commune de Tuscania, de l’année 2018 à aujourd’hui, à l’exception du premier semestre de l’année 2019, et, d’autre part, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de la commune de Bagnoregio, de l’année 2018 au premier semestre de l’année 2019, et de la commune de Fabrica di Roma, en 2018, au premier semestre de l’année 2019 et au second semestre de l’année 2021, ainsi que

–        de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 98/83, en n’ayant pas veillé à ce que les mesures nécessaires soient prises le plus rapidement possible pour rétablir la qualité des eaux destinées à la consommation humaine dans les communes de Bagnoregio, de Civitella d’Agliano, de Fabrica di Roma, de Farnese, de Ronciglione et de Tuscania, en ce qui concerne le niveau de concentration en arsenic dans ces eaux, et dans les communes de Bagnoregio et de Fabrica di Roma, en ce qui concerne le niveau de concentration en fluorures dans les eaux de ces dernières.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.

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