Affaire C-6/03

Deponiezweckverband Eiterköpfe

contre

Land Rheinland-Pfalz

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Koblenz)

«Environnement — Mise en décharge des déchets — Directive 1999/31/CE — Réglementation nationale prévoyant des normes plus contraignantes — Compatibilité»

Conclusions de l’avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 30 novembre 2004 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 avril 2005. 

Sommaire de l’arrêt

1.     Environnement — Déchets — Directive 1999/31 — Mise en décharge des déchets — Réglementation nationale prévoyant des normes plus contraignantes — Compatibilité

(Art. 176 CE; directive du Conseil 1999/31, art. 5, § 1 et 2)

2.     Environnement — Mesures de protection renforcées — Compatibilité avec le traité — Condition — Respect du principe de proportionnalité — Exclusion

(Art. 176 CE; directive du Conseil 1999/31)

1.     L’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 1999/31/CE, concernant la mise en décharge des déchets, ne s’oppose pas à une mesure nationale qui:

- fixe des limites pour l’admission en décharge de déchets biodégradables plus réduites que celles fixées par la directive, même si ces limites sont si réduites qu’elles impliquent un traitement mécanique-biologique ou l’incinération de tels déchets avant leur mise en décharge,

- fixe des délais plus courts que ceux de la directive pour réduire la quantité de déchets mis en décharge,

- s’applique non seulement aux déchets biodégradables, mais également aux substances organiques non biodégradables, et

- s’applique non seulement aux déchets municipaux, mais également aux déchets qui peuvent être éliminés comme des déchets municipaux.

(cf. points 43-44, 49, 52, 55-56, disp. 1)

2.     Dans le cadre de la politique communautaire de l’environnement, pour autant qu’une mesure nationale poursuit les mêmes objectifs qu’une directive, le dépassement des exigences minimales établies par cette directive est prévu et autorisé par l’article 176 CE dans les conditions posées par celui-ci. Par conséquent, le principe communautaire de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer en ce qui concerne les mesures nationales de protection renforcées prises en vertu de l’article 176 CE et dépassant les exigences minimales prévues par une directive communautaire dans le domaine de l’environnement, pour autant que d’autres dispositions du traité ne soient pas impliquées.

(cf. points 58, 64, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 avril 2005 (*)

«Environnement – Mise en décharge des déchets – Directive 1999/31 – Réglementation nationale prévoyant des normes plus contraignantes – Compatibilité»

Dans l'affaire C-6/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Koblenz (Allemagne), par décision du 4 décembre 2002 , parvenue à la Cour le 8 janvier 2003 , dans la procédure

Deponiezweckverband Eiterköpfe

contre

Land Rheinland-Pfalz,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, Mme N. Colneric, M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), MM. M. Ilešič et E. Levits, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 15 septembre 2004,

considérant les observations présentées:

–       pour le Deponiezweckverband Eiterköpfe, par Mes W. Klett, G. Moesta et A. Oexle, Rechtsanwälte,

–       pour le Land Rheinland-Pfalz, par M. P. Delorme, en qualité d'agent, assisté de Me D. Sellner, Rechtsanwalt,

–       pour le gouvernement allemand, par MM. W.‑D. Plessing, M. Lumma et Mme A. Tiemann, en qualité d'agents,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mme H. G. Sevenster, en qualité d'agent,

–       pour le gouvernement autrichien, par MM. E. Riedl et M. Hauer, en qualité d'agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. U. Wölker et M. Konstantinidis, en qualité d'agents,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 30 novembre 2004,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets (JO L 182, p. 1, ci-après la «directive»), ainsi que de l’article 176 CE et du principe de proportionnalité.

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’association Deponiezweckverband Eiterköpfe (ci-après le «Deponiezweckverband») au Land Rheinland-Pfalz (Land de Rhénanie-Palatinat) au sujet de l’autorisation d’exploiter une décharge.

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

3       Dans le cadre de la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement, l’article 176 CE prévoit:

«Les mesures de protection arrêtées en vertu de l’article 175 ne font pas obstacle au maintien et à l’établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcées. Ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité. Elles sont notifiées à la Commission.»

4       La directive a été adoptée sur le fondement de l’article 130 S, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 175, paragraphe 1, CE).

5       L’article 1er, paragraphe 1, de la directive prévoit:

«En vue de répondre aux exigences de la directive 75/442/CEE, et notamment de ses articles 3 et 4, la présente directive a pour objet, par des exigences techniques et opérationnelles strictes applicables aux déchets et aux décharges, de prévoir des mesures, procédures et orientations visant à prévenir ou à réduire autant que possible les effets négatifs de la mise en décharge des déchets sur l’environnement, et notamment la pollution des eaux de surface, des eaux souterraines, du sol et de l’air, et sur l’environnement de la planète, y compris l’effet de serre, ainsi que les risques qui en résultent pour la santé humaine, pendant toute la durée de vie de la décharge.»

6       L’article 2, sous a), de la directive définit le «déchet» comme étant toute substance ou tout objet qui entre dans le champ d’application de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39). Celle-ci définit, à son article 1er, sous a), le «déchet» comme étant «toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou a l’obligation de se défaire en vertu des dispositions nationales en vigueur».

7       Les «déchets municipaux» sont définis à l’article 2, sous b), de la directive comme étant «les déchets ménagers ainsi que les autres déchets qui, de par leur nature ou leur composition, sont similaires aux déchets ménagers».

8       Aux termes de l’article 2, sous m), de la directive, on entend par «déchet biodégradable» «tout déchet pouvant subir une décomposition anaérobie ou aérobie, comme les déchets alimentaires et les déchets de jardin, ainsi que le papier et le carton».

9       L’article 3, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Les États membres appliquent la présente directive à toute décharge au sens de l’article 2, point g).»

10     Selon l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive:

«1.      Les États membres définissent une stratégie nationale afin de mettre en œuvre la réduction des déchets biodégradables mis en décharge, au plus tard deux ans après la date fixée à l’article 18, paragraphe 1, et notifient cette stratégie à la Commission. Cette stratégie devrait comporter des mesures visant à réaliser les objectifs fixés au paragraphe 2, notamment grâce au recyclage, au compostage, à la production de biogaz ou à la valorisation des matériaux/valorisation énergétique. […]

2.      Cette stratégie prévoit que:

a)      au plus tard cinq ans après la date fixée à l’article 18, paragraphe 1, la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge doit être réduite à 75 % (en poids) de la totalité des déchets municipaux biodégradables produits en 1995 ou au cours de la dernière année avant 1995 pour laquelle on dispose de données normalisées d’Eurostat;

b)      au plus tard huit ans après la date fixée à l’article 18, paragraphe 1, la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge doit être réduite à 50 % (en poids) de la totalité des déchets municipaux biodégradables produits en 1995 ou au cours de la dernière année avant 1995 pour laquelle on dispose de données normalisées d’Eurostat;

c)      au plus tard quinze ans après la date fixée à l’article 18, paragraphe 1, la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge doit être réduite à 35 % (en poids) de la totalité des déchets municipaux biodégradables produits en 1995 ou au cours de la dernière année avant 1995 pour laquelle on dispose de données normalisées d’Eurostat.

[…]»

11     L’article 6, sous a), de la directive précise que:

«Les États membres prennent des mesures pour que:

a)      seuls les déchets déjà traités soient mis en décharge. Cette disposition ne peut s’appliquer aux déchets inertes pour lesquels un traitement n’est pas réalisable techniquement ou à tous autres déchets pour lesquels un tel traitement ne contribue pas à la réalisation des objectifs de la présente directive, fixés à l’article 1er, par une réduction des quantités de déchets ou des risques pour la santé humaine ou l’environnement».

12     La date fixée à l’article 18, paragraphe 1, de la directive, et qui est mentionnée à l’article 5 de celle-ci, est le 16 juillet 2001. Il s’agit de la date à laquelle, au plus tard, les États membres sont tenus de transposer la directive dans leur droit interne.

 Le droit national

13     Le règlement sur le stockage écologique des déchets municipaux (Verordnung über die umweltverträgliche Ablagerung von Siedlungsabfällen), du 20 février 2001 (BGBl. 2001 I, p. 305, ci-après le «règlement de 2001»), a été adopté en vue de transposer la directive dans le droit interne allemand.

14     Les «déchets municipaux» sont définis à l’article 2, point 1, du règlement de 2001 comme étant «les déchets ménagers ainsi que les autres déchets qui, de par leur nature ou leur composition, sont similaires aux déchets ménagers».

15     Les «déchets qui peuvent être éliminés comme des déchets municipaux» sont définis à l’article 2, point 2, du règlement de 2001 comme étant «[l]es déchets qui, de par leur nature ou leur composition, peuvent être éliminés avec ou comme les déchets municipaux, notamment les boues résiduaires provenant des stations d’épuration des eaux urbaines résiduaires ou d’eaux résiduaires présentant une charge de pollution semblablement peu élevée, les matières et boues fécales, les résidus de stations d’épuration des eaux, les boues provenant de l’épuration des eaux, les déchets de chantiers et les déchets spécifiquement liés à la production […]»

16     L’article 3, paragraphe 3, dudit règlement prévoit:

«Les déchets municipaux et les déchets au sens de l’article 2, point 2, à l’exception des déchets traités mécaniquement-biologiquement ne peuvent être stockés que s’ils correspondent aux critères de référence de l’annexe 1 pour les décharges de catégorie I ou II.»

17     L’article 4, paragraphe 1, du même règlement dispose:

«Les déchets traités mécaniquement-biologiquement ne peuvent être stockés que si

[…]

les déchets correspondent aux critères de référence de l’annexe 2 […]».

18     L’annexe 1 du règlement de 2001 prévoit que, lors du classement des déchets dans les décharges, il convient de respecter les valeurs de référence suivantes:


Paramètres

Valeurs de référence

Décharge de catégorie I

Décharge de catégorie II

2

Part organique dans le résidu sec de la substance originale

2.01

déterminée en tant que perte au feu

< ou = à 3 % de la masse

< ou = à 5 % de la masse

2.02

déterminée en tant que COT [carbone organique total]

< ou = à 1 % de la masse

< ou = à 3 % de la masse

4

Critères de l'éluat

4.03

COT

< ou = à 20 mg/l

< ou = à 100 mg/l


19     L’annexe 2 du même règlement dispose que, lors du classement des déchets préalablement traités mécaniquement-biologiquement dans les décharges, il convient de respecter les valeurs de référence suivantes:

Paramètres

Valeurs de référence

2

Part organique dans le résidu sec de la substance originale déterminée en tant que COT

< ou = à 18 % de la masse

4

Critères de l'éluat

4.03

COT

< ou = à 250 mg/l

5

Biodégradabilité du résidu sec de la substance originale déterminée en tant qu'activité respiratoire (AT4) ou

< ou = à 5 mg/g

déterminée en tant que taux de formation des gaz dans le test de fermentation (GB21)

< ou = à 20 l/kg


20     Le règlement de 2001 est entré en vigueur le 1er mars 2001. À titre de règles transitoires, l’article 6 de ce règlement prévoit que, sous certaines conditions, la mise en décharge de déchets non conformes à ses critères peut être autorisée jusqu’au 31 mai 2005, et le stockage de déchets conformes dans de vieilles décharges non conformes à ses exigences peut être autorisé jusqu’au 15 juillet 2009.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21     La partie requérante au principal, le Deponiezweckverband, est une association entre les Landkreise (circonscriptions administratives) de Mayen-Koblenz et de Cochem-Zell et la ville de Koblenz qui exploite la décharge centrale Eiterköpfe. Elle cherche à obtenir du Land Rheinland-Pfalz, partie défenderesse au principal, l'autorisation de remplir, au-delà du 31 mai 2005 et jusqu’au 31 décembre 2013 au plus tard, deux sections de la décharge avec des déchets qui n’ont été préalablement traités que mécaniquement. Le Land Rheinland-Pfalz maintient que la réglementation nationale applicable ne le permet pas.

22     Le Verwaltungsgericht Koblenz, saisi du litige, a éprouvé des doutes quant à la compatibilité de cette réglementation nationale avec l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive ainsi qu’avec le principe communautaire de proportionnalité. Aussi a-t-il décidé, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 5, paragraphe 1, de la directive et les règles communautaires pour une stratégie de réduction des déchets biodégradables mis en décharge doivent-ils être interprétés en ce sens que dans le cadre de l’article 176 CE et en dérogation aux mesures citées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive, à savoir la réduction de la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge à un certain pourcentage en poids de la quantité totale des déchets municipaux biodégradables par rapport à une année civile donnée, ces mesures peuvent être renforcées par une mesure nationale visant à transposer les règles communautaires et disposant que le déchets municipaux et les déchets qui peuvent être éliminés comme des déchets municipaux, ne peuvent être stockés que si le critère de référence ‘part organique dans le résidu sec de la substance originale’ – perte au feu ou carbone organique total (COT) – est respecté?

2)      a)     Dans l’affirmative, les règles communautaires fixées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive doivent-elles être interprétées en ce sens que les exigences qui y sont posées, à savoir:

–       75 % en poids à partir du 16 juillet 2006,

–       50 % en poids à partir du 16 juillet 2009, et

–       35 % en poids à partir du 16 juillet 2016,

sont remplies, dans le respect du principe communautaire de proportionnalité, par une réglementation nationale prévoyant que, pour les déchets municipaux et les déchets qui peuvent être éliminés comme des déchets municipaux, il faut, à partir du 1er juin 2005, que la part organique dans le résidu sec de la substance originale soit inférieure ou égale à 5 % de la masse lorsque déterminée en tant que perte au feu et inférieure ou égale à 3 % de la masse lorsque déterminée en tant que COT et que, pour les déchets traités mécaniquement-biologiquement, il faut, à partir du 1er mars 2001 qu’ils ne puissent être stockés dans de vieilles décharges au maximum jusqu’au 15 juillet 2009 et dans des cas individuels au-delà, que si la part organique dans le résidu sec de la substance originale est inférieure ou égale à 18 % de la masse lorsque déterminée en tant que COT et la biodégradabilité du résidu sec de la substance originale est inférieure ou égale à 5 mg/g lorsque déterminée en tant qu’activité respiratoire (AT4) ou égale ou inférieure à 20 l/kg lorsque déterminée en tant que taux de formation des gaz lors du test de fermentation (GB21)?

b)      Le principe communautaire de proportionnalité accorde-t-il un pouvoir d’appréciation large ou étroit lors de l’appréciation des incidences en cas de recouvrement de déchets non traités avec des déchets préalablement traités thermiquement ou mécaniquement-biologiquement? Peut-on tirer du principe de proportionnalité que des dangers occasionnés par des déchets qui n’ont été préalablement traités que mécaniquement peuvent être compensés par d’autres mesures de protection?»

 Sur la demande tendant à la réouverture de la procédure orale

23     Par acte déposé au greffe de la Cour le 27 décembre 2004, complété par un courrier du 16 février 2005, le Deponiezweckverband a demandé la réouverture de la procédure orale afin que soient pris en compte certains rapports d’expert.

24     Selon le point 62 des conclusions de M. l’avocat général, «les éléments nécessaires pour procéder à une appréciation prudente n’[ont] pas été fournis» et, selon la note 35 de ces mêmes conclusions, «[il] manque au dossier des rapports techniques […]». Toutefois, le Deponiezweckverband fait valoir que le dossier de la procédure nationale contient cinq rapports d’expert comportant précisément les informations visées par M. l’avocat général. La réouverture de la procédure orale serait indiquée pour lui permettre d’en tenir compte.

25     La Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir arrêts du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec. p. I‑1577, point 42, et du 14 décembre 2004, Arnold André, C-434/02, non encore publié au Recueil, point 27). Cependant, en l’espèce, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la demande de réouverture de la procédure orale.

 Sur les questions préjudicielles

26     Il convient de traiter ensemble les questions 1 et 2 a) dans la mesure où elles portent sur l’interprétation de la directive à la lumière de l’article 176 CE. Il convient également de traiter ensemble les questions 2 a) et 2 b) dans la mesure où elles concernent le principe communautaire de proportionnalité.

 Remarque préliminaire

27     À titre liminaire, il convient de rappeler que la réglementation communautaire, dans le domaine de l’environnement, n’envisage pas une harmonisation complète. Même si l’article 174 CE mentionne certains objectifs communautaires à atteindre, l’article 176 CE prévoit la possibilité pour les États membres d’adopter des mesures de protection renforcées (arrêt du 22 juin 2000, Fornasar e.a., C‑318/98, Rec. p. I‑4785, point 46). L’article 176 CE soumet de telles mesures aux seules conditions qu’elles soient compatibles avec le traité et qu’elles soient notifiées à la Commission.

28     Selon l’article 174, paragraphe 2, CE, la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur.

29     La directive a été adoptée sur le fondement de l’article 130 S, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 175, paragraphe 1, CE) et donc en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 174 CE.

30     Il ressort du neuvième considérant et de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive qu’elle entend poursuivre et préciser les objectifs de la directive 75/442 en prévoyant des mesures visant à prévenir ou à réduire autant que possible les effets négatifs de la mise en décharge des déchets sur l’environnement.

31     En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive les États membres doivent définir des stratégies nationales en vue de réduire la quantité de déchets biodégradables mis en décharge. Aux termes de la même disposition, ces stratégies nationales doivent comporter des mesures visant à réaliser les objectifs fixés à l’article 5, paragraphe 2, de la directive. Cette dernière disposition énonce que lesdites stratégies nationales doivent prévoir que la quantité des déchets mis en décharge soit réduite par certains pourcentages avant certaines dates déterminées. Il ressort clairement du libellé et de l’économie de ces dispositions qu’elles fixent une réduction minimum à atteindre par les États membres, et qu’elles ne s’opposent pas à l’adoption par ceux-ci de mesures plus contraignantes.

32     Il en résulte que l’article 176 CE et la directive prévoient la possibilité pour les États membres d’adopter des mesures de protection renforcées dépassant les minima fixés par la directive [voir, en ce sens, à propos de la directive 91/689/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, relative aux déchets dangereux (JO L 377, p. 20), arrêt Fornasar e.a., précité, point 46].

 Sur la première question

33     Par la première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive, lu à la lumière de l’article 176 CE, fait obstacle à des mesures nationales qui posent des exigences plus strictes que celles de la directive en matière de mise en décharge des déchets. La question vise quatre types d’exigences prévues par la réglementation nationale. Il convient de les examiner successivement.

34     Premièrement, l’article 5, paragraphe 2, de la directive prévoit que, au plus tard en 2016, la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge doit être réduite progressivement à 35 % en poids de la totalité de tels déchets produits en 1995. En comparaison, le règlement de 2001, notamment ses articles 3, paragraphe 3, et 4, paragraphe 1, ainsi que ses annexes 1 et 2, fixent des seuils plus bas pour les quantités organiques restantes dans les déchets admis en décharge.

35     Pour définir les valeurs limites qu’il impose, ce règlement utilise notamment les critères de perte au feu et de carbone organique total (COT), tandis que l’article 5, paragraphe 2, de la directive emploie le critère de pourcentage en poids.

36     Il convient de relever, à cet égard, que l’utilisation d’une méthode de mesure telle que le COT ou la perte au feu n’est pas une fin en soi, à l’instar des objectifs visés à l’article 5, paragraphe 2, de la directive, mais simplement un moyen pour atteindre de tels objectifs.

37     Les États membres jouissant du choix des moyens pour atteindre les buts fixés à l’article 5, paragraphe 2, de la directive, des critères de mesure tels que ceux figurant dans le règlement de 2001 sont conformes aux prescriptions de la directive.

38     Quant aux seuils fixés pour les quantités organiques restantes dans les déchets admis en décharge, il est clair qu’une mesure nationale telle que celle visée au principal poursuit le même objectif que la directive et, notamment, la réduction de la pollution de l’eau et de l’air en réduisant la mise en décharge des déchets biodégradables.

39     Pour atteindre ces seuils, le règlement de 2001 exige que les déchets biodégradables subissent un traitement avant leur mise en décharge. Dans le cas de déchets traités mécaniquement-biologiquement, ce traitement comporte des processus tels que le broyage, le tri, le compostage et la fermentation. Pour les autres déchets un traitement thermique est utilisé, en l’occurrence l’incinération.

40     Toutes ces formes de traitement sont conformes à la directive. L’article 6, sous a), de celle-ci impose aux États membres de prendre des mesures pour que seuls les déchets déjà traités soient mis en décharge. Le traitement est défini à l’article 2, sous h), de la directive comme «les processus physiques, thermiques, chimiques ou biologiques, y compris le tri, qui modifient les caractéristiques des déchets de manière à en réduire le volume ou le caractère dangereux, à en faciliter la manipulation ou à en favoriser la valorisation». Il en ressort en particulier que la directive prévoit le traitement thermique des déchets de manière à en réduire le caractère dangereux.

41     Il résulte de ce qui précède que les seuils et les critères figurant dans une mesure nationale telle que celle en cause au principal poursuivent la même orientation de protection environnementale que la directive. Pour autant qu’une telle réglementation impose des exigences plus sévères que celles de cette directive, elle constitue une mesure de protection renforcée au sens de l’article 176 CE.

42     Deuxièmement, l’article 5, paragraphe 2, de la directive prévoit que les États membres réduisent la quantité de déchets visés en trois étapes qui se terminent au plus tard en 2006, 2009 et 2016. Le règlement de 2001 impose des délais plus courts, à savoir jusqu’au 31 mai 2005 au plus tard.

43     L’emploi de l’expression «au plus tard» à l’article 5, paragraphe 2, ainsi qu’à l’article 18, de la directive indique que les États membres sont libres d’appliquer des délais plus courts, s’ils l’estiment nécessaire (voir, en ce sens, à propos de l’expression «au moins», arrêt du 22 juin 1993, Gallaher e.a., C-11/92, Rec. p. I‑3545, point 20).

44     Si un État membre choisit, dans ce cadre, de fixer des délais plus courts que ceux de la directive, il s’agit d’une mesure de protection renforcée au sens de l’article 176 CE.

45     Troisièmement, l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive concerne les seuls déchets biodégradables. Pour sa part, le règlement de 2001 vise non seulement les déchets biodégradables, mais également les déchets organiques non biodégradables.

46     Bien que l’article 5 de la directive concerne spécifiquement une stratégie ayant pour objet de réduire des déchets biodégradables mis en décharge, il est manifeste que la directive dans son ensemble vise les déchets au sens large, tels que définis à son article 2, sous a).

47     D’une part, la directive prévoit à son article 1er, paragraphe 1, des exigences techniques et opérationnelles strictes applicables aux déchets et aux décharges, sans restriction du type de déchet ou de décharge. D’autre part, l’article 3, paragraphe 1, de cette même directive prévoit que les États membres appliquent celle-ci à toute décharge, notion définie à son article 2, sous g), comme «un site d’élimination des déchets […]» sans aucune limitation en ce qui concerne le type de déchets visés à cette disposition.

48     C’est dans ce cadre que l’annexe II, point 2, sixième alinéa, de la directive précise que les critères relatifs à l’admission des déchets dans une décharge peuvent comprendre des limitations de la quantité de matière organique dans les déchets.

49     Il en résulte qu’une mesure nationale, telle que celle mentionnée au point 45 du présent arrêt, qui, afin d’autoriser la mise en décharge, étend des restrictions non seulement aux substances biodégradables, mais à l’ensemble des substances organiques, poursuit les mêmes objectifs que la directive. Pour autant qu’une telle mesure vise une gamme de substances plus large que celle figurant à l’article 5 de la directive, il s’agit d’une mesure de protection renforcée au sens de l’article 176 CE.

50     Quatrièmement, l’article 5, paragraphe 2, de la directive vise les déchets municipaux. Le règlement de 2001 vise non seulement les déchets municipaux, mais également, aux termes de ses articles 2, point 2, et 3, paragraphe 3, les déchets qui peuvent être éliminés avec ou comme des déchets municipaux, notamment les boues provenant de l’épuration des eaux, les déchets de chantier et les déchets liés à la production.

51     S’il est vrai que l’article 5, paragraphe 2, de la directive ne vise que les déchets municipaux, la stratégie nationale ayant pour objet de réduire les déchets biodégradables mis en décharge, prévue au paragraphe 1 de cet article, englobe tous les déchets au sens de la définition figurant à l’article 2, sous a), de cette directive. De même, l’obligation imposée aux États membres par l’article 6, sous a), de la directive, de prendre des mesures pour que seuls les déchets déjà traités soient mis en décharge, vaut tant pour les déchets municipaux que pour les déchets qui ne sont pas municipaux. Il ressort, en outre, de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive que celle-ci dans son ensemble vise la réduction des déchets mis en décharge, sans distinction entre les déchets municipaux et les autres.

52     Il s’ensuit qu’une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, qui vise la réduction des déchets mis en décharge et qui s’applique à des déchets autres que des déchets municipaux est compatible avec la directive et constitue une mesure de protection renforcée au sens de l’article 176 CE.

53     Il résulte de ce qui précède que, pour chacun des quatre cas examinés, la mesure nationale envisagée est conforme à la directive, lue à la lumière de l’article 176 CE.

54     La juridiction de renvoi demande en outre si de telles mesures, prises dans leur ensemble, peuvent être considérées comme contraires à la directive.

55     Sur cette question, il convient de retenir que, chacune des quatre mesures nationales envisagées étant conforme individuellement au droit communautaire, il n’y a pas lieu de les considérer collectivement comme contraires à ce même droit communautaire. Il en est ainsi même si les limites fixées par la mesure nationale pour l’admission en décharge de déchets biodégradables sont si réduites qu’elles impliquent un traitement mécanique-biologique ou l’incinération de tels déchets avant leur mise en décharge.

56     Il y a lieu par conséquent de répondre à la première question que l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive ne s’oppose pas à une mesure nationale qui:

–       fixe des limites pour l’admission en décharge de déchets biodégradables plus réduites que celles fixées par la directive, même si ces limites sont si réduites qu’elles impliquent un traitement mécanique-biologique ou l’incinération de tels déchets avant leur mise en décharge,

–       fixe des délais plus courts que la directive pour réduire la quantité de déchets mis en décharge,

–       s’applique non seulement aux déchets biodégradables, mais également aux substances organiques non biodégradables, et

–       s’applique non seulement aux déchets municipaux, mais également aux déchets qui peuvent être éliminés comme des déchets municipaux.

 Sur la seconde question

57     Par la seconde question, la juridiction nationale interroge la Cour, en substance, sur la conformité de mesures nationales telles que celles en cause au principal avec le principe communautaire de proportionnalité.

58     En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, dans le cadre de la politique communautaire de l’environnement, pour autant qu’une mesure nationale poursuit les mêmes objectifs qu’une directive, le dépassement des exigences minimales établies par cette directive est prévu et autorisé par l’article 176 CE dans les conditions posées par celui-ci.

59     L’article 176 CE autorise les États membres à maintenir ou à adopter des mesures de protection renforcées à condition qu’elles soient compatibles avec le traité et qu’elles soient notifiées à la Commission.

60     Ainsi qu’il résulte de la réponse donnée à la première question, des mesures nationales, telles que celles au sujet desquelles la juridiction de renvoi interroge la Cour, constituent des mesures de protection renforcées au sens de l’article 176 CE.

61     Il résulte de l’économie de l’article 176 CE que, en adoptant des mesures plus sévères, les États membres exercent toujours une compétence réglée par le droit communautaire, étant donné que celles-ci doivent, en tout cas, être compatibles avec le traité. Néanmoins, la définition de l’étendue de la protection à atteindre est confiée aux États membres.

62     Dans ce contexte, dans la mesure où il s’agit d’assurer l’exécution des exigences minimales prévues par la directive, le principe communautaire de proportionnalité exige que les mesures nationales soient appropriées et nécessaires par rapport aux objectifs poursuivis.

63     En revanche, et pour autant que d’autres dispositions du traité ne soient pas impliquées, ce principe ne trouve plus à s’appliquer en ce qui concerne les mesures nationales de protection renforcées prises en vertu de l’article 176 CE et dépassant les exigences minimales prévues par la directive.

64     Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question que le principe communautaire de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer en ce qui concerne les mesures nationales de protection renforcées prises en vertu de l’article 176 CE et dépassant les exigences minimales prévues par une directive communautaire dans le domaine de l’environnement, pour autant que d’autres dispositions du traité ne soient pas impliquées.

 Sur les dépens

65     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      L’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets, ne s’oppose pas à une mesure nationale qui:

–       fixe des limites pour l’admission en décharge de déchets biodégradables plus réduites que celles fixées par la directive, même si ces limites sont si réduites qu’elles impliquent un traitement mécanique-biologique ou l’incinération de tels déchets avant leur mise en décharge,

–       fixe des délais plus courts que la directive pour réduire la quantité de déchets mis en décharge,

–       s’applique non seulement aux déchets biodégradables, mais également aux substances organiques non biodégradables, et

–       s’applique non seulement aux déchets municipaux, mais également aux déchets qui peuvent être éliminés comme des déchets municipaux.

2)      Le principe communautaire de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer en ce qui concerne les mesures nationales de protection renforcées prises en vertu de l’article 176 CE et dépassant les exigences minimales prévues par une directive communautaire dans le domaine de l’environnement, pour autant que d’autres dispositions du traité ne soient pas impliquées.

Signatures


* Langue de procédure: l'allemand.