ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 juin 2023 ( *1 )

Table des matières

 

I. Le cadre juridique

 

II. La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

 

III. Sur le recours

 

A. Sur le premier grief tiré de l’absence de désignation des zones spéciales de conservation

 

1. Argumentation des parties

 

2. Appréciation de la Cour

 

B. Sur le deuxième grief tiré de l’absence de fixation des objectifs de conservation

 

1. Argumentation des parties

 

2. Appréciation de la Cour

 

C. Sur le troisième grief tiré d’une méconnaissance de l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires

 

1. Argumentation des parties

 

a) Les sites ne faisant, selon la Commission, l’objet d’aucune mesure de conservation ou faisant l’objet de mesures de conservation partielles

 

b) Les sites faisant, selon la Commission, l’objet de mesures de conservation qui ne sont pas fondées sur les objectifs de conservation

 

c) Une pratique persistante et systématique consistant à établir des mesures de conservation qui ne sont pas suffisamment précises et qui ne permettent pas de faire face à toutes les pressions et menaces importantes

 

2. Appréciation de la Cour

 

a) Observations liminaires

 

b) Les sites ne faisant l’objet d’aucune mesure de conservation ou faisant l’objet de mesures de conservation incomplètes

 

c) Les sites faisant l’objet de mesures de conservation qui ne sont pas fondées sur les objectifs de conservation

 

d) Une pratique persistante et systématique consistant à établir des mesures de conservation qui ne sont pas suffisamment précises et qui ne permettent pas de faire face à toutes les pressions et menaces importantes

 

Sur les dépens

« Manquement d’État – Environnement – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Zones spéciales de conservation – Région biogéographique atlantique – Article 4, paragraphe 4, et article 6, paragraphe 1 – Absence de désignation de zones spéciales de conservation et de fixation des objectifs de conservation – Absence ou insuffisance de mesures de conservation »

Dans l’affaire C‑444/21,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 16 juillet 2021,

Commission européenne, représentée par MM. C. Hermes et M. Noll-Ehlers, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par Mme M. Browne, M. A. Joyce, Mmes M. Lane et J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de Mmes E. Barrington, SC, A. Carroll, BL, et M. Gray, SC,

partie défenderesse,

soutenue par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocate générale : Mme T. Ćapeta,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 novembre 2022,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 9 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que :

en n’ayant pas désigné comme zones spéciales de conservation, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 217 des 423 sites d’importance communautaire de la région biogéographique atlantique qui ont été inscrits sur la liste établie par la décision 2004/813/CE de la Commission, du 7 décembre 2004, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2004, L 387, p. 1), mise à jour par la décision 2008/23/CE de la Commission, du 12 novembre 2007, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2008, L 12, p. 1), et par la décision 2009/96/CE de la Commission, du 12 décembre 2008, adoptant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, une deuxième liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2009, L 43, p. 466) (ci-après les « sites d’importance communautaire en cause ») ;

en ne définissant pas d’objectifs détaillés de conservation spécifiques à chaque site pour 140 des 423 sites d’importance communautaire en cause, et

en n’ayant pas adopté les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I et des espèces visées à l’annexe II de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci–après la « directive “habitats” »), présents sur les 423 sites d’importance communautaire en cause,

l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

I. Le cadre juridique

2

Les troisième et huitième considérants de la directive « habitats » énoncent :

« considérant que le but principal de la présente directive étant de favoriser le maintien de la biodiversité, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales, elle contribue à l’objectif général, d’un développement durable ; que le maintien de cette biodiversité peut, dans certains cas, requérir le maintien, voire l’encouragement, d’activités humaines ;

[...]

considérant qu’il convient, dans chaque zone désignée, de mettre en œuvre les mesures nécessaires eu égard aux objectifs de conservation visés ».

3

L’article 1er, sous l), de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

l)

zone spéciale de conservation : un site d’importance communautaire désigné par les États membres par un acte réglementaire, administratif et/ou contractuel où sont appliquées les mesures de conservation nécessaires au maintien ou au rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et/ou des populations des espèces pour lesquels le site est désigné ».

4

Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de ladite directive :

« Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire. »

5

L’article 3, paragraphes 1 et 2, de la même directive prévoit :

« 1.   Un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé “Natura 2000”, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

Le réseau Natura 2000 comprend également les zones de protection spéciale classées par les États membres en vertu des dispositions de la directive 79/409/CEE.

2.   Chaque État membre contribue à la constitution de Natura 2000 en fonction de la représentation, sur son territoire, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces visés au paragraphe 1. Il désigne à cet effet, conformément à l’article 4, des sites en tant que zones spéciales de conservation, et tenant compte des objectifs visés au paragraphe 1. »

6

L’article 4 de la directive « habitats » dispose :

« 1.   Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Pour les espèces aquatiques qui occupent de vastes territoires, ces sites ne sont proposés que s’il est possible de déterminer clairement une zone qui présente les éléments physiques et biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Les États membres suggèrent, le cas échéant, l’adaptation de cette liste à la lumière des résultats de la surveillance visée à l’article 11.

La liste est transmise à la Commission, dans les trois ans suivant la notification de la présente directive, en même temps que les informations relatives à chaque site. Ces informations comprennent une carte du site, son appellation, sa localisation, son étendue ainsi que les données résultant de l’application des critères spécifiés à l’annexe III (étape 1) et sont fournies sur la base d’un formulaire établi par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.

2.   Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 2) et dans le cadre de chacune des neuf régions biogéographiques mentionnées à l’article 1er, point c), iii), et de l’ensemble du territoire visé à l’article 2, paragraphe 1, la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des sites d’importance communautaire, à partir des listes des États membres, faisant apparaître les sites qui abritent un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires.

Les États membres dont les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires et une ou plusieurs espèces prioritaires représentent plus de 5 % du territoire national peuvent, en accord avec la Commission, demander que les critères énumérés à l’annexe III (étape 2) soient appliqués d’une manière plus souple en vue de la sélection de la totalité des sites d’importance communautaire sur leur territoire.

La liste des sites sélectionnés comme sites d’importance communautaire, faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires, est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.

3.   La liste mentionnée au paragraphe 2 est établie dans un délai de six ans après la notification de la présente directive.

4.   Une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux.

5.   Dès qu’un site est inscrit sur la liste visée au paragraphe 2, troisième alinéa, il est soumis aux dispositions de l’article 6, paragraphes 2, 3 et 4. »

7

Aux termes de l’article 6 de cette directive :

« 1.   Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.   Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

3.   Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site. Compte tenu des conclusions de l’évaluation des incidences sur le site et sous réserve des dispositions du paragraphe 4, les autorités nationales compétentes ne marquent leur accord sur ce plan ou projet qu’après s’être assurées qu’il ne portera pas atteinte à l’intégrité du site concerné et après avoir pris, le cas échéant, l’avis du public.

4.   Si, en dépit de conclusions négatives de l’évaluation des incidences sur le site et en l’absence de solutions alternatives, un plan ou projet doit néanmoins être réalisé pour des raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, l’État membre prend toute mesure compensatoire nécessaire pour assurer que la cohérence globale de Natura 2000 est protégée. [...]

[...] »

II. La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

8

Par la décision 2004/813, la Commission a adopté une liste des sites d’importance communautaire de la région biogéographique atlantique, dont 413 sont situés sur le territoire de l’Irlande. Le délai de six ans pour la désignation de ces sites comme zones spéciales de conservation, prévu à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », a expiré le 7 décembre 2010. Cette liste a été mise à jour par les décisions 2008/23 et 2009/96, fusionnant, en ce qui concerne l’Irlande, deux sites et en y ajoutant 11, pour porter ainsi à 423 le nombre total des sites situés sur le territoire de cet État membre.

9

Par lettre du 23 avril 2013, la Commission a demandé à l’Irlande de lui fournir des informations sur les mesures prises pour se conformer aux dispositions de l’article 4, paragraphe 4, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » et, en particulier, sur l’état d’avancement de la désignation comme zones spéciales de conservation des sites d’importance communautaire en cause, ainsi que sur l’état de préparation des objectifs et des mesures de conservation.

10

Eu égard à la réponse de l’Irlande, du 11 septembre 2013, la Commission a estimé que cet État membre avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des dispositions susmentionnées et lui a adressé, le 27 février 2015, une lettre de mise en demeure.

11

Après avoir examiné la réponse fournie par l’Irlande par une lettre du 5 mai 2015 ainsi que des rapports d’avancement présentés par cet État membre, la Commission a émis, le 29 avril 2016, un avis motivé, en application de l’article 258, premier alinéa, TFUE, faisant grief à cet État membre d’avoir manqué :

à l’obligation de désigner comme zones spéciales de conservation, conformément aux exigences de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 401 des sites d’importance communautaire en cause ;

à l’obligation de fixer, conformément à ladite disposition, les objectifs de conservation pour 335 de ces sites d’importance communautaire ;

à l’obligation d’adopter, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, les mesures de conservation nécessaires à l’égard de l’ensemble desdits sites d’importance communautaire.

12

Dans sa réponse du 27 juin 2016, l’Irlande a, en ce qui concerne les obligations découlant de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », mis en exergue la complexité du processus de désignation des sites d’importance communautaire en zones spéciales de conservation. Cet État membre prévoyait ainsi de compléter la désignation des zones spéciales de conservation au cours de l’année 2017. Il estimait cependant que les sites en cause étaient déjà protégés par la loi irlandaise en tant que « sites candidats à la désignation de zones spéciales de conservation » (ci-après les « sites candidats »).

13

Par lettre du 9 novembre 2018, reçue le même jour par l’Irlande, la Commission a adressé à cet État membre un avis motivé additionnel. Elle invitait les autorités irlandaises à se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci. Elle considérait désormais que les manquements de cet État membre concernaient :

255 sites d’importance communautaire, en ce qui concerne le défaut de désignation des sites d’importance communautaire en zones spéciales de conservation,

198 sites d’importance communautaire, en ce qui concerne l’absence de fixation d’objectifs de conservation détaillés,

l’ensemble des 423 sites d’importance communautaire en cause concernant l’absence de fixation des mesures de conservation.

14

Par lettre du 11 janvier 2019, l’Irlande a indiqué qu’elle prévoyait de désigner les sites restants en zones spéciales de conservation et de fixer les objectifs de conservation pour ces sites à la fin de l’année 2020 au plus tard et que ceux-ci étaient déjà protégés en tant que sites candidats. Elle indiquait aussi un programme de mise en œuvre des mesures de conservation.

15

Par courriels des 26 avril, 2 mai, 11 octobre et 12 décembre 2019 ainsi que des 14 janvier et 14 avril 2020, l’Irlande a informé la Commission de l’état d’avancement des procédures relatives à la désignation des sites d’importance communautaire en cause en tant que zones spéciales de conservation et à la fixation des objectifs de conservation.

16

Estimant que l’Irlande n’avait, ainsi, pas pris les mesures requises pour se conformer aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », la Commission a introduit, le 16 juillet 2021, le présent recours.

17

Par décision du président de la Cour du 6 décembre 2021, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au soutien de l’Irlande.

III. Sur le recours

18

À l’appui de son recours, la Commission invoque trois griefs, les deux premiers, tirés d’une violation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » et, le troisième, d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive. Elle allègue, premièrement, que 217 des sites d’importance communautaire en cause n’ont pas été désignés en tant que zones spéciales de conservation, deuxièmement, que des objectifs de conservation n’ont pas été fixés concernant 140 des sites d’importance communautaire en cause et, troisièmement, qu’aucune mesure de conservation suffisante n’a été établie pour les sites d’importance communautaire en cause.

19

L’Irlande conclut au rejet du recours en manquement. La République fédérale d’Allemagne, qui est intervenue à son soutien, ne prend toutefois position qu’en ce qui concerne le troisième grief.

A.   Sur le premier grief tiré de l’absence de désignation des zones spéciales de conservation

1. Argumentation des parties

20

Par son premier grief, la Commission reproche à l’Irlande d’avoir violé les obligations lui incombant en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », en omettant de désigner 217 des sites d’importance communautaire en cause en tant que zones spéciales de conservation, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans à compter des dates d’adoption des décisions 2004/813 et 2009/96.

21

Cette institution estime que la jurisprudence de la Cour, à savoir les arrêts du 27 février 2003, Commission/Belgique (C‑415/01, EU:C:2003:118, points 22 et 23), ainsi que du 14 octobre 2010, Commission/Autriche (C‑535/07, EU:C:2010:602, point 64), relative aux zones de protection spéciale prévues dans la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17 (ci-après la « directive “oiseaux” »), serait applicable en l’espèce compte tenu des objectifs de conservation poursuivis par les directives « habitats » et « oiseaux ». En appliquant cette jurisprudence, la délimitation de ces zones et les espèces protégées devraient donc faire l’objet d’une publication pour bénéficier d’une force contraignante indiscutable, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique.

22

Ainsi qu’il ressortirait de la note de la Commission sur la désignation de zones spéciales de conservation, du 14 mai 2012, le nom et la localisation du site, des espèces et des types d’habitats pour lesquels la zone spéciale de conservation est désignée devraient être clairement indiqués, tout comme les limites de ladite zone, l’objectif de la désignation, ainsi que les dispositions de protection applicables à une telle zone.

23

L’Irlande aurait informé la Commission que cette désignation se ferait au moyen d’actes de législation secondaire. Sans s’opposer à une telle méthode de désignation, elle souligne cependant qu’elle n’aurait concerné que 206 des sites d’importance communautaire en cause au terme du délai fixé par l’avis motivé additionnel, à compter duquel devait s’apprécier le manquement. En effet, l’Irlande aurait reconnu n’avoir désigné que 212 sites, dont six sites, à savoir Hempton’s Turbot Bank SAC, Porcupine Bank Canyon SAC, South-East Rockall Bank, Codling Fault Zone SAC, Blackwater Bank SAC et West Connacht Coast SAC, qui ne feraient pas partie des 423 sites d’importance communautaire en cause. À la date du dépôt de la requête, 154 sites demeureraient encore en attente de désignation.

24

L’octroi d’une protection aux sites dès leur inscription sur la liste de sites d’importance communautaire ne remettrait pas en cause l’obligation de les désigner en tant que zones spéciales de conservation en application de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».

25

Dans son mémoire en défense, l’Irlande rappelle que l’objectif général poursuivi à l’article 6 de la directive « habitats » est d’imposer aux États membres une série d’obligations visant à maintenir, ou à rétablir, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt pour l’Union européenne, en vue d’atteindre l’objectif plus général de cette directive qui est de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement [arrêts du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 106, ainsi que du 7 novembre 2018, Holohan e.a., C‑461/17, EU:C:2018:883, point 30 et jurisprudence citée].

26

Cet État membre soutient, en premier lieu, que les mesures visées par la Commission et rappelées au point 22 du présent arrêt ont été prises pour l’ensemble des sites d’importance communautaire en cause par la protection offerte par le droit irlandais à tous les « sites européens », notion de droit irlandais qui inclurait également les sites candidats et, par là même, les sites d’importance communautaire. L’objectif consistant à atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement et à contribuer à la constitution du réseau Natura 2000 aurait donc été rempli pour l’ensemble des sites d’importance communautaire en cause.

27

Ainsi, un site candidat bénéficierait de la même protection que les zones spéciales de conservation.

28

À titre illustratif, les quatrième et cinquième parties de l’European Communities (Birds and Natural Habitats) Regulations 2011 (règlement de 2011 portant transposition des directives « oiseaux » et « habitats » des communautés européennes, ci-après le « règlement de transposition ») imposeraient au ministre du Logement, de l’Administration locale et du Patrimoine (ci-après le « ministre compétent ») certaines obligations concernant les activités, les plans ou les projets susceptibles d’affecter des sites européens. Elles protégeraient donc de manière égale les sites, qu’ils aient été ou non formellement désignés en tant que zones spéciales de conservation.

29

À cet égard, l’article 28 du règlement de transposition imposerait au ministre compétent, lorsqu’il considère qu’une activité est susceptible d’avoir un effet significatif sur un site européen, d’interdire, en principe, cette activité. Ledit règlement contiendrait, à cet effet, une liste des activités soumises à autorisation. Les autorités publiques devraient, en outre, prendre en compte la liste des activités soumises à autorisation lorsqu’elles examinent une demande d’autorisation en application d’un quelconque régime législatif ou lorsqu’elles proposent l’adoption de leurs propres plans ou projets.

30

Par ailleurs, la cinquième partie de ce règlement prévoirait une procédure par laquelle une autorité publique effectue, le cas échéant, une évaluation appropriée d’un plan ou d’un projet pour lequel cette autorité publique a reçu une demande d’autorisation ou qu’elle souhaite entreprendre.

31

En application de l’article 11 dudit règlement, l’identification d’un site comme site candidat à la désignation en tant que site d’importance communautaire devrait être consultable au cabinet du ministre compétent, sur Internet, et faire l’objet d’une information aux organismes spécifiés, aux propriétaires fonciers et à l’ensemble de la population. L’information ainsi disponible comprendrait, notamment, une carte définissant la limite du site, son appellation, sa localisation et son étendue, ainsi que le motif sous-tendant l’identification du site comme site candidat à la désignation en tant que site d’importance communautaire.

32

En second lieu, l’Irlande souligne, sans préjudice de ce qui précède, la complexité de la procédure de désignation formelle des sites d’importance communautaire en cause en tant que zones spéciales de conservation, laquelle comporterait le plus souvent l’obligation d’informer les propriétaires concernés et de leur permettre d’objecter à cette désignation, ce qui serait essentiel aux fins de leur garantir une protection juridique. Ainsi, la désignation formelle des sites concernés aurait impliqué la nécessité de dialoguer avec 18516 propriétaires et de traiter les 674 recours formés par ces propriétaires.

33

En outre, sur les sites non encore désignés, 20 sites seraient des tourbières hautes dont la fin de la procédure de désignation dépendrait d’un accord avec la Commission au sujet de la solution de gestion globale du réseau de telles tourbières hautes qui fait l’objet d’un dialogue approfondi avec ladite institution.

34

Dans son mémoire en réplique, la Commission conteste que le processus de désignation de ces 20 tourbières hautes dépende de l’issue des discussions sur la manière dont elles devraient être gérées, et relève que, en ce qui concerne l’éventuelle complexité du processus de désignation formelle en droit irlandais, par exemple la nécessité de traiter les recours des propriétaires fonciers, selon la jurisprudence constante de la Cour, les États membres ne sauraient exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union [arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 89 et jurisprudence citée].

35

Cette institution estime qu’il résulte du contexte de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » qu’il existe une obligation d’achever le processus prévu à cet article par la désignation d’un site en zone spéciale de conservation. L’interprétation inverse soumise par l’Irlande tendrait à priver le paragraphe 4 dudit article de tout effet utile.

36

L’obligation de protéger les sites avant leur désignation en zones spéciales de conservation serait, par ailleurs, prévue à l’article 4, paragraphe 5, de la directive « habitats ».

37

Par ailleurs, la protection offerte aux sites candidats en vertu du droit irlandais serait inférieure à celle devant être offerte aux zones spéciales de conservation, qui sont seules concernées par l’obligation d’établir des mesures de conservation en application de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

38

Cette protection ne répondrait pas, en outre, à l’exigence de clarté et de sécurité juridique. En effet, la liste des sites candidats serait susceptible d’évoluer en fonction des objections formulées par les personnes concernées.

39

Dans son mémoire en duplique, l’Irlande souligne qu’il ressort de la note de la Commission, visée au point 22 du présent arrêt, que la procédure pour la désignation des zones spéciales de conservation relève du droit interne des États membres. Conformément à sa marge d’appréciation, l’Irlande aurait choisi de désigner les zones spéciales de conservation en leur conférant, en tant que sites européens, toutes les protections requises.

40

Selon cet État membre, l’affirmation de la possible évolution du périmètre des sites avant la désignation formelle n’est pas étayée. Par ailleurs, la désignation des zones spéciales de conservation ne rendrait pas définitives leurs frontières, celles-ci pouvant être modifiées postérieurement à leur désignation en cas d’erreur scientifique.

41

L’interprétation présentée par l’Irlande ne priverait pas d’effet utile l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ». En effet, le droit irlandais répondrait aux obligations découlant de ce paragraphe et assurerait ainsi la protection des sites concernés en imposant de faire application du principe de précaution et de procéder aux évaluations visées à l’article 6, paragraphe 3, de cette directive.

42

La protection offerte par la réglementation irlandaise aux sites candidats irait au-delà de celle découlant de l’article 4, paragraphe 5, de la directive « habitats », étant donné que cette réglementation prévoirait la publication des détails et de l’étendue du site concerné, des intérêts éligibles ainsi que d’une liste d’activités nécessitant une autorisation préalable pour être mises en œuvre.

43

À la date du dépôt du mémoire en duplique, l’Irlande indique avoir achevé la désignation formelle de 339 des 423 sites d’importance communautaire en cause.

2. Appréciation de la Cour

44

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 3, paragraphe 2, de la directive « habitats » impose aux États membres de contribuer à la constitution du réseau Natura 2000 en fonction de la représentation, sur leurs territoires respectifs, des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et des habitats des espèces figurant à l’annexe II de ladite directive, et de désigner, à cet effet, conformément à l’article 4 de la même directive et au terme de la procédure établie par celle-ci, des sites en tant que zones spéciales de conservation.

45

La procédure de désignation des sites en tant que zones spéciales de conservation, telle que prévue à l’article 4 de la directive « habitats », se déroule en quatre étapes. Selon cet article 4, paragraphe 1, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels et les espèces indigènes qu’ils abritent et cette liste est transmise à la Commission (première étape). Conformément au paragraphe 2 dudit article 4, la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des sites d’importance communautaire, à partir des listes des États membres (deuxième étape). Sur la base de ce projet de liste, la Commission arrête la liste des sites sélectionnés (troisième étape). En application du paragraphe 4 du même article 4, une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu, l’État membre concerné désigne celui-ci comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel ou d’une espèce et pour la cohérence de Natura 2000 (quatrième étape) (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2019, CFE, C‑43/18, EU:C:2019:483, point 37).

46

L’Irlande ne conteste pas le fait que, à la date à laquelle a expiré le délai imparti dans l’avis motivé additionnel, l’ensemble des 217 sites en cause n’ont pas fait l’objet d’une désignation formelle en tant que zones spéciales de conservation. Elle invoque, cependant, le fait que la protection qu’elle offre aux sites candidats est analogue à la protection offerte aux zones spéciales de conservation, de sorte que les objectifs de la directive « habitats » seraient remplis.

47

À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un recours en manquement contre la République portugaise, cet État membre avait soulevé, comme moyen de défense, l’argument selon lequel des mesures et des programmes de conservation nationaux existants, liant juridiquement l’administration publique, s’appliquent aux sites d’importance communautaire en cause à partir de la date de la communication à la Commission de la liste établie par la République portugaise en application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « habitats » [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 31].

48

En réponse à cet argument, d’une part, la Cour a jugé que les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique [arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 35].

49

D’autre part, la Cour a considéré que la République portugaise, en soutenant que les procédures de désignation des sites d’importance communautaire en cause en tant que zones spéciales de conservation d’un point de vue formel n’étaient pas achevées, ne contestait pas que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, elle n’avait pas encore désigné ces sites en tant que zones spéciales de conservation [arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 37].

50

Un tel raisonnement trouve également à s’appliquer au moyen de défense avancé par l’Irlande selon lequel la protection accordée par la réglementation irlandaise à l’égard des sites d’importance communautaire et des sites candidats est suffisante pour satisfaire aux obligations qui découlent de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».

51

En l’occurrence, il convient de constater que la réglementation nationale invoquée par l’Irlande, au soutien de sa réponse au premier grief de la requête de la Commission, laquelle réglementation, selon cet État membre, accorde une protection suffisante aux sites d’importance communautaire en cause en l’absence de la désignation de ces derniers en tant que zones spéciales de conservation, n’est pas de nature à satisfaire à l’obligation spécifique, prévue à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », de désigner formellement les sites d’importance communautaire en tant que zones spéciales de conservation.

52

En effet, une telle obligation constitue une étape obligatoire du régime de la protection des habitats et des espèces prévue par cette directive.

53

À cette obligation s’ajoutent celles de déterminer les objectifs de conservation, conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », et d’établir les mesures de conservation, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 50).

54

Cette dernière obligation, pour les États membres, d’adopter des mesures de conservation nécessaires afin de protéger les zones spéciales de conservation, qui est prévue à l’article 6 de la directive « habitats », est distincte de l’obligation formelle pour ces États, prévue à l’article 4, paragraphe 4, de cette directive, de désigner les sites d’importance communautaire en tant que zones spéciales de conservation, conformément à la jurisprudence visée au point 45 du présent arrêt.

55

En ce qui concerne la complexité de la procédure de désignation formelle soulignée par l’Irlande, qui résulte notamment de l’introduction par les propriétaires des sites concernés de recours juridiques contre une telle désignation, il convient de rappeler que les États membres ne sauraient exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union [arrêt du 12 novembre 2019, Commission/Irlande (Parc éolien de Derrybrien), C‑261/18, EU:C:2019:955, point 89 et jurisprudence citée].

56

Dans ces conditions, il convient de constater que, en ayant omis de désigner en tant que zones spéciales de conservation, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 217 des 423 sites d’importance communautaire en cause, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».

57

Partant, le premier grief doit être accueilli.

B.   Sur le deuxième grief tiré de l’absence de fixation des objectifs de conservation

1. Argumentation des parties

58

Par son deuxième grief, la Commission reproche à l’Irlande d’avoir violé les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » en omettant de fixer des objectifs détaillés de conservation pour 140 des sites d’importance communautaire en cause.

59

Cette institution déduit l’obligation de fixer des objectifs détaillés de conservation pour chaque site dans le délai maximal de six ans de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, EU:C:2020:1047, points 46 à 52).

60

À la date à laquelle a expiré le délai fixé dans l’avis motivé additionnel, l’Irlande aurait manqué à cette obligation à l’égard de 140 des 423 sites d’importance communautaire en cause.

61

Dans son mémoire en défense, l’Irlande reconnaît ne pas avoir achevé la procédure d’identification et de publication des objectifs de conservation spécifiques pour l’ensemble des 423 sites d’importance communautaire en cause.

62

Cet État membre indique avoir déployé des efforts considérables pour identifier et publier des objectifs de conservation spécifiques. La pandémie de COVID-19 aurait, toutefois, retardé l’achèvement des travaux. À la date du mémoire en défense de l’Irlande, 371 sites disposeraient d’objectifs de conservation. À la date du mémoire en duplique de cet État membre, les objectifs de conservation auraient été fixés pour l’ensemble des sites.

63

Compte tenu des progrès réalisés, il n’y aurait pas de violation substantielle de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».

2. Appréciation de la Cour

64

S’agissant des termes de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », il convient de constater que, si le libellé de cette disposition ne mentionne pas expressément l’obligation de fixer des objectifs de conservation, cette disposition exige, toutefois, que les autorités compétentes de l’État membre concerné, lors de la désignation de la zone spéciale de conservation, établissent les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat. Or, établir ces priorités implique que ces objectifs de conservation aient déjà été fixés (arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 46).

65

Ainsi, et en tenant compte également du contexte et de la finalité de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », la Cour a considéré que, s’il ressort de cette disposition que la désignation des zones spéciales de conservation et la détermination des priorités en matière de conservation doivent être opérées le plus rapidement possible, et en tout état de cause dans un délai maximal de six ans à partir du moment où un site d’importance communautaire a été retenu dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 2 de cet article, ce délai s’applique également à l’établissement des objectifs de conservation, étant donné que ceux-ci sont nécessaires en vue de la fixation de ces priorités et doivent, partant, précéder la fixation de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, points 47 à 53).

66

Il convient d’ajouter que seuls des objectifs spécifiques et précis peuvent être qualifiés d’« objectifs de conservation », au sens de la directive « habitats » (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 59).

67

En l’espèce, les délais de six ans qui étaient impartis à l’Irlande pour désigner les sites dont la liste figure dans les décisions 2004/813 et 2009/96 ont expiré, respectivement, le 7 décembre 2007 et le 12 décembre 2014.

68

L’Irlande reconnaît que, à l’expiration du délai prévu par l’avis motivé additionnel, à savoir le 9 janvier 2019, elle n’avait pas fixé dans l’ordre juridique national les objectifs spécifiques de conservation relatifs aux 140 sites d’importance communautaire pour lesquels la Commission soulève le deuxième grief.

69

Dans ces conditions, il convient de constater que, en ne définissant pas d’objectifs détaillés de conservation spécifiques à chaque site pour 140 des 423 sites d’importance communautaire en cause, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».

70

Partant, le deuxième grief doit être accueilli.

C.   Sur le troisième grief tiré d’une méconnaissance de l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires

1. Argumentation des parties

71

Dans sa requête, la Commission reproche à l’Irlande d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » en n’ayant pas adopté les mesures de conservation nécessaires. Tout d’abord, aucune mesure de conservation n’aurait été adoptée concernant 230 sites. Ensuite, les mesures de conservation adoptées dans 149 autres sites ne seraient que parcellaires. En outre, les mesures des 44 sites faisant l’objet de mesures de conservation complètes ne seraient pas valables car elles auraient été adoptées antérieurement à la fixation des objectifs de conservation. Enfin, il est fait grief à l’Irlande d’avoir adopté une pratique générale consistant à établir des mesures de conservation insuffisamment précises.

a) Les sites ne faisant, selon la Commission, l’objet d’aucune mesure de conservation ou faisant l’objet de mesures de conservation partielles

72

La Commission considère que les mesures de conservation requises auraient dû être adoptées dans le délai de six ans prévu à l’article 4, paragraphe 4, de cette directive applicable à la désignation de zones spéciales de conservation. Elle soutient que les mesures de conservation, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », doivent, selon les arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, EU:C:2019:669, point 52), ainsi que du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 76), être établies et mises en œuvre dans le cadre de ces zones spéciales de conservation et donc dans le délai de désignation de ces dernières.

73

La Commission estime qu’il ressort clairement du libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » que l’État membre en cause doit mettre en place des mesures de conservation pour toutes les zones spéciales de conservation de leur territoire.

74

Or, d’une part, l’Irlande ne lui aurait communiqué aucune mesure de conservation concernant 230 sites sur les 423 sites d’importance communautaire en cause.

75

D’autre part, s’agissant des 193 sites restants, qui font l’objet de mesures de conservation, la Commission soutient, en se fondant sur les arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, EU:C:2020:669, point 55), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 86), que les mesures de conservation doivent être établies en fonction de chaque espèce et de chaque type d’habitat présents dans chacun des sites en cause. Or, l’Irlande n’aurait mis en place des mesures de conservation que pour une partie des espèces et/ou des types d’habitats protégés dans 149 sites.

76

La Commission expose qu’elle est parvenue à ce chiffre en comparant le nombre d’éléments éligibles des sites, indiqué par l’Irlande dans les formulaires standard de données pertinents, et le nombre de ces éléments pour lesquels l’Irlande indiquait avoir établi des mesures de conservation.

77

Les mesures indiquées par l’Irlande dans sa réponse à l’avis motivé de la Commission seraient insuffisantes pour réduire le nombre de sites faisant l’objet de mesures de conservation partielles. En effet, selon la Commission, la plupart de ces mesures ne seraient qu’en cours d’élaboration, plus précisément au stade préparatoire. En outre, l’Irlande n’aurait fourni aucune information permettant de conclure que les mesures mentionnées complèteraient l’ensemble des mesures de conservation et couvriraient donc tous les éléments des sites concernés présentant un intérêt.

78

Dans son mémoire en défense, l’Irlande expose qu’elle a mis en œuvre des mesures de conservation globales et détaillées à travers dix programmes nationaux. Lesdits programmes seraient élaborés par type d’habitats et par espèce et non par site. Toutefois, la mise en œuvre desdits programmes serait réalisée de manière spécifique à chaque site. Ces éléments démontreraient que cet État membre non seulement respecte l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », mais a également la volonté de satisfaire davantage aux exigences de cette disposition d’une manière pragmatique en garantissant une protection adéquate des espèces et des habitats concernés.

79

Plus spécialement, cet État membre indique avoir adopté des mesures de conservation complètes pour 79 sites figurant à l’annexe du mémoire en défense et produit les mesures adoptées pour un échantillon de 6 sites à titre illustratif. Des mesures de conservation au moins partielles seraient en place dans de nombreux sites.

80

L’Irlande indique que le règlement de transposition contient des mesures de conservation en ce qu’il impose une autorisation préalable pour l’exercice d’une activité et vise ainsi à éviter que le site en cause ne subisse un préjudice. Ainsi, chacun des sites en cause ferait l’objet de mesures de conservation.

81

L’Irlande reconnaît que la manière dont l’information était transmise à la Commission pourrait être défaillante. Compte tenu de l’absence de système centralisé de gestion des données pour saisir les interventions et les mesures de gestion des sites en cause, il lui serait difficile de transférer de manière exhaustive des résultats, sur la base d’éléments de preuve, du niveau local de gestion des sites vers le niveau national. Une plateforme centralisée des données serait envisagée.

82

La Commission relève que les 10 programmes nationaux mentionnés par l’Irlande et la liste de 79 sites faisant prétendument l’objet de mesures de conservation complètes ne concernent, ensemble, que 137 sites. L’Irlande admettrait ainsi qu’il y aurait au moins 286 sites qui seraient dépourvus de mesure de conservation.

83

Concernant ces 79 sites ainsi que les sites supplémentaires visés par les 10 programmes nationaux invoqués par l’Irlande en se référant au contenu des documents annexés à son mémoire en défense, la Commission affirme que cet État membre n’indique pas, dans son mémoire en défense, dans quelle partie des annexes il serait question du caractère prétendument « exhaustif et complet » des mesures de conservation relatives à ces 79 sites, ni ne renvoie aux 10 programmes, qu’il aurait résumés dans l’une de ces annexes, pour réfuter, en particulier, le caractère incomplet des mesures de conservation. Ainsi, conformément à l’article 124, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure de la Cour, il n’y aurait pas lieu de tenir compte des informations figurant dans ces annexes.

84

En outre, quatre de ces dix programmes auraient été adoptés postérieurement à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé additionnel. Il résulterait également de l’annexe au mémoire en défense que certains de ces programmes ne couvriraient que partiellement les éléments éligibles des sites.

85

Dans son mémoire en duplique, l’Irlande soutient que l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », préconisée par la Commission, selon laquelle cette disposition exigerait qu’il soit démontré que des mesures de conservation ont été mises en œuvre sur tous les sites, et que ces mesures fonctionnent, est irréalisable et méconnaît le contexte réel. Cette interprétation ne trouverait de fondement ni dans la directive ni dans la jurisprudence de la Cour.

86

Les mesures de conservation nécessiteraient, par leur nature, des ajustements, de sorte que l’identification de mesures supplémentaires ou différentes ne suffirait pas à démontrer un manquement de l’Irlande. Il serait suffisant que l’Irlande assure constamment une surveillance des mesures de conservation mises en œuvre dans l’ensemble du réseau Natura 2000, afin de s’assurer que les menaces et les pressions ayant été identifiées pour les différents sites soient prises en compte. Cette interprétation serait corroborée par les articles 11 et 17 de la directive « habitats », qui prévoient l’évaluation des mesures de conservation ainsi que, si nécessaire, l’ajustement de leur mise en œuvre pour garantir leur efficacité.

87

Le fait que les programmes de conservation ne sont pas explicitement liés aux frontières des sites ne remettrait pas en cause l’efficacité de ces mesures. Au contraire, la mise en place de programmes globaux, et non de mesures individuelles pour chaque site, aurait des conséquences globales sur la protection des espèces et des habitats et refléterait la nécessaire coordination des actions pour répondre à la complexité de l’objectif de conservation.

88

En annexe à son mémoire en duplique, l’Irlande produit les mesures de conservation adoptées concernant 6 sites supplémentaires, figurant sur la liste de 79 sites, et 21 sites relatifs à la chauve-souris Rhinolophus hipposideros, ainsi que des éléments supplémentaires concernant les quelques sites qu’elle avait sélectionnés à titre illustratif dans son mémoire en défense.

89

Dans son mémoire en intervention, la République fédérale d’Allemagne s’oppose à l’interprétation selon laquelle les mesures de conservation devraient porter sur chaque espèce ou chaque type d’habitat présents dans les sites concernés.

90

La jurisprudence de la Cour se référerait à une obligation de prendre des mesures de conservation non pas propres ou individuelles pour chaque espèce ou type d’habitat, mais établies en fonction des exigences écologiques de chaque espèce et de chaque type d’habitat [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669, point 55].

91

Dans l’arrêt du 7 décembre 2000, Commission/France (C‑374/98, EU:C:2000:670, point 20), concernant la directive « oiseaux », mais applicable à la directive « habitats », la Cour aurait rejeté le grief invoqué contre la République française, selon lequel les mesures de conservation spéciales auraient été insuffisantes en l’absence de dispositions spécifiques à chaque espèce d’oiseaux sauvages présente dans la zone concernée au motif que les dispositions nationales en cause, en ce qu’elles prévoyaient l’interdiction d’activités susceptibles de porter atteinte à l’intégrité des biotopes en cause, profitaient à toute l’avifaune qui fréquente les zones couvertes par cette réglementation.

92

Selon le contexte, soit des interdictions générales suffiraient pour prévenir les principaux risques ou menaces sur le site, soit des mesures différenciées seraient nécessaires. Il serait donc excessivement formaliste d’exiger systématiquement des mesures propres à chaque zone.

93

Dans son mémoire en réponse au mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne, la Commission se défend de tout formalisme.

94

Cette institution s’accorde avec la République fédérale d’Allemagne sur le fait qu’une mesure de conservation pourrait cibler plusieurs éléments si ceux-ci présentent des exigences écologiques similaires. Cependant, chaque habitat et chaque espèce présents sur le site devrait bénéficier des mesures de conservation nécessaires fondées sur des objectifs de conservation spécifiques. Tel ne serait pas le cas en l’espèce puisque l’Irlande n’aurait communiqué des mesures que pour un sous-ensemble des éléments pertinents.

b) Les sites faisant, selon la Commission, l’objet de mesures de conservation qui ne sont pas fondées sur les objectifs de conservation

95

Dans sa requête, la Commission reproche à l’Irlande d’avoir adopté des mesures de conservation, alors que les objectifs de conservation n’étaient pas encore établis en ce qui concerne les 44 sites en cause faisant l’objet de mesures de conservation complètes.

96

Selon cette institution, il résulte de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, (C‑849/19, EU:C:2020:1047, points 46 à 52), que les mesures de conservation doivent être fondées sur les objectifs de conservation.

97

Ladite institution en déduit l’obligation légale de fonder les mesures de conservation sur des objectifs de conservation spécifiques à chaque site et clairement définis, comprenant une composante matérielle (les objectifs et les mesures doivent être corrélés) et une composante séquentielle (les objectifs ne doivent pas succéder aux mesures). Cette approche serait confirmée par l’interprétation systématique de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » au regard de l’article 6, paragraphe 3, de cette directive, qui prévoit que l’évaluation des projets susceptibles d’affecter une zone spéciale de conservation doit tenir compte des objectifs de conservation.

98

Dans son mémoire en défense, l’Irlande conteste l’interprétation de l’arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, EU:C:2020:1047), préconisée par la Commission, laquelle serait trop littérale et ne prendrait pas en compte l’esprit et le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, aucun objectif de conservation n’aurait été fixé. Il conviendrait de distinguer un tel cas de figure de celui de l’espèce dans lequel des objectifs de conservation ont été fixés postérieurement à l’établissement des mesures de conservation.

99

Dans son mémoire en réplique, la Commission ajoute que le fait que les objectifs de conservation doivent précéder les mesures de conservation s’impose au regard de l’objet et de la finalité de la directive « habitats ». En effet, les objectifs de conservation définissent les paramètres permettant d’évaluer si les mesures de conservation atteignent ces objectifs. Si les objectifs de conservation étaient établis postérieurement aux mesures de conservation, il y aurait un risque que ces objectifs ne fassent que refléter des mesures de conservation préalablement définies.

100

Dans son mémoire en duplique, l’Irlande souligne que l’interprétation de la Commission conduit à écarter les mesures de conservation mises en œuvre par les États membres aux fins de la directive « habitats » en raison du fait qu’elles sont antérieures à la publication des objectifs de conservation.

101

Or, les mesures de conservation en cause seraient fondées sur une évaluation adaptée des menaces et des pressions.

102

Dans son mémoire en intervention, la République fédérale d’Allemagne estime, elle aussi, qu’un manquement ne peut résulter du seul fait que l’établissement des objectifs de conservation n’a pas précédé la fixation des mesures de conservation. L’élément décisif au regard duquel l’existence d’un manquement doit être appréciée serait l’efficacité des mesures de conservation, indépendamment de la date à laquelle elles sont adoptées.

103

Une autre interprétation imposerait, de manière purement formelle, de prendre à nouveau des mesures de conservation alors même que les mesures adoptées seraient efficaces et répondraient pleinement aux critères matériels de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». L’imposition de cette exigence formelle irait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 213), selon laquelle l’élément principal consisterait à ce que les mesures de conservation nécessaires soient mises en œuvre d’une manière effective.

104

La République fédérale d’Allemagne perçoit en outre une contradiction dans le raisonnement de la Commission. D’une part, cette institution estimerait que les objectifs de conservation doivent être établis dès qu’un site est désigné comme site d’importance communautaire. D’autre part, elle admettrait que soit appliqué à l’établissement de ces objectifs le délai de 6 ans prévu à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats »

105

Dans sa réponse au mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne, la Commission fait valoir que l’hypothèse, dans laquelle les mesures de conservation, adoptées antérieurement à l’établissement des objectifs de conservation, répondraient à ces objectifs, relève de la pure coïncidence. Il existerait, à l’inverse, un risque que les objectifs de conservation ex post ne remplissent pas leur fonction de détermination de la contribution potentielle d’un site au réseau Natura 2000 parce qu’ils refléteraient simplement l’ambition des mesures de conservation existantes qui n’étaient pas fondées sur des objectifs de conservation et, partant, n’étaient pas axées sur l’objectif général poursuivi par la directive « habitats », à savoir le maintien et le rétablissement d’un état de conservation favorable. Ce problème serait accentué lorsque, comme en l’espèce, les mesures seraient systématiquement antérieures à l’établissement des objectifs.

106

Ladite institution réfute, par ailleurs, toute contradiction dans son interprétation. L’ordre imposé par la directive « habitats » suivrait le libellé des articles 4 et 6 de cette directive.

c) Une pratique persistante et systématique consistant à établir des mesures de conservation qui ne sont pas suffisamment précises et qui ne permettent pas de faire face à toutes les pressions et menaces importantes

107

Dans sa requête, la Commission fait valoir que les mesures de conservation doivent être claires et précises. Des mesures génériques, d’orientation ou nécessitant des mesures de concrétisation en vue de leur mise en œuvre effective ne seraient pas suffisantes (arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, points 77 et 78 ainsi que jurisprudence citée).

108

En outre, l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » prévoirait également une exigence qualitative, à savoir que ces mesures doivent permettre de répondre à toutes les principales pressions ou menaces.

109

En l’espèce, les mesures de conservation mises en place par l’Irlande seraient, de manière systématique et persistante, insuffisamment précises et détaillées pour répondre à l’ensemble des pressions et des menaces importantes.

110

La Commission pourrait, en vertu de l’article 258 TFUE, faire constater que les dispositions d’une directive n’ont pas été respectées car une pratique générale contraire à celles‑ci aurait été adoptée par les autorités d’un État membre, dont des situations spécifiques seraient le cas échéant l’illustration (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, EU:C:2005:250, point 27).

111

Cette institution soutient, sur la base d’une évaluation qualitative d’un large éventail de sites irlandais faisant l’objet de mesures de conservation existantes, que les mesures de conservation en place dans les sites irlandais étaient de manière systématique et persistante d’une qualité insuffisante parce qu’elles n’étaient pas suffisamment précises et détaillées, ou qu’elles étaient insuffisantes pour répondre à l’ensemble des pressions et des menaces importantes.

112

La Commission illustre ce défaut systémique par une évaluation détaillée axée sur deux types d’habitats prioritaires importants figurant dans un large éventail de sites irlandais, à savoir, d’une part, les lagunes côtières ainsi que les tourbières de couverture, et, d’autre part, une espèce particulièrement menacée, la moule perlière d’eau douce.

113

Ces exemples seraient représentatifs et, par conséquent, révélateurs d’une violation générale et persistante par l’Irlande de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Ils concerneraient un grand nombre de sites, qui auraient été choisis notamment en raison de leur état de conservation – défavorable ou mauvais – relevé dans les rapports de l’Irlande établis au titre de l’article 17 de cette directive et de l’importance des habitats et des espèces en cause, notamment, l’Irlande abritant une grande partie des tourbières de couverture et des moules perlières d’eau douce. Enfin, la répartition géographique des sites examinés serait représentative de la configuration géographique du réseau des sites d’importance communautaire et des zones spéciales de protection en Irlande.

114

La Commission expose, ainsi, tout d’abord, l’exemple des lagunes côtières, pour lesquelles auraient été communiquées notamment les mesures de conservation d’« envasement » et d’« immersion » ainsi que celles de « gestion des niveaux d’eau ». Ces mesures ne seraient pas suffisamment spécifiques en termes quantitatifs et d’indication des acteurs responsables ou des activités à mettre en œuvre et ne répondraient notamment pas à la pression relative à la pollution des eaux.

115

Le large éventail des pressions sur ce type d’habitat et l’insuffisance de ces mesures seraient confirmés par le rapport établi par l’Irlande au cours de l’année 2019 au titre de la directive « habitats », selon lequel l’état des lagunes est mauvais et se détériore.

116

La Commission prend ensuite l’exemple des tourbières de couverture. Les mesures de conservation des sites concernés seraient trop génériques. Dans ce contexte, cette institution cite des éléments tels que l’« enlèvement mécanique de tourbe », l’« extraction de tourbe », le « brûlage », le « déboisement », le « pâturage », la « gestion forestière générale », la « gestion des niveaux d’eau », d’« autres conséquences liées aux activités touristiques et de loisirs », la « chasse », l’« enlèvement des broussailles », l’« enlèvement/contrôle des espèces végétales » ainsi que la « pose de clôtures ».

117

Il ressortirait du rapport de l’Irlande pour l’année 2013 au titre de la directive « habitats » que ces mesures sont centrées sur la menace que représente le surpâturage, mais ne répondent pas suffisamment aux autres pressions et menaces importantes pesant sur les tourbières de couverture, telles que, ainsi qu’il ressort du rapport de l’Irlande pour l’année 2019, les parcs éoliens et autres infrastructures, la coupe de la tourbe, l’érosion, le brûlage, le boisement, les activités agricoles entraînant un dépôt d’azote ou le drainage. Ces rapports indiqueraient que l’état de ces tourbières est mauvais et se détériore.

118

La Commission prend, enfin, l’exemple des sites de protection de la moule perlière d’eau douce et estime que les mesures de conservation de ces sites se réfèrent, de manière très générique, aux « rejets », à l’« élimination des déchets ménagers », à la « pollution de l’eau » ou à l’« irrigation » sans prévoir de mesures de conservation assorties de termes quantitatifs, d’acteurs responsables ou de calendriers.

119

En outre, elle considère que ces mesures ne répondent pas aux pressions, recensées par l’Irlande, résultant de « la pollution diffuse des eaux de surface due aux activités agricoles et sylvicoles », du « captage d’eau de surface pour l’approvisionnement public en eau », d’« incendies » ou de la « plantation forestière sur des terrains découverts ».

120

Les mesures du projet KerryLIFE, auquel l’Irlande renvoie dans sa réponse à l’avis motivé additionnel de la Commission, seraient insuffisantes, notamment parce qu’elles ne remédient pas aux pressions exercées par la sylviculture sur les sites concernés. L’Irlande ferait aussi référence au projet de partenariat européen pour l’innovation qui concerne sept sites de protection de la moule perlière d’eau douce, mais ne fournirait pas d’informations sur la manière dont les mesures associées répondraient à chacune des principales pressions et menaces auxquelles l’espèce visée est confrontée sur ces sites.

121

Le rapport établi par l’Irlande pour l’année 2019 au titre de la directive « habitats » confirmerait les pressions exercées sur lesdits sites et démontrerait l’insuffisance des mesures de conservation de ceux-ci, puisque l’état global de ces derniers y est évalué comme étant mauvais et « en détérioration ».

122

Dans son mémoire en défense, l’Irlande expose, à titre illustratif, que des plans de rétablissement et de drainage spécifiques à chaque site ont été élaborés pour l’ensemble du réseau de tourbières hautes d’Irlande désignées comme zones spéciales de conservation, dont 53 sites en cause, et des mesures de conservation sont actuellement mises en œuvre dans l’ensemble de ce réseau. Les mesures de conservation exposées dans chaque plan seraient conçues afin d’atteindre, pour chaque zone spéciale de conservation, les buts prévus par l’objectif de conservation spécifique au site pour l’habitat « tourbières hautes actives » figurant à l’annexe I de la directive « habitats ». Ces plans seraient actuellement mis en œuvre, en application de différents volets du programme de conservation des tourbières hautes.

123

Dans son mémoire en réplique, la Commission soutient que les explications sommaires figurant dans le mémoire en défense et les annexes de celui-ci ne démontrent pas que les mesures prises sont suffisamment précises et détaillées pour les types d’habitats et les espèces visés par le présent grief. L’Irlande aurait omis de préciser « qui fait quoi, où et quand », et si les mesures prises sont suffisantes pour faire face à toutes les pressions et menaces essentielles.

124

En outre, parmi les 6 sites visés au point 79 du présent arrêt, qui font partie des 79 sites pour lesquels l’Irlande prétend avoir adopté des mesures de conservation complètes, le site Carrownagappul Bog SAC serait l’un des sites de tourbières hautes pour lesquels des plans de rétablissement n’existent encore qu’à l’état de projet et le site Slieve Bloom Mountains concernerait une tourbière de couverture, qui nécessite un rétablissement actif et pour laquelle aucun plan de rétablissement n’a encore été élaboré.

125

L’absence de mesures de conservation visant à faire face aux problèmes posés par la sylviculture dans le bassin versant des sites abritant des moules perlières d’eau douce serait, quant à elle, corroborée par la dernière analyse scientifique sur l’espèce et sa conservation. Le projet KerryLIFE y serait critiqué en ce qu’il n’a pas permis de rétablir des zones qui ont été drainées pour la sylviculture.

126

Dans son mémoire en duplique, l’Irlande souligne son travail d’amélioration des mesures de conservation. Cet État membre estime que l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » n’exige pas que les mesures de conservation répondent nécessairement à toutes les menaces et pressions pesant sur un site à un moment donné.

127

Dans son mémoire en intervention, la République fédérale d’Allemagne conteste le niveau d’exhaustivité et de précision exigé par la Commission et s’oppose à la prise en compte des rapports établis par l’Irlande sur le fondement de l’article 17 de la directive « habitats » afin de prouver ce manquement.

128

Quant au caractère exhaustif des mesures, il serait parfois possible, par une simple interdiction générale de commettre des actes nuisibles, de prévenir tous les principaux risques et menaces. Exiger d’une manière générale que des mesures spécifiques et propres à chaque zone soient toujours prises pour chaque menace ou pour chaque espèce ou habitat naturel relèverait du pur formalisme.

129

Concernant le niveau de précision, cet État membre estime qu’il ne faut pas déduire de l’exigence de mesures de conservation claires et précises que celles-ci doivent toujours comporter des objectifs quantitatifs, des délais pour agir ou spécifier « qui fait quoi, où et quand ».

130

En effet, il résulterait de l’arrêt du 10 mai 2007, Commission/Autriche (C‑508/04, EU:C:2007:274, point 76), que la directive « habitats » impose l’adoption de mesures de conservation nécessaires et limite les éventuelles facultés réglementaires ou décisionnelles des autorités nationales aux moyens à mettre en œuvre et aux choix techniques à opérer dans le cadre desdites mesures. En outre, dans l’arrêt du 14 octobre 2010, Commission/Autriche (C‑535/07, EU:C:2010:602, point 60), relatif à la directive « oiseaux », la Cour aurait jugé que cette directive, en liant tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, laisse aux instances nationales la compétence concernant la forme et les moyens de mise en œuvre de ladite directive.

131

Concernant l’utilisation faite des rapports établis par l’Irlande sur le fondement de l’article 17 de la directive « habitats », la République fédérale d’Allemagne souligne que ces rapports se réfèrent non pas spécifiquement à la situation des sites en cause, mais à celle de l’intégralité du territoire concerné. Dès lors, il ne serait pas permis d’en tirer une conclusion sur l’effectivité des mesures prises dans les sites en cause.

132

En outre, les évolutions observées dans ces rapports pourraient provenir du fait qu’il s’agit de populations et d’écosystèmes naturels avec une fluctuation parfois élevée – due à la nature – ou une dynamique propre, laquelle dynamique pourrait, en outre, être renforcée, superposée ou entravée par diverses influences anthropiques, lesquelles ne peuvent pas toujours être compensées par des mesures spécifiques aux zones protégées.

133

Dans son mémoire en réponse au mémoire en intervention de la République fédérale d’Allemagne, la Commission affirme qu’il est certes possible qu’une mesure de conservation cible plusieurs éléments si ceux-ci ont des exigences écologiques similaires. Cependant, le problème concernant de nombreux sites irlandais aurait été que l’Irlande n’aurait, à l’égard de nombreux sites, communiqué des mesures que pour un sous-ensemble des éléments pertinents.

134

En outre, la Commission expose que la marge d’appréciation laissée aux États membres dans les moyens de mise en œuvre des mesures de conservation serait limitée. Tout d’abord, il résulterait de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » que les mesures de conservation doivent répondre à toutes les principales pressions ou menaces susceptibles d’affecter les types d’habitats et les espèces existants sur le site. Ensuite, les mesures de conservation devraient être claires et précises. Enfin, la Cour aurait jugé que les mesures de conservation étaient insuffisantes si elles revêtaient un caractère générique et d’orientation ou si elles nécessitaient des mesures de concrétisation aux fins de leur mise en œuvre effective [arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 55, ainsi que du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 82]. La qualité des mesures de conservation, y compris leur précision, ne serait donc pas laissée à la libre appréciation des États membres.

135

Par ailleurs, le rapport établi sur le fondement de l’article 17 de la directive « habitats » indiquerait que l’état de conservation pour les types d’habitats « lagunes côtières » et « tourbières de couverture » ainsi que pour une espèce particulièrement menacée, la moule perlière d’eau douce, enregistreraient une tendance « en détérioration » au sein du réseau Natura 2000. Il se référerait donc expressément à la situation dans les zones Natura 2000.

2. Appréciation de la Cour

a) Observations liminaires

136

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 6 de la directive « habitats » soumet les États membres à une série d’obligations et prévoit des procédures spécifiques visant à assurer, ainsi qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt pour l’Union, en vue d’atteindre l’objectif plus général de ladite directive qui est de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement s’agissant des sites protégés en vertu de celle-ci (arrêt du 7 novembre 2018, Holohan e.a., C‑461/17, EU:C:2018:883, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

137

Plus particulièrement, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », pour chaque zone spéciale de conservation, les États membres doivent établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I de cette directive et des espèces figurant à l’annexe II de ladite directive présents sur le site concerné [arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 207].

138

Les obligations qui incombent aux États membres en vertu de l’article 6 de la directive « habitats », y compris l’obligation d’adopter des mesures de conservation nécessaires prévue au paragraphe 1 de cet article, doivent être mises en œuvre d’une manière effective et par des mesures complètes, claires et précises [arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 53 ainsi que jurisprudence citée].

139

En l’occurrence, il convient de relever que, ainsi qu’il a été constaté au point 56 du présent arrêt, l’Irlande a omis de désigner en tant que zones spéciales de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 217 des 423 sites d’importance communautaire en cause. Or, les mesures de conservation nécessaires, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », doivent être établies et mises en œuvre dans le cadre de ces zones spéciales de conservation [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 52].

140

La circonstance que l’Irlande a manqué à l’obligation découlant de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » de désigner en tant que zones spéciales de conservation les sites d’importance communautaire en cause ne la soustrait pas, en ce qui concerne ces mêmes sites, à l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive et à une constatation de manquement en cas de violation de cette dernière obligation [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, points 52 à 54].

b) Les sites ne faisant l’objet d’aucune mesure de conservation ou faisant l’objet de mesures de conservation incomplètes

141

Cela étant précisé, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante relative à la charge de la preuve dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque [arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Suède (Stations d’épuration), C‑22/20, EU:C:2021:669, point 143 et jurisprudence citée].

142

Les États membres sont cependant tenus, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, TUE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, qui consiste, notamment, selon l’article 17, paragraphe 1, TUE, à veiller à l’application des dispositions du traité FUE ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci. En particulier, il convient de tenir compte du fait que, s’agissant de vérifier l’application correcte en pratique des dispositions nationales destinées à assurer la mise en œuvre effective d’une directive, la Commission, qui ne dispose pas de pouvoirs propres d’investigation en la matière, est largement tributaire des éléments fournis par d’éventuels plaignants ainsi que par l’État membre concerné [arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Suède (Stations d’épuration), C‑22/20, EU:C:2021:669, point 144 et jurisprudence citée].

143

Il s’ensuit notamment que, lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître certains faits, il incombe à l’État membre de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, EU:C:2005:250, point 44).

144

En l’occurrence, la Commission a allégué que l’Irlande ne lui a communiqué aucune mesure de conservation concernant 230 sites sur les 423 sites d’importance communautaire en cause. En outre, elle affirme, sur la base de la comparaison visée au point 71 du présent arrêt, que, parmi les 193 des sites restants, pour lesquels il existerait des mesures de conservation, 149 sites ne font pas l’objet de mesures complètes, couvrant chaque espèce et chaque type d’habitat présents de manière significative.

145

En réponse à cet argument, d’une part, l’Irlande soutient que les mesures de conservation sont mises en œuvre à travers dix programmes nationaux élaborés en fonction des types d’habitats et des espèces, ainsi que par le règlement de transposition, lequel prévoit une autorisation préalable pour l’exercice d’une activité susceptible d’avoir des conséquences significatives ou néfastes ou de détériorer un site d’importance communautaire.

146

D’autre part, cet État membre indique avoir adopté des mesures de conservation complètes pour 79 des sites d’importance communautaire en cause.

147

À cet égard, en premier lieu, s’agissant dudit règlement de transposition, il convient de rappeler que l’article 6 de la directive « habitats » répartit les mesures en trois catégories, à savoir les mesures de conservation, les mesures de prévention et les mesures de compensation, respectivement prévues aux paragraphes 1, 2 et 4 de cet article (arrêt du 21 juillet 2016, Orleans e.a., C‑387/15 et C‑388/15, EU:C:2016:583, point 33).

148

Les paragraphes 2 et 3 de l’article 6 de la directive « habitats » prévoient respectivement l’obligation d’éviter la détérioration des sites et l’évaluation appropriée des plans et des projets susceptibles d’affecter les sites de manière significative. L’objectif de ces deux paragraphes consiste donc à protéger les sites de détériorations.

149

Pour la mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 2, de la directive « habitats », il peut être nécessaire de prendre tant des mesures destinées à obvier aux atteintes et aux perturbations externes causées par l’homme que des mesures visant à enrayer des évolutions naturelles susceptibles de détériorer l’état de conservation des espèces et des habitats naturels dans les zones spéciales de conservation (arrêt du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni, C‑6/04, EU:C:2005:626, point 34).

150

Les mesures de conservation visées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne sauraient, à plus forte raison, en principe, se limiter aux mesures destinées à obvier aux atteintes et aux perturbations externes causées par l’homme et devraient comprendre, si nécessaire, les mesures proactives positives pour le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation du site.

151

Dans ces conditions, il convient de constater que le règlement de transposition, lequel se limite à prévoir une autorisation préalable pour l’exercice d’une activité susceptible d’avoir des conséquences significatives ou néfastes ou de détériorer un site d’importance communautaire, n’est pas suffisant pour satisfaire aux obligations de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

152

En ce qui concerne, en second lieu, les 10 programmes nationaux élaborés par l’Irlande en fonction des types d’habitats et des espèces, ainsi que la liste de 79 sites pour lesquels cet État membre prétend avoir adopté des mesures de conservation complètes, il convient de constater, premièrement, que les informations soumises à la Cour par cet État membre ne suffisent pas pour réfuter l’argumentation de la Commission selon laquelle il n’existe pas de mesures de conservation pour les 230 sites faisant l’objet du présent grief.

153

Deuxièmement, les informations soumises à la Cour par l’Irlande ne permettent pas d’établir que les mesures adoptées par cet État membre comportent, pour l’ensemble des 193 sites visés au point 144 du présent arrêt et au-delà des 44 sites dont la Commission l’accepte, systématiquement des mesures de conservation établies en fonction des exigences écologiques de chaque espèce et de chaque type d’habitat présents dans ces sites. Or, l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » exige que les mesures de conservation soient établies en fonction des exigences écologiques de chaque espèce et de chaque type d’habitat présents dans chacun des sites d’importance communautaire en cause [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation), C‑290/18, EU:C:2019:669, point 55].

154

Partant, il y a lieu de constater que ledit État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », d’une part, en ayant omis d’adopter les mesures de conservation pour 230 des 423 sites concernés et, d’autre part, en ayant omis d’adopter les mesures de conservation complètes pour 149 des 193 sites restants.

c) Les sites faisant l’objet de mesures de conservation qui ne sont pas fondées sur les objectifs de conservation

155

Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, les États membres sont tenus d’établir les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques, l’identification de ces dernières présupposant la fixation des objectifs de conservation (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 49).

156

La Cour a jugé que la détermination des objectifs de conservation constitue un prérequis nécessaire dans le cadre de l’établissement des priorités et des mesures de conservation (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 50).

157

Il en résulte que la fixation des objectifs de conservation constitue une étape obligatoire et nécessaire entre la désignation des zones spéciales de conservation et la mise en œuvre de mesures de conservation (arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce, C‑849/19, EU:C:2020:1047, point 52).

158

Certes, ainsi qu’il ressort des points 64 à 70 du présent arrêt et de l’arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, EU:C:2020:1047, points 42 à 61), l’absence d’adoption, par un État membre, d’objectifs de conservation spécifiques et précis doit être considérée comme constituant une méconnaissance des obligations qui incombent à cet État, conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats ».

159

Cela étant, ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocate générale aux points 85 à 88 de ses conclusions, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive n’exige pas que les mesures de conservation soient adoptées impérativement après l’adoption des objectifs de conservation.

160

Il n’en demeure pas moins que, également dans le cas où lesdits objectifs sont définis postérieurement à l’adoption des mesures de conservation, il est nécessaire que ces mesures répondent à ces objectifs.

161

Or, dans la présente affaire, s’agissant des 44 sites qu’elle considère comme ayant fait l’objet de mesures de conservation complète, la Commission n’a pas démontré que les mesures de conservation concrètes, adoptées par l’Irlande, ne correspondaient pas à des objectifs de conservation définis postérieurement à l’adoption de ces mesures.

162

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le seul fait d’avoir adopté des mesures de conservation pour les sites d’importance communautaire en cause avant d’avoir défini les objectifs de conservation ne constitue pas une méconnaissance de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », si bien que la Commission n’a pas établi, pour les 44 sites concernés, que les mesures de conservation adoptées ne répondaient pas aux exigences de ladite disposition.

d) Une pratique persistante et systématique consistant à établir des mesures de conservation qui ne sont pas suffisamment précises et qui ne permettent pas de faire face à toutes les pressions et menaces importantes

163

Il convient de rappeler que la directive « habitats » impose l’adoption de mesures de conservation nécessaires, ce qui exclut toute marge d’appréciation à cet égard dans le chef des États membres et limite les éventuelles facultés réglementaires ou décisionnelles des autorités nationales aux moyens à mettre en œuvre et aux choix techniques à opérer dans le cadre desdites mesures (arrêt du 10 mai 2007, Commission/Autriche, C‑508/04, EU:C:2007:274, point 76).

164

En l’espèce, la Commission présente, à titre illustratif, trois exemples recouvrant, selon elle, un large éventail de sites, et se rapportant à deux types d’habitats prioritaires, à savoir les lagunes côtières et les tourbières de couverture, ainsi qu’à une espèce prioritaire, à savoir la moule perlière d’eau douce, pour démontrer que les mesures de conservation adoptées et appliquées en Irlande sont, de manière systématique et persistante, d’une qualité insuffisante, parce qu’elles ne sont pas suffisamment précises et détaillées ou qu’elles sont insuffisantes pour répondre à l’ensemble des pressions et des menaces importantes.

165

À cet égard, il convient de rappeler que, sans préjudice de l’obligation de la Commission de satisfaire, dans un cas comme dans l’autre, à la charge de la preuve qui pèse sur elle, rien n’empêche a priori cette dernière de poursuivre concomitamment le constat de manquements à des dispositions de la directive en raison de l’attitude adoptée par les autorités d’un État membre à l’égard de situations concrètes, qui sont identifiées de manière spécifique, et celui de manquements auxdites dispositions du fait qu’une pratique générale contraire à celles–ci aurait été adoptée par ces autorités, dont lesdites situations spécifiques seraient le cas échéant l’illustration (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, EU:C:2005:250, point 27).

166

Lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître que les autorités d’un État membre ont développé une pratique répétée et persistante qui est contraire aux dispositions d’une directive, il incombe à cet État membre de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, EU:C:2005:250, point 47).

167

Dans le même temps, eu égard à l’obligation qui lui incombe de prouver le manquement allégué, la Commission ne saurait, sous couvert de reprocher à l’État membre concerné un manquement général et persistant aux obligations auxquelles ce dernier est tenu en vertu du droit de l’Union, se dispenser de respecter cette obligation de rapporter la preuve du manquement reproché sur la base d’éléments concrets caractérisant la violation des dispositions spécifiques qu’elle invoque et se fonder sur de simples présomptions ou des causalités schématiques [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Italie (Bactérie Xylella fastidiosa), C‑443/18, EU:C:2019:676, point 80].

168

Le présent recours porte sur 423 sites d’importance communautaire de la région biogéographique atlantique.

169

Ladite région se caractérise par un grand nombre de sites faisant l’objet du grief soulevé par la Commission et, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, par une diversité importante des espèces et des habitats présents sur ces sites.

170

Dans un tel cas, compte tenu de la jurisprudence visée au point 167 du présent arrêt, il incombe à la Commission de démontrer, ainsi que l’a relevé en substance Mme l’avocate générale au point 106 de ses conclusions, que les exemples des espèces et des habitats présentés par cette institution, au soutien du grief tendant à faire constater un manquement général et persistant aux obligations découlant de la directive « habitats », sont représentatifs pour l’ensemble des sites d’importance communautaire en cause.

171

Or, dans la présente affaire, la Commission n’a pas satisfait à la charge de la preuve visée au point précédent.

172

Certes, dans sa requête, la Commission a soutenu que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé additionnel, elle a considéré, sur la base d’une évaluation qualitative d’un large éventail de sites irlandais faisant l’objet de mesures de conservation existantes, que les mesures de conservation en place étaient de manière systématique et persistante d’une qualité insuffisante parce qu’elles n’étaient pas suffisamment précises et détaillées, ou qu’elles étaient insuffisantes pour répondre à l’ensemble des pressions et des menaces importantes.

173

Cependant, ni dans la requête ni dans son mémoire en réplique la Commission n’a démontré à suffisance de droit, par des arguments et des données suffisamment précis, clairs et détaillés, que les exemples qu’elle présente à titre illustratif, à savoir, en l’espèce, les lagunes côtières, les tourbières de couverture ainsi que la moule perlière d’eau douce, sont représentatifs pour l’ensemble des sites d’importance communautaire en cause.

174

En particulier, s’agissant du constat de la Commission, selon lequel la répartition géographique des sites examinés représente la configuration géographique du réseau des sites d’importance communautaire et des zones spéciales de conservation en Irlande, il convient d’observer que la Commission renvoie à cet égard aux annexes A.21 et A.22 de sa requête qui contiennent des cartes de l’Irlande. Or, l’examen de ces cartes ne permet pas en lui-même, en l’absence d’une interprétation par la Commission des données qui y sont contenues, présentée dans la requête de manière précise, détaillée et exhaustive, de tirer une conclusion en ce qui concerne le point de savoir dans quelle mesure les trois exemples visés au point précédent pourraient être considérés comme étant représentatifs pour l’ensemble des sites d’importance communautaire en cause.

175

Dans ces conditions, l’argument de la Commission selon lequel les mesures de conservation mises en place par l’Irlande étaient de manière générale, systématique et persistante d’une qualité insuffisante, parce qu’elles n’étaient pas suffisamment précises et détaillées ou parce qu’elles étaient insuffisantes pour répondre à l’ensemble des pressions et des menaces importantes, ne saurait prospérer.

176

En conséquence, le troisième grief n’est fondé que dans la mesure où l’Irlande n’a pas adopté les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I et des espèces visées à l’annexe II de la directive « habitats » pour les 423 sites d’importance communautaire en cause.

177

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que :

en ayant omis de désigner comme zones spéciales de conservation, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 217 des 423 des sites d’importance communautaire en cause, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » ;

en ne définissant pas d’objectifs détaillés de conservation spécifiques à chaque site pour 140 des 423 sites d’importance communautaire en cause, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » ;

en ayant omis d’adopter les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I et des espèces visées à l’annexe II de la directive « habitats » présents sur les 423 sites d’importance communautaire en cause, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

178

Le recours est rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

179

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et cette dernière ayant succombé largement en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

180

Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, selon lequel les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, la République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

 

1)

En ayant omis de désigner comme zones spéciales de conservation, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 217 des 423 sites d’importance communautaire qui ont été inscrits sur la liste établie par la décision 2004/813/CE de la Commission, du 7 décembre 2004, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique, mise à jour par la décision 2008/23/CE de la Commission, du 12 novembre 2007, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique, et par la décision 2009/96/CE de la Commission, du 12 décembre 2008, adoptant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil, une deuxième liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil, du 13 mai 2013.

 

2)

En ne définissant pas d’objectifs détaillés de conservation spécifiques à chaque site pour 140 des 423 sites d’importance communautaire visés au point 1 du dispositif, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17.

 

3)

En ayant omis d’adopter les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels visés à l’annexe I et des espèces visées à l’annexe II de la directive 92/43, telle que modifiée par la directive 2013/17, présents sur les 423 sites d’importance communautaire visés au point 1 du dispositif, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/43, telle que modifiée.

 

4)

Le recours est rejeté pour le surplus.

 

5)

L’Irlande supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

 

6)

La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.