ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 mars 2012 ( *1 )

«Manquement d’État — Directive 92/43/CEE — Articles 4, paragraphe 1, et 12, paragraphe 1 — Défaut d’inscription dans le délai prévu du site d’importance communautaire du lac de Paralimni — Système de protection de l’espèce Natrix natrix cypriaca (couleuvre à collier de Chypre)»

Dans l’affaire C-340/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 7 juillet 2010,

Commission européenne, représentée par M. G. Zavvos et Mme D. Recchia, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Chypre, représentée par M. K. Lykourgos et Mme M. Chatzigeorgiou, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, Mme A. Prechal, MM. K. Schiemann, L. Bay Larsen (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que,

en n’ayant pas inscrit le site du lac de Paralimni sur la liste nationale des sites d’importance communautaire proposés (ci-après les «SICp»),

en tolérant des activités qui compromettent sérieusement les caractéristiques écologiques du lac de Paralimni et en n’ayant pas pris les mesures de protection nécessaires pour maintenir la population de l’espèce Natrix natrix cypriaca (couleuvre à collier de Chypre), qui constitue l’intérêt écologique de ce lac et du barrage de Xyliatos, et

en n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour instaurer et appliquer un système de protection stricte de cette espèce,

la République de Chypre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 368, ci-après la «directive ‘habitats’»), de la directive «habitats» telle qu’interprétée par les arrêts du 13 janvier 2005, Dragaggi e.a. (C-117/03, Rec. p. I-167), et du 14 septembre 2006, Bund Naturschutz in Bayern e.a. (C-244/05, Rec. p. I-8445), ainsi que de l’article 12, paragraphe 1, de cette directive.

Le cadre juridique

2

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive «habitats», «[u]n réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé ‘Natura 2000’, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle».

3

L’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive «habitats» dispose:

«1.   Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction. Pour les espèces aquatiques qui occupent de vastes territoires, ces sites ne sont proposés que s’il est possible de déterminer clairement une zone qui présente les éléments physiques et biologiques essentiels à leur vie et reproduction. [...]

La liste est transmise à la Commission, dans les trois ans suivant la notification de la présente directive, en même temps que les informations relatives à chaque site. [...]

2.   Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 2) [...], la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des sites d’importance communautaire, à partir des listes des États membres, faisant apparaître les sites qui abritent un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires.

[...]

La liste des sites sélectionnés comme sites d’importance communautaire, faisant apparaître les sites abritant un ou plusieurs types d’habitats naturels prioritaires ou une ou plusieurs espèces prioritaires, est arrêtée par la Commission selon la procédure visée à l’article 21.»

4

L’article 5 de cette directive prévoit:

«1.   Dans les cas exceptionnels où la Commission constate l’absence sur une liste nationale visée à l’article 4 paragraphe 1 d’un site abritant un type d’habitat naturel ou une espèce prioritaires qui, sur la base d’informations scientifiques pertinentes et fiables, lui semble indispensable au maintien de ce type d’habitat naturel prioritaire ou à la survie de cette espèce prioritaire, une procédure de concertation bilatérale entre cet État membre et la Commission est engagée en vue de comparer les données scientifiques utilisées de part et d’autre.

2.   Si, à l’expiration d’une période de concertation n’excédant pas six mois, le différend subsiste, la Commission transmet au Conseil une proposition portant sur la sélection du site comme site d’importance communautaire.

3.   Le Conseil statue à l’unanimité dans un délai de trois mois à compter de la saisine du Conseil.

4.   Pendant la période de concertation et dans l’attente d’une décision du Conseil, le site concerné est soumis aux dispositions de l’article 6 paragraphe 2.»

5

L’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats» est libellé comme suit:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant:

a)

toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature;

b)

la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration;

c)

la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature;

d)

la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.»

6

La couleuvre à collier de Chypre est une espèce prioritaire figurant à l’annexe II et à l’annexe IV, sous a), de la directive «habitats».

Les faits à l’origine du litige et la procédure précontentieuse

7

Le 16 mai 2006, la Commission a reçu de la fédération des organisations environnementales et écologiques de Chypre une plainte relative à la protection insuffisante de la couleuvre à collier de Chypre. Selon cette plainte, la République de Chypre aurait omis à tort, notamment, d’inscrire le site du lac de Paralimni sur la liste nationale des SICp.

8

Compte tenu des informations dont elle disposait, la Commission a, le 23 mars 2007, adressé une lettre de mise en demeure à la République de Chypre, par laquelle elle attirait l’attention de cette dernière sur la protection insuffisante de cette espèce, aux motifs de l’absence dans la liste nationale des SICp du site du lac de Paralimni et de l’absence de protection dudit site ainsi que du barrage de Xyliatos.

9

Par lettre du 18 mai 2007, la République de Chypre a répondu à la lettre de mise en demeure en indiquant que l’autorité compétente était en discussion avec les parties concernées afin de parvenir, avant la fin de l’année 2007, à une proposition communément admise d’intégration du site du lac de Paralimni dans la liste nationale des SICp. Cet État membre a également énuméré les différentes mesures qui avaient été prises pour renforcer la protection de ce site et du barrage de Xyliatos. Enfin, il a soutenu que l’envoi de la lettre de mise en demeure était prématuré et illicite, car la Commission aurait dû suivre la procédure prévue à l’article 5 de la directive «habitats» et non la procédure en manquement visée à l’article 258 TFUE.

10

Par lettre du 6 juin 2008, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle concluait que, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive «habitats», la République de Chypre avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive. En conséquence, la Commission a invité la République de Chypre à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

11

Par lettre du 21 novembre 2008, la République de Chypre a répondu audit avis motivé en indiquant les mesures qui avaient été prises pour la protection de la couleuvre à collier de Chypre et en soulignant les progrès réalisés en ce qui concerne l’intégration du site du lac de Paralimni dans la liste nationale des SICp.

12

Par lettre du 18 décembre 2009, la Commission a notamment évoqué les plaintes relatives au développement immobilier dans la partie nord du site du lac de Paralimni.

13

Par lettre du 23 décembre 2009, la République de Chypre a informé la Commission que ledit site avait été officiellement intégré dans la liste nationale des SICp, le 24 novembre 2009. Cet État membre n’a toutefois pas intégré l’extrémité nord du lac de Paralimni dans cette liste.

14

Par la suite, la République de Chypre a réfuté les plaintes évoquées par la Commission et relatives au développement immobilier de la partie nord dudit lac.

Sur le recours

Sur l’absence de la liste nationale des SICp du site du lac de Paralimni

Argumentation des parties

15

La Commission considère que, en n’ayant pas inscrit, avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, le site du lac de Paralimni sur la liste nationale des SICp, la République de Chypre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive «habitats».

16

En ce qui concerne l’article 5, paragraphe 1, de la directive «habitats», dont la République de Chypre a, durant la phase précontentieuse, réclamé l’application dès lors que la Commission avait constaté l’absence, sur la liste nationale des SICp, d’un site apparaissant indispensable à la survie de la couleuvre à collier de Chypre, la Commission fait valoir que cette disposition présuppose l’existence d’un désaccord scientifique entre elle-même et l’État membre concerné, qui fait, en l’occurrence, défaut. En l’espèce, les informations utilisées de part et d’autre seraient les mêmes et ne seraient pas contestées. Dans ses lettres du 12 août et du 21 novembre 2008, la République de Chypre se serait engagée à intégrer le site du lac de Paralimni dans la liste nationale des SICp. En conséquence, la question d’un désaccord scientifique et d’une comparaison des données ne se poserait pas.

17

À titre subsidiaire, la Commission soutient qu’il existe des indications sérieuses selon lesquelles les limites du site qui lui ont finalement été communiquées en rapport avec la désignation du SICp, dans la mesure où elles n’incluent pas l’importante zone située à l’extrémité nord du lac de Paralimni, qui a été transformée en zone constructible au cours de l’année 2009, ne sont pas satisfaisantes pour la protection et la conservation de la couleuvre à collier de Chypre et que, par conséquent, l’infraction persiste.

18

La République de Chypre rappelle qu’elle n’a jamais contesté que le site du lac de Paralimni devait constituer un SICp. Elle soutient, cependant, que le tracé de la zone actuelle comme SICp est suffisant pour la protection et la conservation de l’espèce en cause. Celle-ci ne serait présente que dans les parties sud et est du SICp. Au demeurant, l’étude réalisée par l’experte autrichienne, à laquelle fait référence la Commission, ne contiendrait pas d’indication claire quant à la délimitation du SICp qu’elle juge nécessaire pour une protection suffisante de la couleuvre à collier de Chypre.

19

Dès lors que la République de Chypre fait valoir, données scientifiques à l’appui, que la délimitation du SICp est suffisante pour la préservation de la couleuvre à collier de Chypre et de ses habitats, ce qui est mis en doute par la Commission, il y aurait un désaccord scientifique, portant sur l’évaluation de données scientifiques. Ce désaccord aurait justifié la mise en œuvre de la procédure de concertation bilatérale prévue à l’article 5 de la directive «habitats».

Appréciation de la Cour

20

En ce qui concerne l’objet du recours, il y a lieu de rappeler que la Cour peut à tout moment, conformément à l’article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, examiner d’office des fins de non-recevoir d’ordre public.

21

Selon une jurisprudence constante, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission. L’objet du recours intenté en application de l’article 258 TFUE est, par conséquent, circonscrit par la procédure précontentieuse prévue par cette disposition. Dès lors, la requête ne peut être fondée sur des griefs autres que ceux indiqués durant la procédure précontentieuse (voir, notamment, arrêt du 10 mai 2001, Commission/Pays-Bas, C-152/98, Rec. p. I-3463, point 23).

22

En l’espèce, il convient de relever qu’il ne ressort pas du dossier que, durant la phase précontentieuse, que ce fût au stade de la mise en demeure ou à celui de l’avis motivé, la question de la délimitation du site du lac de Paralimni a été abordée par les parties, ni que la Commission a fait valoir un quelconque argument visant spécifiquement la partie nord de ce site. S’agissant de l’absence de la liste nationale des SICp du site du lac de Paralimni, la Commission s’est bornée à exiger l’inclusion de ce site, identifié en termes généraux et sans indication quant à sa délimitation, dans la liste nationale des SICp et la République de Chypre s’est engagée à intégrer celui-ci dans cette liste, ce qu’elle a fait, au demeurant, plus de dix-sept mois après que l’avis motivé a été émis.

23

Dès lors que la procédure précontentieuse ne visait aucunement la délimitation du site du lac de Paralimni ni, en particulier, la question de l’inclusion dans celui-ci de la partie nord du site, le recours est irrecevable dans la mesure où il se réfère à ce dernier sujet.

24

S’agissant du grief tiré du défaut d’inscription du site du lac de Paralimni sur la liste nationale des SICp, la Cour relève qu’il n’a jamais été contesté que, d’une manière générale, ce site aurait dû être intégré dans cette liste.

25

Par conséquent, il convient, en premier lieu, de constater que les conditions pour l’application de l’article 5 de la directive «habitats» n’étaient, en tout état de cause, réunies pour aucun de ces deux griefs.

26

En deuxième lieu, s’agissant du grief tiré du défaut d’inscription du site du lac de Paralimni sur la liste nationale des SICp, il est constant qu’il n’avait toujours pas été intégré à ladite liste avant l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.

27

Or, l’existence d’un manquement devant être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 11 janvier 2007, Commission/Irlande, C-183/05, Rec. p. I-137, point 17, et du 11 novembre 2010, Commission/Italie, C-164/09, point 19), force est de constater que le recours de la Commission est fondé en ce qui concerne ledit grief.

Sur la tolérance d’activités qui dégradent ou détruisent l’habitat de l’espèce concernée

Sur la recevabilité

– Argumentation des parties

28

La République de Chypre fait valoir que ni la lettre de mise en demeure ni l’avis motivé ne font référence au fonctionnement d’un champ de tir et à des travaux d’excavation. Partant, la Commission aurait étendu l’objet du litige en se référant, dans son recours, au champ de tir et à des travaux d’excavation en tant qu’activités qui dégradent ou détruisent l’habitat de l’espèce concernée.

29

La République de Chypre soutient que, n’ayant pas eu la possibilité de formuler des observations en réponse à ces arguments, ils ne peuvent être pris en considération par la Cour dans l’examen des griefs de la Commission. En effet, l’objet du litige ne pourrait s’étendre à des faits postérieurs à l’avis motivé que si ces faits sont de même nature que ceux visés par cet avis et s’ils sont constitutifs d’un même comportement, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

30

En ce qui concerne le développement résidentiel de la «partie nord du lac», l’avis motivé n’aurait pas identifié de façon précise les arguments invoqués plus globalement dans la lettre de mise en demeure. Concrètement, le développement résidentiel à l’endroit en question aurait été mentionné pour la première fois dans la lettre de la Commission du 18 décembre 2009. La «partie nord du lac» ne serait mentionnée ni dans la lettre de mise en demeure ni dans l’avis motivé.

31

En conséquence, la République de Chypre considère que les arguments de la Commission relatifs au fonctionnement d’un champ de tir, aux travaux d’excavation et au développement résidentiel dans la partie nord du lac de Paralimni doivent être rejetés comme irrecevables.

32

La Commission fait observer que, tant dans sa lettre de mise en demeure que dans son avis motivé, elle dénonce le comportement de la République de Chypre, qui tolère des activités compromettant sérieusement les caractéristiques écologiques dudit lac ainsi que le fait qu’elle n’ait pas pris les mesures de protection nécessaires pour maintenir la population de couleuvres à collier de Chypre, en infraction avec le droit de l’Union. Dans ce cadre, et à l’appui de ce grief, la Commission mentionne plus concrètement le pompage excessif d’eau, le développement immobilier et les courses de motocross.

33

À supposer même que l’exploitation du champ de tir et les travaux d’excavation constituent des faits postérieurs à l’avis motivé, la Commission relève que l’objet du litige peut s’étendre aux faits intervenus postérieurement à cet avis s’il s’agit de faits de même nature que ceux qui étaient visés par ledit avis et qui sont constitutifs d’un même comportement. Or, les faits en question seraient de même nature que ceux visés par l’avis motivé et seraient constitutifs d’un même comportement.

34

Quant au prétendu défaut de précision dans la formulation des arguments concernant le développement immobilier, la Commission relève qu’elle a défini le concept général en tant que développement immobilier «à côté du lac, mais aussi à l’intérieur de ses limites». Cette précision engloberait manifestement aussi la partie nord du lac, étant donné que celle-ci se situerait «à l’intérieur des limites» du lac. En toute hypothèse, la Commission n’aurait eu aucune possibilité réelle d’inclure le problème du développement immobilier récent touchant la partie nord du lac dans sa lettre de mise en demeure ou son avis motivé, étant donné que la République de Chypre n’aurait inclus cette zone dans le plan d’urbanisme qu’au mois de mars 2009, c’est-à-dire bien après l’expiration du délai de réponse à l’avis motivé.

– Appréciation de la Cour

35

En ce qui concerne les travaux d’excavation, force est de relever qu’ils figurent au nombre des faits que la Commission a reprochés, dans sa lettre de mise en demeure et dans son avis motivé, à la République de Chypre.

36

Par suite, l’argument relatif à la tolérance de travaux d’excavation est recevable.

37

S’agissant du fonctionnement du champ de tir, il convient de souligner que, ainsi que le reconnaît la Commission elle-même, ce fait n’a pas été mentionné au cours de la procédure précontentieuse. Or, s’il est vrai que même des faits intervenus postérieurement à l’avis motivé, mais de même nature que ceux qui étaient visés par cet avis et qui sont constitutifs d’un même comportement, peuvent être pris en compte dans le cadre d’un recours en manquement (voir, en ce sens, arrêts du 22 mars 1983, Commission/France, 42/82, Rec. p. 1013, point 20, et du 4 février 1988, Commission/Italie, 113/86, Rec. p. 607, point 11), tel n’est pas le cas du fonctionnement d’un champ de tir en regard du pompage d’eau, du développement immobilier, des travaux d’excavation ou de l’organisation de courses de motocross.

38

Par conséquent, l’argument tiré du fonctionnement du champ de tir n’est pas recevable.

39

S’agissant de l’argument relatif au développement résidentiel de la partie nord du lac de Paralimni et à ses effets dans cette zone, il convient de constater que, compte tenu de ce qui est indiqué au point 23 du présent arrêt et de ce que cet argument n’a, en tout état de cause, été invoqué par la Commission ni dans sa lettre de mise en demeure ni dans son avis motivé, il est également irrecevable.

Sur le fond

– Argumentation des parties

40

La Commission considère que la jurisprudence de la Cour, qui reconnaît la nécessité de protéger les SICp et de préserver les objectifs de la directive «habitats», notamment en ce qui concerne la constitution d’un réseau écologique européen cohérent, s’applique également aux sites satisfaisant aux critères écologiques nécessaires pour figurer sur la liste des SICp.

41

La Commission indique que la République de Chypre tolère le pompage excessif et illégal d’eau, qui est à l’origine, notamment, d’une destruction de l’habitat de l’espèce concernée ou de la disparition de ses caractéristiques représentatives. De plus, le développement immobilier sur le site en cause réduirait la surface de cet habitat et aurait, de ce fait, des répercussions très préjudiciables sur la conservation du site et de l’espèce concernée. En outre, l’organisation de courses de motocross serait particulièrement nuisible à la couleuvre à collier de Chypre du fait du dérangement continu occasionné et constituerait une source de danger, puisqu’elle entraînerait des blessures voire la mort des animaux.

42

Concernant le prélèvement d’eau à l’endroit où la couleuvre à collier de Chypre a son habitat, la République de Chypre indique qu’il a désormais cessé et que, partant, les inquiétudes relatives à une chute du niveau de l’eau dans l’habitat de cette espèce et à la destruction de cet habitat en raison du pompage ne sont plus justifiées. S’agissant de l’édification de résidences «à côté du lac», l’État membre défendeur souligne qu’il n’y a aucun développement résidentiel à l’intérieur du SICp en cause et que le développement résidentiel aux abords de ce site ne restreint pas l’habitat de la couleuvre à collier de Chypre et n’aura pas de conséquences dommageables, contrairement à ce qu’affirme la Commission. Pour ce qui est de l’exploitation d’une piste de motocross, la République de Chypre note qu’il y a été mis fin et que la piste a quant à elle été démolie.

– Appréciation de la Cour

43

Il convient de rappeler que, s’agissant des sites susceptibles d’être identifiés comme sites d’importance communautaire, qui figurent sur les listes nationales transmises à la Commission et, en particulier, des sites abritant des types d’habitats naturels prioritaires ou des espèces prioritaires, les États membres sont, en vertu de la directive «habitats», tenus de prendre des mesures de protection aptes, au regard de l’objectif de conservation visé par cette directive, à sauvegarder l’intérêt écologique pertinent que ces sites revêtent au niveau national (voir arrêt Draggagi e.a., précité, point 30).

44

Le régime d’une protection appropriée applicable aux sites figurant sur une liste nationale transmise à la Commission, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive «habitats», exige que les États membres n’autorisent pas des interventions qui risquent de compromettre sérieusement les caractéristiques écologiques de ces sites. Tel est notamment le cas lorsqu’une intervention risque soit de réduire de manière significative la superficie d’un site, soit d’aboutir à la disparition d’espèces prioritaires présentes sur ce site, soit enfin, d’avoir pour résultat la destruction dudit site ou l’anéantissement de ses caractéristiques représentatives (voir arrêt Bund Naturschutz in Bayern e.a., précité, points 46 et 47).

45

En effet, s’il n’en était pas ainsi, le processus décisionnel au niveau de l’Union européenne, qui est non seulement basé sur l’intégrité des sites tels que notifiés par les États membres, mais qui est également caractérisé par des comparaisons écologiques entre les différents sites proposés par les États membres, risquerait d’être faussé et la Commission ne serait plus en mesure de remplir ses fonctions dans le domaine considéré, à savoir, notamment, arrêter la liste des sites sélectionnés comme sites d’importance communautaire en vue de la constitution d’un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation (voir arrêt Bund Naturschutz in Bayern e.a., précité, points 41 et 42).

46

Les considérations qui précèdent valent, en tout état de cause, également, mutatis mutandis, pour les sites dont il n’est pas contesté par l’État membre en cause qu’ils satisfont aux critères écologiques visés à l’article 4, paragraphe 1, de la directive «habitats» et qui, partant, auraient dû figurer sur la liste nationale des SICp transmise à la Commission.

47

En effet, il ne saurait être admis, en vertu de la directive «habitats» et des objectifs qu’elle poursuit, qu’un site tel que celui en cause en l’espèce, dont l’État membre concerné ne conteste pas qu’il doit être inscrit sur ladite liste, ne bénéficie d’aucune protection.

48

S’agissant des comportements que la Commission met à charge de la République de Chypre et dont elle soutient qu’ils sont à l’origine d’une destruction de l’habitat de la couleuvre à collier de Chypre dans le site du lac de Paralimni et de la mise en danger, sur ce même site, du maintien de la population de cette espèce, il n’est pas contesté que l’organisation de courses de motocross sur le site en cause, à laquelle l’État membre défendeur prétend avoir mis fin après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, constitue un comportement de nature à compromettre sérieusement les caractéristiques écologiques de ce site.

49

Sur ce point, le grief est, dès lors, fondé.

50

En ce qui concerne le pompage excessif d’eau sur le site en cause, il ressort du dossier qu’il n’avait pas encore cessé à l’expiration du délai de deux mois fixé dans l’avis motivé. Or, il s’avère que, en l’espèce, ce type d’opération est de nature à avoir un impact négatif considérable sur l’habitat de la couleuvre à collier de Chypre et sur la conservation de cette espèce, notamment durant les années de sécheresse.

51

Par suite, le grief doit également être accueilli sur ce point.

52

Quant au développement immobilier ailleurs que dans la partie nord du SICp en cause, qui serait à l’origine d’une réduction de la superficie de l’habitat de l’espèce concernée et qui est reproché par la Commission à la République de Chypre, cette dernière reconnaît qu’un tel développement a eu lieu autour du SICp, mais pas à l’intérieur de celui-ci, et conteste les effets préjudiciables allégués par la Commission.

53

À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans que la Commission puisse se fonder sur une présomption quelconque (voir, notamment, arrêts Commission/Irlande, précité, point 39, et du 22 septembre 2011, Commission/Espagne, C-90/10, point 25).

54

Or, en l’absence de tout élément de preuve relatif à l’impact dudit développement immobilier sur la superficie de l’habitat de la couleuvre à collier de Chypre dans la partie du SICp concernée, un tel argument, tout comme l’argument connexe relatif à la tolérance de travaux d’excavation, ne saurait être, en tout état de cause, considéré comme fondé.

55

Par conséquent, le grief tiré de la violation de la directive «habitats», du fait de la tolérance d’activités qui dégradent et détruisent l’habitat de l’espèce concernée s’agissant du site du lac de Paralimni, doit être accueilli, sous réserve de ce qui est constaté au point 54 du présent arrêt.

Sur la non-instauration et la non-application d’un système de protection stricte de la couleuvre à collier de Chypre

Argumentation des parties

56

La Commission considère que, en tolérant les activités susmentionnées telles que, notamment, le pompage excessif d’eau ainsi que l’organisation de courses de motocross et en n’appliquant pas de mesures de protection, la République de Chypre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats». En effet, en conséquence desdites activités, la superficie de l’habitat de la couleuvre à collier de Chypre et la population de cette espèce auraient diminué dans le site du lac de Paralimni.

57

La Commission estime que les projets immobiliers sur ledit site ont des conséquences graves du fait des travaux de terrassement et des déblais qui détériorent l’habitat de ladite espèce. La parcellisation de la partie nord du lac de Paralimni enfreindrait également l’article 12, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive «habitats».

58

Sauf pour ce qui concerne le fonctionnement illégal du circuit de courses, la République de Chypre affirme avoir pris les mesures nécessaires pour appliquer un système de protection stricte de la couleuvre à collier de Chypre et n’avoir pas violé de ce fait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats».

Appréciation de la Cour

59

Il convient de rappeler que l’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats» impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de la même directive, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature, la perturbation intentionnelle desdites espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration, la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos.

60

La transposition de cette disposition impose aux États membres non seulement l’adoption d’un cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection à cet égard (arrêt Commission/Irlande, précité, point 29).

61

De même, le système de protection stricte suppose l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif (arrêts du 16 mars 2006, Commission/Grèce, C-518/04, point 16, et Commission/Irlande, précité, point 30).

62

Un tel système de protection stricte doit donc permettre d’éviter effectivement toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens des espèces animales figurant à l’annexe IV, sous a), de la directive «habitats» dans la nature, la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration, la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ainsi que la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos desdites espèces (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Commission/France, C-383/09, Rec. p. I-4869).

63

En l’occurrence, l’État membre défendeur reconnaît que, en tolérant l’organisation de courses de motocross, il a enfreint l’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats».

64

Quant au pompage excessif d’eau, eu égard au point 50 du présent arrêt et au fait que la présence de la couleuvre à collier de Chypre sur le site du lac de Paralimni était notoire, force est de constater qu’il constitue, en tout état de cause, une perturbation intentionnelle au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats».

65

En ce qui concerne l’argument tiré des conséquences dommageables pour la couleuvre à collier de Chypre liées au développement immobilier sur le site du lac de Paralimni, il ressort des éléments de preuve versés au dossier que le développement immobilier et les constructions existant dans le site du lac de Paralimni ou à proximité de celui-ci, en particulier dans sa partie nord ou à proximité de celle-ci, auxquels sont associés des travaux d’excavation, sont susceptibles d’entraîner des perturbations touchant cette espèce protégée dans l’ensemble de l’écosystème de ce site.

66

Dans ces conditions, il s’avère donc que la République de Chypre n’a pas instauré un système de protection stricte permettant d’éviter effectivement tous les événements rappelés au point 62 du présent arrêt.

67

En conséquence, le grief tiré de la violation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive «habitats» est fondé.

68

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de faire droit au recours de la Commission sous réserve de ce qui est dit au point 55 du présent arrêt.

69

Dès lors, il y a lieu de constater que la République de Chypre,

en n’ayant pas inscrit le site du lac de Paralimni sur la liste nationale des SICp,

en tolérant des activités qui compromettent sérieusement les caractéristiques écologiques du lac de Paralimni et en n’ayant pas pris les mesures de protection nécessaires pour maintenir la population de l’espèce Natrix natrix cypriaca (couleuvre à collier de Chypre), qui constitue l’intérêt écologique de ce lac et du barrage de Xyliatos, et

en n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour instaurer et appliquer un système de protection stricte de cette espèce,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive «habitats», de la directive «habitats» ainsi que de l’article 12, paragraphe 1, de cette directive.

Sur les dépens

70

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Chypre et celle-ci ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

 

1)

La République de Chypre,

en n’ayant pas inscrit le site du lac de Paralimni sur la liste nationale des sites d’importance communautaire proposés,

en tolérant des activités qui compromettent sérieusement les caractéristiques écologiques du lac de Paralimni et en n’ayant pas pris les mesures de protection nécessaires pour maintenir la population de l’espèce Natrix natrix cypriaca (couleuvre à collier de Chypre), qui constitue l’intérêt écologique de ce lac et du barrage de Xyliatos, et

en n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour instaurer et appliquer un système de protection stricte de cette espèce,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu, respectivement, de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2006/105/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, de cette directive 92/43, telle que modifiée, ainsi que de l’article 12, paragraphe 1, de la même directive 92/43, telle que modifiée.

 

2)

La République de Chypre est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le grec.