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Document 62022CO0034

Order of the Court (Sixth Chamber) of 27 March 2023.
VN v Belgische Staat.
Request for a preliminary ruling from the Rechtbank van eerste aanleg Oost-Vlaanderen Afdeling Gent.
Reference for a preliminary ruling – Article 53(2) and Article 99 of the Rules of Procedure of the Court – Freedom to provide services – Free movement of capital – Restrictions – Tax legislation – Income tax – Tax exemption limited to interest paid by banks satisfying certain legal conditions – Indirect discrimination – Credit institutions established in Belgium and credit institutions established in another Member State of the European Union or of the European Economic Area.
Case C-34/22.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:263

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

27 mars 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Libre prestation des services – Libre circulation des capitaux – Restrictions – Législation fiscale – Impôt sur les revenus – Exonération fiscale réservée aux intérêts payés par les banques remplissant certaines conditions légales – Discrimination indirecte – Établissements de crédit établis en Belgique et établissements établis dans un autre État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen »

Dans l’affaire C‑34/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank van eerste aanleg Oost-Vlaanderen, afdeling Gent (tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, Belgique), par décision du 13 janvier 2022, parvenue à la Cour le 17 janvier 2022, dans la procédure

VN

contre

Belgische Staat,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 56 et 63 TFUE ainsi que des articles 36 et 40 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VN au Belgische Staat (État belge) au sujet d’une décision refusant de faire bénéficier la rémunération d’un dépôt sur un compte d’épargne ouvert par VN auprès d’un établissement de crédit établi dans un État membre autre que le Royaume de Belgique d’une exonération d’impôt sur les revenus.

 Le droit belge

3        Le législateur belge a adopté la loi du 25 avril 2014 portant des dispositions diverses (Moniteur belge du 7 mai 2014, p. 36946), qui a modifié le code des impôts sur les revenus (ci-après le « CIR 1992 modifié »).

4        L’article 21, premier alinéa, du CIR 1992 modifié est libellé comme suit :

« Les revenus des capitaux et biens mobiliers ne comprennent pas :

[...]

5°      la première tranche de [1880 euros pour l’exercice d’imposition 2018 (montant indexé) et de 960 euros pour l’exercice d’imposition 2019 (montant indexé)] par an des revenus afférents aux dépôts d’épargne reçus, sans stipulation conventionnelle de terme ou de préavis, par les établissements de crédit visés à l’article 56, § 2, 2°, a, étant entendu que :

–        ces dépôts doivent, en outre, répondre aux critères définis par le Roi sur avis de la Banque nationale de Belgique et de l’Autorité des services et marchés financiers, chacune dans son domaine de compétence, quant à la monnaie en laquelle ils sont libellés, quant aux conditions et modes de retraits et de prélèvements et quant à la structure, au niveau et au mode de calcul de leur rémunération, ou, pour les dépôts reçus par les établissements de crédit qui sont établis dans un autre État membre de l’Espace économique européen, ces dépôts doivent répondre aux critères analogues définis par les autorités similaires compétentes de l’autre État membre ;

[...] »

5        L’exposé des motifs de la loi du 25 avril 2014 est, en ce qui concerne la modification apportée à l’article 21, 5°, du CIR 1992, rédigé comme suit :

« Il doit s’agir de conditions analogues, c’est-à-dire pour commencer que les dépôts d’épargne doivent être soumis aux mêmes conditions de base mentionnées à l’article 21, 5°, [du] CIR 1992 ; et en outre, qu’ils satisfont aux critères définis par les pouvoirs publics dans l’État membre concerné en matière de monnaie dans laquelle les dépôts sont libellés, et en matière de conditions et de modes de retrait et de prélèvement et quant à la structure, au niveau et au mode de calcul de leur rémunération. Ces derniers critères doivent être semblables à ceux en vigueur en Belgique. Ceci veut dire que – sans être identiques – ils doivent avoir une portée comparable. [...] »

6        L’arrêté royal du 27 août 1993 d’exécution du CIR 1992 (Moniteur belge du 13 septembre 1993, p. 20096), tel que modifié par l’arrêté royal du 7 décembre 2008 (Moniteur belge du 22 décembre 2008, p. 67513) (ci-après l’« AR/CIR 92 »), prévoit les critères auxquels les dépôts d’épargne visés à l’article 21, premier alinéa, 5°, du CIR 1992 modifié doivent, en outre, répondre pour pouvoir bénéficier de l’exonération fiscale prévue par ledit article.

7        L’article 2, 4°, sous a), de l’AR/CIR 92 subordonne le bénéfice de cette exonération à la condition que la rémunération des dépôts d’épargne comporte obligatoirement mais exclusivement un intérêt de base et une prime de fidélité.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        VN, un contribuable soumis à l’impôt sur les revenus des personnes physiques en Belgique, a perçu, au titre des années 2017 et 2018, des intérêts sur un dépôt d’épargne auprès d’un établissement de crédit néerlandais. Il a inclus ces revenus dans ses déclarations fiscales relatives, respectivement, aux exercices d’imposition 2018 et 2019, lesquelles ont été envoyées à l’administration fiscale belge dans les délais.

9        Le 28 avril 2020, un avis de rectification lui a été signifié.

10      Le requérant au principal a contesté cet avis dans la mesure où il estimait que les intérêts perçus sur son dépôt d’épargne néerlandais auraient dû être exonérés d’impôt en vertu de l’article 21, premier alinéa, 5°, du CIR 1992 modifié.

11      Le 16 juillet 2020, l’administration fiscale belge a notifié à VN un avis de taxation indiquant les raisons pour lesquelles ses objections ne pouvaient pas être accueillies et les impositions étaient maintenues. Au mois d’août de cette même année, cette administration a établi deux avis d’imposition supplémentaires au titre de chacun des deux exercices d’imposition en cause.

12      Après que l’administration fiscale eut rejeté, par décision du 19 janvier 2021, les réclamations de VN relatives à ces avis d’imposition supplémentaires, celui-ci a saisi la juridiction de renvoi, le rechtbank van eerste aanleg Oost-Vlaanderen, afdeling Gent (tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, Belgique), d’un recours tendant à l’annulation desdits avis d’imposition.

13      Cette juridiction relève que l’arrêt du 6 juin 2013, Commission/Belgique (C‑383/10, EU:C:2013:364), a dit pour droit que l’article 21, point 5°, du CIR 1992 contrevenait à l’article 56 TFUE ainsi qu’à l’article 36 de l’accord EEE puisqu’il avait pour effet de dissuader les contribuables belges d’avoir recours, pour la gestion de dépôts d’épargne, aux services d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE).

14      Selon la juridiction de renvoi, sur la base de cet arrêt, le Royaume de Belgique ne pourrait donc plus exclure du bénéfice de l’exonération prévue par cette disposition nationale les intérêts que perçoivent les contribuables belges sur les dépôts d’épargne « réglementés » qu’ils détiennent auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE.

15      Cette juridiction ajoute qu’il résulte de l’article 21, premier alinéa, 5°, du CIR 1992 modifié qu’une telle exonération bénéficie désormais également, à concurrence d’un certain montant, aux intérêts afférents à des dépôts d’épargne détenus ouverts par les contribuables belges auprès d’établissements bancaires établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE. Cela ressortirait également de l’exposé des motifs de la loi du 25 avril 2014.

16      Toutefois, dans la pratique fiscale, il existerait toujours un certain nombre d’entraves à une telle exonération. À cet égard, la juridiction de renvoi relève qu’il résulte de l’article 2 de l’AR/CIR 92, lu à la lumière de la circulaire Circ. AGFisc no 22/2014 (no Ci.RH.231/633.479), du 12 juin 2014, que, pour être exonérés, les intérêts que perçoivent les contribuables belges sur les dépôts d’épargne ouverts auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE doivent satisfaire à deux conditions cumulatives. La première serait que la rémunération de ces dépôts devrait être exclusivement composée d’un intérêt de base et d’une prime de fidélité. Une telle obligation relèverait cependant d’une particularité propre au marché belge.

17      La seconde condition consisterait à n’exonérer que les intérêts provenant de dépôts d’épargne dits « réglementés ». Il conviendrait donc de déterminer si une telle mise en œuvre de l’article 21, premier alinéa, 5°, du CIR 1992 modifié est conforme au droit de l’Union.

18      C’est dans ces circonstances que le rechtbank van eerste aanleg Oost-Vlaanderen, afdeling Gent (tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 21, premier alinéa, 5°, du [CIR 1992 modifié ] enfreint-il les dispositions des articles 56 et 63 TFUE ainsi que les articles 36 et 40 de l’accord EEE en ce que la disposition litigieuse, bien qu’indistinctement applicable aux prestataires de services nationaux et étrangers, requiert non seulement que des conditions analogues à celles figurant à l’article 2 de l’AR/CIR 92, qui sont de facto propres au marché belge, soient remplies mais surtout que ces conditions analogues requises aient été établies par les autorités publiques de l’État membre de l’EEE concerné, ce qui va au-delà de l’assujettissement au contrôle prudentiel local et de l’adhésion au système de garantie des dépôts conformément à la [directive 94/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 1994, L 135, p. 5)], et entrave, par conséquent, sérieusement l’offre des prestataires de services étrangers en Belgique ? »

 Sur la question préjudicielle

19      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 56 et 63 TFUE ainsi que les articles 36 et 40 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale établissant un régime d’exonération fiscale qui, bien qu’étant indistinctement applicable aux rémunérations afférentes aux dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit nationaux et étrangers, subordonne l’exonération des revenus des dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE à la satisfaction de conditions qui, d’une part, doivent être analogues à celles figurant dans cette réglementation nationale, lesquelles sont de facto propres au marché national, et, d’autre part, exigent que les comptes sur lesquels figurent les dépôts d’épargne soient « réglementés ».

20      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      Conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour peut également statuer par voie d’ordonnance motivée lorsqu’une demande est manifestement irrecevable.

22      Il y a lieu de faire application de ces deux dispositions dans le cadre de la présente affaire.

23      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que, pour autant que la juridiction de renvoi demande à la Cour si les articles 56 et 63 TFUE et les articles 36 et 40 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale établissant un régime d’exonération fiscale qui, bien qu’étant indistinctement applicable aux rémunérations afférentes aux dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit nationaux et étrangers, subordonne l’exonération des revenus des dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE à la satisfaction de conditions analogues à celles figurant dans cette réglementation nationale, lesquelles sont de facto propres au marché national, cette question, d’une part, est posée à l’égard de la réglementation nationale qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a. (C‑580/15, EU:C:2017:429), et, d’autre part, est comparable à celle posée dans cette dernière affaire.

24      La réponse quant à cet aspect de la question préjudicielle peut ainsi clairement être déduite de l’arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a. (C‑580/15, EU:C:2017:429).

25      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal était susceptible de relever des deux libertés fondamentales évoquées par la juridiction de renvoi, il n’en demeure pas moins que les éventuels effets restrictifs de cette réglementation sur la libre circulation des capitaux ne seraient que la conséquence inéluctable des éventuelles restrictions imposées à la libre prestation des services. Or, lorsqu’une mesure nationale se rattache simultanément à plusieurs libertés fondamentales, la Cour l’examine, en principe, au regard de l’une seulement de ces libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce, les autres sont tout à fait secondaires par rapport à la première et peuvent lui être rattachées (arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

26      Il s’ensuit que le régime d’exonération fiscale en cause au principal doit être examiné exclusivement au regard de l’article 56 TFUE et de l’article 36 de l’accord EEE.

27      Par ailleurs, il convient de constater que les prestations bancaires constituent des services au sens de l’article 57 TFUE. Or, l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale qui, sans justification objective, entrave la possibilité pour un prestataire de services d’exercer effectivement la liberté de prestation des services (arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

28      En l’occurrence, la législation en cause au principal établit un régime fiscal indistinctement applicable aux rémunérations d’un dépôt d’épargne ouvert auprès d’établissements de crédit en Belgique et à celles acquittées par des établissements de crédit établis dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE.

29      Toutefois, même une législation nationale qui est indistinctement applicable à tous les services, indépendamment du lieu d’établissement du prestataire, est susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services dès lors qu’elle réserve le bénéfice d’un avantage aux seuls utilisateurs de services qui remplissent certaines conditions qui sont, de fait, propres au marché national et prive ainsi les utilisateurs d’autres services essentiellement similaires, mais qui ne remplissent pas les conditions particulières prévues dans cette législation, du bénéfice de cet avantage. En effet, une telle législation touche à la situation des utilisateurs des services en tant que telle et est donc de nature à les dissuader d’utiliser ceux de certains prestataires, dès lors que les services proposés par ces derniers ne remplissent pas les conditions prescrites par ladite législation, conditionnant ainsi l’accès au marché (arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 29 et jurisprudence citée).

30      À cet égard, d’une part, la Cour a relevé, au point 31 de l’arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a. (C‑580/15, EU:C:2017:429), que les dépôts d’épargne doivent répondre aux critères définis à l’article 2 de l’AR/CIR 92 qui prévoient notamment que la rémunération desdits dépôts doit être obligatoirement et exclusivement constituée d’un intérêt de base et d’une prime de fidélité.

31      D’autre part, la Cour a constaté, au point 32 du même arrêt, qu’il n’existait, dans les États membres de l’Union et de l’EEE autres que le Royaume de Belgique, aucun régime relatif aux dépôts d’épargne remplissant les conditions exigées par l’article 2 de l’AR/CIR 92, notamment celles relatives à la rémunération d’un tel dépôt. Ce mode de rémunération constitue, semble-t-il, une particularité propre au marché bancaire belge.

32      Ainsi, la réglementation nationale en cause au principal, bien qu’indistinctement applicable aux rémunérations des comptes d’épargne ouverts auprès d’établissements établis en Belgique et de ceux ouverts dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE, a pour effet de dissuader, de fait, les résidents belges d’avoir recours aux services de banques établies dans ces autres États membres et d’ouvrir ou de conserver des dépôts d’épargne auprès de ces derniers établissements, étant donné que les intérêts payés par celles-ci ne sont pas susceptibles de faire l’objet de l’exonération fiscale en cause au principal, notamment du fait que la rémunération des dépôts d’épargne ne serait pas constituée d’un taux d’intérêt de base et d’une prime de fidélité (arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 33).

33      En outre, cette réglementation est de nature à dissuader les titulaires d’un dépôt d’épargne auprès d’un établissement établi en Belgique, qui répond aux conditions d’exonération, de transférer leur épargne dans un établissement de crédit établi dans un autre État membre de l’Union ou de l’EEE et qui ne propose pas de dépôts remplissant ces conditions (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 34).

34      Dès lors, ladite réglementation est susceptible de constituer une entrave à la libre prestation des services, prohibée, en principe, par l’article 56, premier alinéa, TFUE et par l’article 36, paragraphe 1, de l’accord EEE, en ce qu’elle soumet à des conditions l’accès au marché bancaire belge des prestataires de services établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, notamment au regard des éléments figurant au point 29 de la présente ordonnance (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, points 35 et 44).

35      S’agissant de la question de savoir si une telle entrave pourrait être justifiée, il résulte d’une jurisprudence constante que les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité FUE et par l’accord EEE peuvent néanmoins être admises à condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, points 37 et 44).

36      À cet égard, il convient de relever que, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi n’a pas relevé de raisons susceptibles de justifier ladite entrave. Toutefois, il importe de rappeler que le gouvernement belge a soutenu, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a. (C‑580/15, EU:C:2017:429), que la réglementation nationale en cause au principal contribue à la protection des consommateurs, dès lors qu’il est indispensable que les résidents belges puissent disposer d’un dépôt d’épargne durable, protégé, stable, suffisant et sans risque afin de pouvoir couvrir leurs dépenses importantes ou imprévues.

37      Or, la Cour a jugé que, parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté de prestations de services figure la protection des consommateurs (arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a., C‑580/15, EU:C:2017:429, point 39).

38      Il incombe ainsi à la juridiction de renvoi de vérifier, d’une part, si la réglementation nationale en cause au principal répond à une telle raison impérieuse d’intérêt général. Il lui appartient, d’autre part, de s’assurer que le régime d’exonération fiscale qu’elle établit, à supposer qu’il poursuive effectivement un tel objectif, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci et respecte le principe de proportionnalité.

39      Cela étant, la Cour a estimé qu’aucun des arguments qui avaient été présentés devant elle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juin 2017, Van der Weegen e.a. (C‑580/15, EU:C:2017:429), ne permettait de considérer que l’application des conditions prévues à l’article 2 de l’AR/CIR 92, relatives à la rémunération des dépôts, serait nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger les consommateurs invoqué par le gouvernement belge.

40      Partant, la protection des consommateurs ne saurait, a priori, être invoquée pour justifier l’entrave considérée à la libre prestation des services.

41      Par conséquent, l’article 56 TFUE et l’article 36 de l’accord EEE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale établissant un régime d’exonération fiscale qui, bien qu’étant indistinctement applicable aux rémunérations afférentes aux dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements nationaux et étrangers, subordonne l’exonération des revenus des dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE à la satisfaction de conditions qui doivent être analogues à celles figurant dans cette réglementation nationale, lesquelles sont de facto propres au marché national.

42      En second lieu, la juridiction de renvoi doute de la compatibilité avec le droit de l’Union de la condition d’exonération, établie par la réglementation nationale en cause au principal, selon laquelle les dépôts d’épargne ouverts auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE doivent être des dépôts « réglementés ». Il semble pouvoir être déduit de la demande de décision préjudicielle que cette caractéristique exige que les conditions d’exonération des rémunérations afférentes à ces dépôts d’épargne, analogues à celles qui prévalent en ce qui concerne les rémunérations des dépôts d’épargne ouverts auprès d’établissements de crédit nationaux, aient été établies par les autorités publiques de l’État membre de l’Union ou de l’EEE concerné. Or, une telle exigence, selon la juridiction de renvoi, va « au-delà de l’assujettissement au contrôle prudentiel local et de l’adhésion au système de garantie des dépôts conformément à la directive 94/19 ».

43      À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 22 décembre 2022, Quadrant Amroq Beverages, C‑332/21, EU:C:2022:1031, point 31 et jurisprudence citée).

44      Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure devant la Cour, il est indispensable que la juridiction nationale explicite, dans cette décision, le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrit le litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [ordonnance du 8 septembre 2022, État belge (Droit de séjour pour motifs humanitaires), C‑56/22, non publiée, EU:C:2022:672, point 23 et jurisprudence citée].

45      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement. Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) [ordonnance du 8 septembre 2022, État belge (Droit de séjour pour motifs humanitaires), C‑56/22, non publiée, EU:C:2022:672, point 25].

46      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas, en ce qui concerne la condition selon laquelle, pour que les intérêts puissent bénéficier d’une exonération fiscale, il faudrait que le dépôt d’épargne qui les a générés soit un dépôt « réglementé », à l’exigence posée à l’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure.

47      En effet, l’exposé, dans la décision de renvoi, de l’objet du litige au principal est lacunaire, dans la mesure où cette juridiction n’offre aucune explication sur cet aspect de la question préjudicielle et ne permet donc pas à la Cour de comprendre l’enjeu de ce litige dans le cadre duquel elle est appelée à rendre sa décision préjudicielle.

48      En outre, la décision de renvoi ne comporte pas une description suffisamment précise du cadre juridique national permettant à la Cour d’identifier et de saisir la portée de la « réglementation » qui serait applicable aux dépôts d’épargne belges et, partant, en quoi consisterait exactement la condition à laquelle les dépôts d’épargne ouverts par les contribuables belges dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE devraient répondre à ce titre. À cet égard, il convient, plus particulièrement, de relever que la demande de décision préjudicielle ne reproduit pas la teneur des circulaires dont semble résulter la position de l’administration fiscale en ce qui concerne une telle exigence.

49      Enfin, la demande de décision préjudicielle ne comporte pas l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation des articles 56 et 63 TFUE ainsi que des articles 36 et 40 de l’accord EEE à l’égard de la condition rappelée au point 46 de la présente ordonnance, de sorte que la Cour ne peut pas apprécier dans quelle mesure une réponse à la question posée est nécessaire pour permettre à cette juridiction de rendre sa décision.

50      La juridiction de renvoi ne précise pas non plus la raison pour laquelle elle fait référence, dans sa question, au fait que les dépôts d’épargne sont en principe soumis à « la supervision prudentielle locale » et « au système de garantie des dépôts », conformément à la directive 94/19, qui vise à faire bénéficier les épargnants d’une couverture de base de leurs dépôts auprès d’établissements de crédit dans l’Union. En tout état de cause, cette directive n’est plus en vigueur. Elle a fait l’objet d’une refonte par la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173 p. 149), cette juridiction n’expliquant pas davantage pourquoi elle ne se réfère pas à cette dernière directive.

51      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en ce qui concerne la question de la compatibilité avec le droit de l’Union de l’exigence selon laquelle les dépôts d’épargne ouverts par les contribuables belges dans d’autres États membres de l’Union ou de l’EEE devraient être soumis à une « réglementation » comparable à celle qui serait applicable aux dépôts d’épargne ouverts en Belgique, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

52      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 56 TFUE et l’article 36 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale établissant un régime d’exonération fiscale qui, bien qu’étant indistinctement applicable aux rémunérations afférentes aux dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit nationaux et étrangers, subordonne l’exonération des revenus des dépôts d’épargne détenus auprès d’établissements de crédit établis dans d’autres États membres de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen à la satisfaction de conditions qui doivent être analogues à celles figurant dans cette réglementation nationale, lesquelles sont de facto propres au marché national.

Signatures


*      Langue de procédure : le néerlandais.

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