ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

2 juillet 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 12, paragraphe 1 – Système de protection stricte des espèces animales – Annexe IV – Cricetus cricetus (grand hamster) – Aires de repos et sites de reproduction – Détérioration ou destruction – Aires abandonnées »

Dans l’affaire C‑477/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne, Autriche), par décision du 12 juin 2019, parvenue à la Cour le 21 juin 2019, dans la procédure

IE

contre

Magistrat der Stadt Wien,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, MM. A. Arabadjiev (rapporteur) et A. Kumin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour IE, par lui-même,

pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. C. Hermes et M. Noll‑Ehlers, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IE, un employé d’un promoteur immobilier, au Magistrat der Stadt Wien (administration municipale de la ville de Vienne, Autriche) au sujet de l’adoption par ce dernier d’une décision administrative infligeant à IE une amende et, en cas de non-recouvrement de celle-ci, une peine privative de liberté de substitution pour avoir, dans le cadre d’un projet de construction immobilier, détérioré ou détruit des aires de repos ou des sites de reproduction de l’espèce Cricetus cricetus (grand hamster) qui figure sur la liste des espèces animales protégées inscrites à l’annexe IV, sous a), de ladite directive.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2 de la directive « habitats » dispose :

« 1.   La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2.   Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3.   Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

4

L’article 12, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant:

a)

toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

b)

la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;

c)

la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ;

d)

la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

5

Au nombre des espèces animales présentant un « intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte », dont la liste est établie à l’annexe IV, sous a), de ladite directive, figure, notamment, le Cricetus cricetus (grand hamster).

Le droit autrichien

6

Le Wiener Naturschutzgesetz (loi sur la protection de la nature du Land de Vienne), du 31 août 1998 (LGBl. für Wien, 45/1998, ci-après le « WNSchG »), transpose la directive « habitats » en droit national pour le Land de Vienne (Autriche).

7

L’article 10, paragraphe 3, point 4, du WNSchG reprend les formulations de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ». Il dispose notamment qu’il est interdit de détériorer ou de détruire les sites de reproduction ou les aires de repos d’animaux strictement protégés.

8

Les sanctions prévues pour une violation de l’article 10, paragraphe 3, point 4, sont fixées à l’article 49, paragraphe 1, point 5, du WNSchG. Selon cette dernière disposition, est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 21000 euros ou, en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’une peine privative de liberté de substitution pouvant atteindre quatre semaines, et, en cas de répétition, d’une amende pouvant atteindre 35000 euros, ou en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’une peine privative de liberté de substitution pouvant atteindre six semaines, toute personne, qui, en violation des paragraphes 3 ou 4 de l’article 10 du WNSchG, détériore ou détruit des sites de reproduction ou des aires de repos d’animaux strictement protégés.

9

Selon l’article 22, paragraphe 5, du WNSchG, l’autorité compétente peut autoriser des interventions individuelles si la mesure envisagée, individuellement ou en combinaison avec d’autres mesures sollicitées auprès de l’autorité compétente, ne compromet pas de manière significative l’objectif de la protection.

10

L’annexe du WNSchG définit le Cricetus cricetus (grand hamster) comme étant une espèce animale strictement protégée.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11

Un promoteur immobilier, employeur d’IE, a entrepris des travaux de construction d’un bâtiment sur un terrain sur lequel s’était implanté le grand hamster. La propriétaire de ce terrain, qui avait connaissance de cette situation, en a informé ce promoteur immobilier, lequel a désigné, avant le début des travaux, un expert environnemental. Celui-ci a ainsi établi une carte des entrées de terriers du grand hamster et a déterminé, dans un secteur particulier, si les terriers étaient ou non habités.

12

Avant la réalisation des travaux, ledit promoteur immobilier a fait procéder au retrait de la couche végétale, au dégagement du lieu de construction et à la réalisation d’une voie de chantier à proximité immédiate d’entrées de terriers du grand hamster (ci-après les « mesures dommageables »). En particulier, le retrait de la couche végétale visait à faire déplacer le grand hamster, implanté sur les surfaces où aurait lieu l’activité de construction, vers les surfaces qui auraient été spécialement protégées et réservées pour lui. Toutefois, l’autorisation préalable des mesures dommageables n’a pas été sollicitée auprès de l’autorité compétente et, par conséquent, n’a pas été obtenue avant le début des travaux. En outre, au moins deux entrées de terriers ont été détruites.

13

L’administration municipale de la ville de Vienne a dès lors considéré qu’IE, en tant qu’employé du même promoteur immobilier, était responsable de la détérioration ou de la destruction des aires de repos ou des sites de reproduction du grand hamster et lui a infligé, conformément à l’article 10, paragraphe 3, point 4, du WNSchG, une amende susceptible, en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’être convertie en une peine privative de liberté.

14

IE a saisi le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne, Autriche) d’un recours visant à contester l’infliction de cette amende au motif notamment que, d’une part, les terriers du grand hamster n’étaient pas utilisés par ce dernier au moment de la mise en œuvre des mesures dommageables et, d’autre part, ces mesures n’auraient pas conduit à la détérioration ou à la destruction des aires de repos ou des sites de reproduction de cette espèce animale.

15

La juridiction de renvoi s’interroge, dans ce contexte, sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ». Elle relève la nécessité que les notions que renferme cette disposition, telles que celles d’« aire de repos », de « site de reproduction », de « détérioration » et de « destruction », soient précisément définies dès lors que la violation de la disposition nationale transposant l’article 12, paragraphe 1, sous d), de ladite directive peut donner lieu à des sanctions pénales. En particulier, la juridiction de renvoi estime que les considérations formulées par la Commission européenne dans son document d’orientation sur la protection stricte des espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive « habitats » 92/43/CEE (version finale, février 2007) sont imprécises et laissent une très grande latitude dans le cadre de l’interprétation desdites notions.

16

Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’expression “aire de repos” visée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”] doit-elle être interprétée en ce sens que cette expression vise également les anciennes aires de repos, entre-temps abandonnées ?

Dans l’hypothèse où cette question appelle une réponse affirmative :

Toute ancienne aire de repos, entre-temps abandonnée, doit-elle être considérée comme une “aire de repos”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”] ?

Dans l’hypothèse où cette question appelle une réponse négative :

Selon quels critères doit-on déterminer si une ancienne aire de repos, entre-temps abandonnée, doit être considérée comme une “aire de repos”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”] ?

2)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission constitue une atteinte à une “aire de repos”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”] ?

3)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission constitue une atteinte tellement grave à une “aire de repos”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], que l’on doive considérer être en présence d’une “détérioration”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], de cette “aire de repos” ?

4)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission constitue une atteinte tellement grave à une “aire de repos”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], que l’on doive considérer être en présence d’une “destruction”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], de cette “aire de repos” ?

5)

L’expression “site de reproduction”, visée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], doit-elle être interprétée en ce sens que cette expression vise, premièrement, uniquement le lieu susceptible d’être délimité de manière précise, dans lequel ont régulièrement lieu des actes d’accouplement au sens strict ou des actes effectués dans un espace restreint qui sont en lien direct avec la reproduction (tels que notamment le frai) ainsi que, deuxièmement, en outre, tous les lieux susceptibles d’être délimités de manière précise qui sont absolument nécessaires pour le développement de la progéniture, tels que notamment les lieux de ponte des œufs ou les parties de plantes nécessaires pour le stade de larve ou de chenille ?

Dans l’hypothèse où cette question appelle une réponse négative :

Que doit-on entendre par l’expression “site de reproduction”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], et comment doit-on distinguer sur le plan géographique un “site de reproduction” d’autres lieux ?

6)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission constitue une atteinte à un “site de reproduction”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”] ?

7)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission constitue une atteinte tellement grave à un “site de reproduction”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], que l’on doive considérer être en présence d’une “détérioration”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], de ce “site de reproduction” ?

8)

Selon quels critères doit-on déterminer si une certaine action ou omission constitue une atteinte tellement grave à un “site de reproduction”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], que l’on doive considérer être en présence d’une “destruction”, au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive [“habitats”], de ce “site de reproduction” ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

17

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion d’« aires de repos », visée à cette disposition, comprend également les aires de repos qui ne sont plus occupées par l’une des espèces animales protégées figurant à l’annexe IV, sous a), de ladite directive, tel le Cricetus cricetus (grand hamster).

18

À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive « habitats », celle-ci a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres. En outre, selon l’article 2, paragraphes 2 et 3, de cette directive, les mesures prises en vertu de celle-ci visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de la faune et de la flore sauvages d’intérêt pour l’Union européenne, et tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que des particularités régionales et locales.

19

L’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de cette directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.

20

Le respect de cette disposition impose aux États membres non seulement l’adoption d’un cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, le système de protection stricte suppose l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif. Un tel système de protection stricte doit donc permettre d’éviter effectivement la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive « habitats » (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Commission/France, C‑383/09, EU:C:2011:369, points 19 à 21, ainsi que du 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, C‑674/17, EU:C:2019:851, point 27).

21

Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’espèce Cricetus cricetus, communément appelée « grand hamster », figure au nombre des espèces animales protégées par la directive « habitats ».

22

C’est au regard de ces considérations liminaires qu’il convient d’examiner la première question.

23

Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 21 novembre 2019, Procureur-Generaal bij de Hoge Raad der Nederlanden, C‑678/18, EU:C:2019:998, point 31 et jurisprudence citée).

24

S’agissant, en premier lieu, des termes de l’article 12 de la directive « habitats », ainsi qu’il a été relevé aux points 19 et 20 du présent arrêt, cet article impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales protégées, dans leur aire de répartition naturelle. En particulier, le paragraphe 1, sous d), dudit article impose auxdits États de prendre les mesures nécessaires interdisant la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos de ces espèces.

25

Ainsi, force est de constater que le libellé de l’article 12 de la directive « habitats » ne fournit aucun élément utile aux fins de la définition de la notion d’« aires de repos ».

26

S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, il convient de relever que ni l’article 1er de la directive « habitats » ni aucune autre disposition de cette directive ne définit cette notion.

27

Toutefois, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé que les actes visés à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » sont non pas seulement les actes intentionnels, mais également ceux qui ne le sont pas (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni, C‑6/04, EU:C:2005:626, points 77 à 79). En ne limitant pas l’interdiction énoncée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de cette directive à des actes intentionnels, contrairement à ce qui est prévu pour les actes visés à l’article 12, sous a) à c), de ladite directive, le législateur de l’Union a démontré sa volonté de conférer aux sites de reproduction ou aux aires de repos une protection accrue contre les actes causant leur détérioration ou leur destruction (arrêt du 10 janvier 2006, Commission/Allemagne, C‑98/03, EU:C:2006:3, point 55).

28

En outre, à la différence des actes énoncés à l’article 12, paragraphe 1, sous a) à c), de la directive « habitats », l’interdiction visée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), ne concerne pas directement les espèces animales mais tend à protéger des parties importantes de leur habitat.

29

Il en résulte que la protection stricte offerte par l’article 12, paragraphe 1, sous d), de cette directive vise à garantir que des parties importantes de l’habitat des espèces animales protégées soient préservées de manière à ce que celles-ci puissent bénéficier des conditions essentielles pour, notamment, s’y reposer.

30

Une conclusion identique découle de la lecture du document d’orientation de la Commission, mentionné au point 15 du présent arrêt, qui précise que les aires de repos, lesquelles sont définies comme les zones essentielles à la subsistance d’un animal ou d’un groupe d’animaux lorsqu’ils ne sont pas actifs, « doivent être protégé[e]s, même lorsqu’[elles] ne sont pas utilisé[e]s mais qu’il existe raisonnablement une forte probabilité que l’espèce concernée revienne à ces [...] aires ».

31

Il convient, par conséquent, de considérer qu’il ressort du contexte dans lequel s’inscrit l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » que les aires de repos qui ne sont plus occupées par une espèce animale protégée ne doivent pas être détériorées ou détruites dès lors que lesdites espèces sont susceptibles de revenir sur ces aires.

32

S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif poursuivi par la directive « habitats », il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé aux points 18 à 20 du présent arrêt, cette directive vise à assurer une protection stricte des espèces animales, au moyen notamment des interdictions prévues à son article 12, paragraphe 1 (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2007, Commission/Autriche, C‑508/04, EU:C:2007:274, points 109 à 112, ainsi que du 15 mars 2012, Commission/Pologne, C‑46/11, non publié, EU:C:2012:146, point 29).

33

Le régime de protection prévu à l’article 12 de la directive « habitats » doit donc être en mesure d’empêcher effectivement que des atteintes soient portées aux espèces animales protégées et, notamment, à leur habitat.

34

Or, il ne serait pas compatible avec cet objectif de priver de protection les aires de repos d’une espèce animale protégée lorsque celles-ci ne sont plus occupées, mais qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce revienne sur ces aires, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

35

Partant, le fait qu’une aire de repos ne soit plus occupée par une espèce animale protégée ne signifie pas pour autant que cette aire ne bénéficie pas de la protection offerte par l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ».

36

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion d’« aires de repos », visée à cette disposition, comprend également les aires de repos qui ne sont plus occupées par l’une des espèces animales protégées figurant à l’annexe IV, sous a), de ladite directive, tel le Cricetus cricetus (grand hamster), dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce revienne sur ces aires de repos, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la cinquième question

37

Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la notion de « sites de reproduction », visée à cette disposition, comprend uniquement le lieu susceptible d’être délimité de manière précise dans lequel interviennent régulièrement des actes d’accouplement ou des actes en lien direct avec la reproduction de l’espèce concernée ou également le lieu qui est absolument nécessaire pour le développement de la progéniture de ladite espèce.

38

Or, la Commission estime que la décision de renvoi ne motive pas la pertinence de cette question et que celle-ci revêt un caractère hypothétique.

39

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêt du 5 mars 2015, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português, C‑667/13, EU:C:2015:151, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

40

Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 26 juillet 2017, Persidera, C‑112/16, EU:C:2017:597, point 24 et jurisprudence citée).

41

En l’occurrence, il convient de relever que la demande de décision préjudicielle ne comporte aucune explication quant à la pertinence de la notion de « site de reproduction » pour la résolution du litige au principal.

42

En effet, d’une part, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour qu’il est incontestable que des aires de repos ont été affectées par les mesures dommageables, la juridiction de renvoi cherchant uniquement à savoir si de telles aires peuvent également être qualifiées d’« aires de repos » au titre de l’interdiction visée à l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » lorsqu’elles ne sont plus occupées par le grand hamster.

43

D’autre part, la décision de renvoi ne contient aucun élément de fait ou de droit qui permette d’apprécier si et dans quelle mesure, outre la qualification de la partie de l’habitat naturel du grand hamster en tant qu’« aire de repos », la désignation de cet habitat en tant que « site de reproduction » aurait une quelconque incidence sur la solution du litige au principal.

44

Or, outre le fait que, conformément à la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt, il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude du cadre factuel décrit par la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever, ainsi que cela ressort expressément du libellé de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats », que l’interdiction de toute détérioration ou destruction vise alternativement les sites de reproduction ou les aires de repos des espèces animales protégées et n’établit aucune différence dans l’application de cette interdiction en fonction de la partie de l’habitat naturel concerné.

45

Il s’ensuit que la cinquième question est irrecevable.

Sur les deuxième à quatrième et sixième à huitième questions

46

Par ses deuxième à quatrième et sixième à huitième questions préjudicielles qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur l’interprétation des notions de « détérioration » et de « destruction », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats ».

47

Toutefois, selon la Commission, ces questions présenteraient un caractère hypothétique.

48

En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que deux entrées de terriers du grand hamster ont été détruites par les mesures dommageables, ce qui implique que les terriers ont au moins été détériorés.

49

Or, premièrement, il convient de relever que l’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive « habitats » vise alternativement la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces animales protégées.

50

Deuxièmement, il y a lieu d’observer que cette disposition ne distingue pas l’interdiction de détérioration ou de destruction des sites de reproduction ou des aires de repos selon la nature de l’atteinte qui serait portée à ces sites ou à ces aires. À cet égard, force est de constater qu’il ne ressort pas des éléments soumis à la Cour que la décision des autorités nationales d’infliger à IE une amende, susceptible, en cas de non-recouvrement de celle-ci, d’être convertie en une peine privative de liberté, établirait une distinction, quant à la gravité de la sanction ainsi infligée, selon qu’il s’agit d’une détérioration ou d’une destruction des sites de reproduction ou des aires de repos des espèces animales protégées.

51

En conséquence, eu égard à la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième à quatrième et sixième à huitième questions.

Sur les dépens

52

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

L’article 12, paragraphe 1, sous d), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, doit être interprété en ce sens que la notion d’« aires de repos », visée à cette disposition, comprend également les aires de repos qui ne sont plus occupées par l’une des espèces animales protégées figurant à l’annexe IV, sous a), de ladite directive, tel le Cricetus cricetus (grand hamster), dès lors qu’il existe une probabilité suffisamment élevée que ladite espèce revienne sur ces aires de repos, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.