23.7.2011   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 218/78


Avis du Comité économique et social européen sur la «Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale»

COM(2010) 748 final/2 — 2010/0383 (COD)

2011/C 218/14

Rapporteur général: M. HERNÁNDEZ BATALLER

Le Conseil, en date du 15 février 2011, a décidé, conformément aux articles 67, paragraphe, 4 et 81, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de consulter le Comité économique et social européen sur la

«Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale»

COM(2010) 748 final/2 — 2010/0383 (COD).

Le 1er février 2011, le Bureau du Comité a chargé la section spécialisée «Marché unique, production et consommation» de préparer les travaux du Comité en la matière.

Compte tenu de l'urgence des travaux, le Comité économique et social a décidé au cours de sa 471e session plénière des 4 et 5 mai 2011 (séance du 5 mai 2011), de nommer Bernardo HERNÁNDEZ BATALLER rapporteur général et a adopté le présent avis par 162 voix pour, 1 voix contre et 2 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1   Le CESE soutient la proposition de la Commission, considérant qu'elle peut permettre d'atteindre l'objectif de supprimer les obstacles juridiques, ce qui faciliterait la vie des citoyens et des entreprises, en améliorant le recours effectif à la justice.

1.2   Le CESE invite instamment la Commission à poursuivre son action de suppression des obstacles juridiques dans l'Union européenne, afin d'atteindre la réalisation d'un véritable espace judiciaire européen, en tenant compte de toutes les observations que le Comité a formulées dans ses différents avis en la matière.

2.   Introduction

2.1   Le règlement 44/2001 remplace depuis le 1er mars 2002 la Convention de Bruxelles et, de manière générale, tous les instruments bilatéraux existant entre les différents États membres en la matière. Également appelé «Règlement Bruxelles I», il s'agit jusqu'à présent du plus important acte juridique de l'Union en matière de coopération judiciaire civile.

2.2   En substance, le règlement 44/2001 permet dans certains cas d'attraire devant les tribunaux d'un État membre toute personne physique ou morale concernée par une procédure judiciaire transnationale et domiciliée dans un État distinct de celui où l'action est intentée, en favorisant le lien de connexité le plus proche.

2.2.1   Par ailleurs, l'article 5 du règlement prévoit qu'en matière contractuelle, en particulier s'agissant de vente de marchandises, une action peut être intentée contre une entreprise dans l'État membre dans lequel les marchandises auraient dû ou devraient être livrées.

2.2.2   Ainsi, les domaines dans lesquels la nouvelle règle s'applique se succèdent au long de l'article 5 (responsabilité contractuelle et extracontractuelle, actions de réparation en dommages et intérêts, exploitation de succursales et agences, etc.).

2.2.3   Tout une section du règlement est consacrée à la compétence en matière d'assurances, la troisième, dans laquelle il est prévu que le preneur d'assurance puisse s'adresser aux tribunaux de son domicile pour attraire l'assureur, y compris lorsque le domicile de celui-ci se trouve dans un État membre distinct. Cependant, si l'assureur souhaite attraire le preneur, l'assuré ou le bénéficiaire, il se verra contraint de le faire devant les tribunaux du lieu où ceux-ci sont domiciliés.

2.3   Au fil du règlement 44/2001 se succèdent des attributions expresses de compétences, une attention accrue étant prêtée à certaines familles thématiques dans un souci de protection (contrats conclu par les consommateurs, contrats individuels de travail). En revanche, les règles traditionnelles d'attribution de compétence restent d'application lorsqu'il s'agit de litiges portant sur des immeubles, de la dissolution de personnes morales, d'inscriptions dans les registres et d'exécution de jugements.

2.4   Le règlement 44/2001, après avoir consacré deux sections volumineuses à l'exécution de jugements et à la reconnaissance de documents publics d'autres États membres, conclut par une série de dispositions finales et transitoires qui abordent notamment les liens entre ce nouvel instrument de coopération judiciaire et d'autres conventions plus spécifiques auxquelles tout État membre pourrait être partie.

2.5   Le 21 avril 2009, la Commission a adopté un rapport sur l'application du règlement et un livre vert sur lequel le CESE s'est déjà prononcé (1), en se déclarant favorable à plusieurs propositions de réforme avancées par la Commission.

3.   Proposition de règlement

3.1   La révision a pour objectif général de poursuivre le développement de l'espace européen de justice, en supprimant les derniers obstacles à la libre circulation des décisions judiciaires, conformément au principe de reconnaissance mutuelle. L'importance de cet objectif a été soulignée par le Conseil européen dans son programme de Stockholm publié en 2009 (2). Concrètement, la proposition vise à faciliter les procédures judiciaires transfrontières et la libre circulation des décisions dans l'Union européenne. La révision devrait également contribuer à créer le cadre légal nécessaire à la relance de l'économie européenne.

3.2   Les principaux éléments de la réforme sont les suivants:

suppression de la procédure intermédiaire de reconnaissance et d'exécution des décisions judiciaires (exequatur), sauf pour les décisions rendues dans les affaires de diffamation et les actions collectives en indemnisation, assortie de plusieurs voies de recours pour empêcher, dans des circonstances exceptionnelles, qu'un jugement rendu dans un État membre ne prenne effet dans un autre État membre;

la proposition contient également une série de formulaires standards, destinés à faciliter la reconnaissance ou l'exécution du jugement étranger en l'absence de la procédure d'exequatur, ainsi que la demande de réexamen dans le cadre de la procédure susmentionnée de garantie des droits de la défense.

extension des règles de compétence judiciaires énoncées dans le règlement aux litiges faisant intervenir des défendeurs originaires de pays tiers, y compris pour les cas où une même action est pendante dans l'Union et à l'extérieur de l'Union; La modification garantira que les règles de compétence visant à protéger les consommateurs, les salariés et les assurés s'appliqueront également si le défendeur est domicilié en dehors de l'UE.

effectivité accrue des accords d'élection de for, avec deux modifications:

d'une part, lorsque les parties ont désigné une ou plusieurs juridictions pour trancher le litige, la proposition laisse en priorité la juridiction désignée se prononcer sur sa compétence, qu'elle ait été saisie en premier ou en second lieu;

d'autre part, la proposition introduit une règle harmonisée de conflit de lois en matière de bien-fondé des accords d'élection de for, garantissant ainsi une décision similaire sur cette question quelle que soit la juridiction saisie.

amélioration du lien entre le règlement et l'arbitrage;

amélioration de l'accès à la justice pour certains types de litiges; et

clarification des conditions auxquelles les mesures provisoires peuvent circuler dans l'Union.

4.   Observations générales

4.1   Le Comité accueille très favorablement la proposition de la Commission et appuie une refonte du texte du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil en vigueur concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).

4.2   La proposition de la Commission fait clairement apparaître qu'il s'agit d'une initiative nécessaire afin d'améliorer l'espace de liberté, de sécurité et de justice ainsi que le marché intérieur, laquelle ne peut en outre être lancée qu'à partir du niveau supranational, constituant par ailleurs un outil juridique utile dans un contexte mondialisé, dès lors qu'elle facilitera les transactions commerciales internationales et mitigera les conflits suscités par les relations qui débordent du cadre territorial de l'UE.

4.2.1   Il convient de souligner à cet égard que l'ensemble des innovations contenues dans les mécanismes juridiques pertinents proposés ici, de même que la classification de certaines règles et principes déjà appliqués en la matière dans l'UE, découlent des expériences que les opérateurs juridiques transnationaux, les experts et les organes compétents des États membres ont transmis publiquement à la Commission européenne.

4.2.2   Outre qu'il est donc ainsi tenu compte de façon générale du principe de subsidiarité, qui justifie l'action supranationale vu l'absence de compétence des États membres s'agissant de modifier unilatéralement certains aspects du règlement Bruxelles I en vigueur, comme l'exequatur, et les dispositions en matière de compétence et de coordination entre les procédures judiciaires des États membres, ou entre celles-ci et les procédures d'arbitrage, l'importance de ce que l'on appelle la subsidiarité fonctionnelle est également reconnue, celle-ci faisant partie intégrante du principe de démocratie participative consacré dans le TUE suite au traité de Lisbonne. Le CESE s'est déjà prononcé, par le passé, en faveur de plusieurs des propositions actuellement formulées par la Commission (3).

4.3   La proposition préconise en termes réalistes, pondérés et flexibles des solutions techniques à des problèmes rencontrés au long des années d'application du règlement Bruxelles I, en synthèse: suppression de la procédure d'exequatur, sauf pour les décisions rendues dans les affaires de diffamation et les actions collectives en indemnisation; application du règlement aux litiges faisant intervenir des défendeurs originaires de pays tiers; efficacité accrue des accords d'élection de for; amélioration du lien entre le règlement et l'arbitrage; classification des conditions dans lesquelles les mesures provisoires et conservatoires rendues par un tribunal dans un État membre peuvent s'appliquer dans d'autres États membres; et, en somme, amélioration de l'accès à la justice et du fonctionnement de certaines procédures pendantes devant les juridictions internes.

4.3.1   Il n'y a aucune raison de fond d'exclure les actions collectives de la suppression de l'exequatur de la proposition. Par conséquent, la formulation de l'article 37 s'avère insatisfaisante. Le CESE s'est déjà prononcé, à maintes reprises, en faveur d'une réglementation supranationale des actions collectives. Il convient que la Commission envisage une éventuelle modification de l'article 6 du règlement 44/2001, de telle sorte à admettre la concentration procédurale d'actions engagées par des demandeurs, pour autant que les motifs de leur demande soient liés par une relation à ce point étroite qu'il serait opportun de les traiter et de les juger simultanément afin d'éviter des décisions contradictoires susceptibles de découler de jugements séparés.

4.3.2   Quant à l'exclusion de la diffamation, l'article 37-3, a) donne en réalité une interprétation plus large, incluant les décisions rendues dans un autre État membre sur les obligations non contractuelles qui découlent d'atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité. Il convient que la Commission examine la portée de cette exception et la possibilité de la supprimer, afin qu'elle ne s'applique pas à des aspects de la vie quotidienne des citoyens.

4.3.3   Afin d'approfondir la réflexion sur les changements qu'il convient d'apporter aux mécanismes et procédures judiciaires dont traite la proposition, il convient en tout état de cause de formuler plusieurs observations en vue de leur prise en considération future par la Commission.

4.3.4   Ainsi, en ce qui concerne l'article 58, paragraphe 3, du texte consolidé du règlement, qui prévoit, s'agissant des recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire d'un jugement et des décisions rendues sur ces recours, que la juridiction compétente «statue à bref délai», la durée maximale de ce délai pourrait être davantage précisée, de sorte à éviter des retards injustifiés ou des lenteurs préjudiciables au justiciable.

4.3.5   Dans ce sens, il pourrait être établi soit un délai de 90 jours, tel que prévu au deuxième paragraphe du même article 58 pour les décisions prises sur des recours contre la décision relative à la demande de déclaration de force exécutoire, soit un délai intermédiaire compris entre les six semaines prévues à l'article 11, paragraphe 3 du règlement 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 (relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale) et les 90 jours visés plus haut.

4.3.6   De même, il pourrait être envisagé de reformuler le texte relatif au nouveau mécanisme de coopération judiciaire établi à l'article 31 du texte consolidé du règlement, en vue de renforcer le rôle de la juridiction compétente au fond et de prévenir des agissements de mauvaise foi qui retarderaient le règlement du litige.

4.3.7   En effet, le devoir assez large de «coordination» entre la juridiction compétente au fond et la juridiction d'un autre État membre saisie d'une demande de mesures provisoires ou conservatoires, que cette disposition limite au devoir pour le second de s'informer de toutes les circonstances pertinentes de l'espèce (telles que le caractère urgent de la mesure sollicitée ou un éventuel refus d'une mesure similaire prononcé par la juridiction saisie sur le fond), pourrait être complété par une autre disposition établissant le caractère exceptionnel de la recevabilité de telles mesures, voire prévoyant de manière générale un désistement en faveur du juge du fond.

4.3.8   Cela serait d'ailleurs tout à fait cohérent avec le rôle central que, pour des raisons de rapidité et eu égard au principe de reconnaissance mutuelle, la Cour de justice reconnaît à l'organe compétent pour trancher sur le fond l'interprétation de normes connexes telles le règlement 2201/2003 susmentionné.

4.4   Il convient de s'attarder sur le maintien de la clause d'ordre public (article 34, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I en vigueur, et article 48, paragraphe 1, de la proposition de codification), uniquement dans les cas où la procédure d'exequatur est supprimée, qui permet aux organes juridictionnels de l'État membre requis de ne pas reconnaître, lorsqu'elles sont manifestement contraires à son ordre public, les décisions rendues dans un autre État membre.

4.4.1   Il s'agit sans nul doute d'une faculté qui pourrait donner lieu à des interprétations et des applications discrétionnaires par les juges sollicités. Cependant, comme le montre la pratique suivie depuis l'entrée en vigueur du règlement Bruxelles I, le risque est actuellement très mitigé en raison de trois limites juridiques au moins: les critères établis en la matière par la Cour de justice (4), le caractère contraignant de la Charte des droits fondamentaux de l'UE en vigueur et la consolidation d'une vaste et abondante jurisprudence de la Cour même qui subordonne la notion d'ordre public à celle de l'effet utile du droit de l'Union.

4.4.2   Cependant, le Comité invite la Commission européenne à prêter une attention particulière au comportement des organes juridictionnels des États membres, en vue d'une application correcte du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires relatives à la compétence juridictionnelle à la lumière de critères d'ordre public.

4.5   Si la proposition de codification du règlement établit de façon tangentielle, quoique novatrice, une règle de reconnaissance des conventions d'arbitrage qui désignent un for situé dans un État membre de l'UE, atténuant par là les risques de tourisme juridique («forum shopping»), il ne semble pas que cela soit toutefois suffisant.

4.5.1   Vu le recours généralisé et croissant à cette modalité de résolution des conflits, surtout en matière commerciale, et son essor souhaitable dans d'autres domaines essentiels pour les intérêts des citoyens (par exemple le droit de la consommation et le droit du travail), le Comité invite la Commission à envisager dans de brefs délais la création d'un instrument juridique supranational pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales. En effet, quoique la proposition ouvre la voie à un contrôle judiciaire, l'arbitrage reste expressément exclu de son champ d'application (article 1, paragraphe 2, d)).

4.6   De même, dans un souci de clarification de son contenu et de célérité dans l'adoption des jugements, la Commission pourrait entamer l'élaboration d'une communication ou d'un guide sur l'interprétation de l'article 5 de la proposition, peu ou prou identique aux termes de l'article en vigueur du règlement Bruxelles I.

4.6.1   Selon les deux dispositions, la compétence en matière contractuelle revient au tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, sauf pour la vente de marchandises, cas dans lequel est compétent le tribunal de l'État membre où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, et pour les prestations de services, où la compétence appartient au tribunal de l'État membre où les services ont été ou auraient dû être fournis.

4.6.2   La jurisprudence de la Cour de justice qui interprète les notions de «service» et «marchandise» par rapport aux libertés du marché intérieur ne s'applique pas dans le cadre du règlement Bruxelles I, et par conséquent, la Cour a jusqu'à présent résolu les questions interprétatives sur la portée de l'article 5 au moyen de références à des réglementations internationales qui ne lient ni l'UE ni tous les États membres et ne sont donc pas des règles communes s'appliquant aux contrats intracommunautaires.

4.7   Paradoxalement, les motifs de célérité procédurale semblent être à l'origine même du nouveau libellé de l'article 24, paragraphe 2, de la proposition de codification, dès lors que celui-ci subordonne simplement l'application du paragraphe 1 du même article (qui octroie une compétence de caractère général aux tribunaux d'un État membre devant lequel le défendeur comparaît) à la condition que l'acte introductif d'instance comporte des indications informant le défendeur de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d'une comparution. Cette disposition, facilement mise en œuvre au moyen de l'inclusion de clauses de style, peut être préjudiciable aux droits des parties les plus faibles à un contrat, à plus forte raison en raison du fait que l'article 24, paragraphe 2 limite son application aux contrats d'assurance, aux contrats conclus par les consommateurs et aux contrats individuels de travail.

4.7.1   Vu qu'il appartiendra au tribunal recevant la demande de vérifier si ces informations ont été transmises au défendeur, sans qu'aucune prescription particulière ne soit établie à cet égard, le Comité entend souligner la situation d'incertitude et de discrétionnalité susceptible de découler de l'application de ce dispositif dans les 27 juridictions souveraines de l'UE. Il invite dès lors la Commission européenne à reconsidérer le libellé de cette disposition afin de renforcer la position juridique des consommateurs et des travailleurs et de garantir des modèles uniformes de conduite des tribunaux compétents.

Bruxelles, le 5 mai 2011.

Le président du Comité économique et social européen

Staffan NILSSON


(1)  JO C 255 du 22.9.2010, p. 48.

(2)  Adopté lors de la réunion du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009.

(3)  JO C 117 du 26.04.2000, p. 6.

(4)  Arrêt de la Cour du 28 mars 2000, aff. C-7/98, Krombach, Recueil de jurisprudence. p. I-01935.