Affaire C-195/02


Commission des Communautés européennes
contre
Royaume d'Espagne


«Manquement d'État – Directive 91/439/CEE – Permis de conduire – Reconnaissance mutuelle – Enregistrement et échange obligatoires – Conditions de renouvellement des permis délivrés antérieurement à la transposition de la directive»

Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 4 mars 2004
    
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 9 septembre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Libre circulation des personnes – Liberté d'établissement – Permis de conduire – Directive 91/439 – Reconnaissance mutuelle des permis de conduire

(Directive du Conseil 91/439, art. 1er, § 2)

2.
Libre circulation des personnes – Liberté d'établissement – Permis de conduire – Directive 91/439 – Échange obligatoire du permis de conduire délivré par un autre État membre en raison de l'impossibilité d'y mentionner les données nécessaires à sa gestion – Inadmissibilité

(Directive du Conseil 91/439, art. 1er, § 3, et 8, et annexe I, point 4)

3.
Libre circulation des personnes – Liberté d'établissement – Permis de conduire – Directive 91/439 – Renouvellement des permis de conduire – Distinction opérée, s'agissant des normes minimales d'aptitude physique et mentale, entre les permis délivrés avant et après l'entrée en vigueur de la directive – Inadmissibilité – Justification – Absence

(Directive du Conseil 91/439, art. 7, § 1, a), et annexe III)

1.
L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439, relative au permis de conduire, pose le principe de la reconnaissance mutuelle des permis de conduire délivrés par d’autres États membres. Cette reconnaissance, qui doit être assurée sans aucune formalité, est une obligation claire et inconditionnelle et les États membres ne disposent d’aucune marge d’appréciation quant aux modalités à adopter pour s’y conformer. Dès lors que l’enregistrement d’un permis de conduire délivré par un autre État membre devient une obligation, du fait que le titulaire dudit permis est passible d’une sanction lorsque, après s’être établi dans l’État membre d’accueil, il conduit un véhicule sans avoir fait enregistrer son permis de conduire, cet enregistrement doit être considéré comme constituant une formalité contraire à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite directive.

(cf. points 53-55)

2.
La faculté, que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 91/439, relative au permis de conduire, reconnaît à l’État membre d’accueil, d’inscrire sur un permis de conduire délivré par un autre État membre les mentions indispensables à sa gestion est, ainsi qu’il ressort de l’annexe I, point 4, de ladite directive, expressément soumise à la condition que l’État membre d’accueil dispose de l’emplacement nécessaire à cet effet sur ledit permis.
Procéder à l’échange d’un permis de conduire délivré par un autre État membre lorsque la place prévue sur ledit permis pour mettre des observations indispensables à sa gestion vient à manquer n’est pas compatible avec la directive 91/439 puisque cet échange ne relève pas de la liste exhaustive des cas d’échange autorisés figurant à l’article 8 de celle-ci.

(cf. points 69-70)

3.
La lecture combinée de l’article 7, paragraphe 1, sous a), et de l’annexe III de la directive 91/439, relative au permis de conduire, à laquelle cette disposition renvoie, fait apparaître que les normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule à moteur prévues par ladite directive s’appliquent à tout candidat à la délivrance ou au renouvellement d’un permis de conduire.
Dès lors que la directive 91/439 ne distingue pas entre le renouvellement des permis de conduire délivrés après son entrée en vigueur et celui des permis de conduire délivrés avant cette date, une telle distinction est incompatible avec ladite directive.
L’existence de dispositions nationales s’opposant à ce que les titulaires d’un permis de conduire délivré avant l’entrée en vigueur de la directive 91/439 soient, lors du renouvellement dudit permis, obligés de remplir les conditions fixées par ladite directive ne saurait justifier la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 91/439.
En effet, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par une directive.

(cf. points 77-78, 81-82)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
9 septembre 2004(1)


«Manquement d'État – Directive 91/439/CEE – Permis de conduire – Reconnaissance mutuelle – Enregistrement et échange obligatoires – Conditions de renouvellement des permis délivrés antérieurement à la transposition de la directive»

Dans l'affaire C-195/02,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE,introduit le 27 mai 2002

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et W. Wils, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

Royaume d'Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenu par:Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes H. G. Sevenster et S. Terstal, en qualité d'agents,Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes H. G. Sevenster et S. Terstal, en qualité d'agents,et par:



LA COUR (deuxième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.‑P. Puissochet et R. Schintgen (rapporteur), Mmes F. Macken et N. Colneric, juges,

avocat général: M. P. Léger,
greffier: Mme M. Múgica Arzamendi, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 4 décembre 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 4 mars 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en adoptant les articles 22 à 24 et 25, paragraphe 2, du Reglamento de conductores (règlement des conducteurs), adopté par le Real Decreto (décret royal) 772/1997, du 30 mai 1997 (BOE nº 135, du 6 juin 1997, p. 17348), ainsi que la septième disposition transitoire du même règlement, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, sous a), ainsi que de l’annexe I, point 4, de la directive 91/439/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire (JO L 237, p. 1), telle que modifiée par la directive 96/47/CE du Conseil, du 23 juillet 1996 (JO L 235, p. 1, ci-après la «directive 91/439»).


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2
Le premier considérant de la directive 91/439 est libellé comme suit:

«[…] il est souhaitable, aux fins de la politique commune des transports et en vue d’une contribution à l’amélioration de la sécurité de la circulation routière ainsi que pour faciliter la circulation des personnes qui s’établissent dans un État membre autre que celui dans lequel elles ont passé un examen de conduite, qu’il y ait un permis de conduire national de modèle communautaire reconnu mutuellement par les États membres sans obligation d’échange».

3
Selon les neuvième et dixième considérants de la même directive:

«[…] les dispositions prévues à l’article 8 de la directive 80/1263/CEE, et notamment l’obligation d’échange des permis de conduire dans le délai d’un an en cas de changement d’État de résidence normale, constituent un obstacle à la libre circulation des personnes et ne peuvent être admises compte tenu des progrès réalisés dans le cadre de l’intégration européenne;

[…] il convient, pour des raisons de sécurité et de circulation routières, que les États membres puissent appliquer leurs dispositions nationales en matière de retrait, de suspension et d’annulation du permis de conduire à tout titulaire de permis ayant acquis sa résidence normale sur leur territoire».

4
L’article 1er de la directive 91/439 dispose:

«1.     Les États membres établissent le permis de conduire national d’après le modèle communautaire tel que décrit à l’annexe I ou I bis conformément aux dispositions de la présente directive.

2.       Les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus.

3.       Lorsqu’un titulaire de permis de conduire en cours de validité acquiert sa résidence normale dans un État membre autre que celui qui a délivré le permis, l’État membre d’accueil peut appliquer au titulaire du permis ses dispositions nationales en matière de durée de validité du permis, de contrôle médical, de dispositions fiscales et peut inscrire sur le permis les mentions indispensables à sa gestion.»

5
L’article 7, paragraphe 1, sous a), de la même directive prévoit:

«La délivrance du permis de conduire est également subordonnée à:

a)
la réussite d’une épreuve de contrôle des aptitudes et des comportements, d’une épreuve de contrôle des connaissances ainsi qu’à la satisfaction des normes médicales, conformément aux dispositions des annexes II et III».

6
Aux termes de l’article 8 de la directive 91/439:

«1.     Dans le cas où le titulaire d’un permis de conduire en cours de validité délivré par un État membre a établi sa résidence normale dans un autre État membre, il peut demander l’échange de son permis contre un permis équivalent; il appartient à l’État membre qui procède à l’échange de vérifier, le cas échéant, si le permis présenté est effectivement en cours de validité.

2.       Sous réserve du principe de territorialité des lois pénales et de police, l’État membre de résidence normale peut appliquer au titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre ses dispositions nationales concernant la restriction, la suspension, le retrait ou l’annulation du droit de conduire et, si nécessaire, procéder à ces fins à l’échange de ce permis.

3.       L’État membre qui procède à l’échange renvoie l’ancien permis aux autorités de l’État membre qui l’a délivré, en précisant les raisons de cette procédure.

4.       Un État membre peut refuser de reconnaître, à une personne faisant l’objet sur son territoire d’une des mesures visées au paragraphe 2, la validité de tout permis de conduire établi par un autre État membre.

Un État membre peut de même refuser de délivrer un permis de conduire à un candidat qui fait l’objet d’une telle mesure dans un autre État membre.

[…]»

7
Conformément à l’article 9 de la directive 91/439, on entend par «résidence normale» le lieu où une personne demeure habituellement, c’est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d’attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d’une personne sans attaches professionnelles, en raison d’attaches personnelles, révélant l’existence de liens étroits entre elle-même et l’endroit où elle habite.

8
Conformément à l’annexe I, point 2, de la directive 91/439, le permis de conduire est composé de six pages.

9
Aux termes de l’annexe I, point 4, de la même directive:

«Lorsque le titulaire d’un permis de conduire délivré par un État membre a pris sa résidence normale dans un autre État membre, ce dernier peut mentionner:

le(s) changement(s) de résidence à la page 6,

les mentions indispensables à la gestion du permis telles que les infractions graves commises sur son territoire, à la page 5,

sous réserve qu’il inscrive ce type de mentions également sur les permis qu’il délivre et qu’il dispose, à cet effet, de l’emplacement nécessaire.»

10
La directive 96/47, qui est entrée en vigueur le 18 septembre 1996, a notamment ajouté une annexe I bis à la directive 91/439. Cette annexe offre aux États membres la possibilité de délivrer des permis selon un modèle défini, différent de celui prévu à l’annexe I de la directive 91/439. Ce second modèle de permis se présente sous forme de carte en polycarbonate du type de celle utilisée pour les cartes bancaires et de crédit.

11
Conformément au point 2 de ladite annexe I bis, ce modèle de permis est constitué de deux faces, la seconde devant contenir un espace réservé pour l’inscription éventuelle par l’État membre d’accueil, dans le cadre de l’application du point 3, sous a), de cette annexe, des mentions indispensables à la gestion du permis.

12
L’annexe I bis, point 3, sous a), de la directive 91/439 dispose:

«Lorsque le titulaire d’un permis de conduire délivré par un État membre conformément à la présente annexe a pris sa résidence normale dans un autre État membre, ce dernier peut inscrire sur le permis les mentions indispensables à sa gestion, sous réserve qu’il inscrive ce type de mentions également sur les permis qu’il délivre et qu’il dispose, à cet effet, de l’emplacement nécessaire».

La réglementation nationale

13
La directive 91/439 a été transposée en droit espagnol par le règlement des conducteurs. Les articles 21 à 29 de ce règlement portent sur la validité en Espagne des permis de conduire délivrés par les autres États membres.

14
L’article 21 du règlement des conducteurs prévoit que les permis de conduire délivrés par les autres États membres conformément à la réglementation communautaire demeurent valables en Espagne dans les conditions dans lesquelles ils ont été délivrés par l’État membre d’origine, sous réserve que l’âge requis pour la conduite corresponde à celui fixé pour l’obtention d’un permis de conduire espagnol équivalent.

15
L’article 22 du même règlement, qui traite de l’inscription au Registro de Conductores e Infractores (registre des conducteurs et des contrevenants), dispose que, lorsque le titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre établit sa résidence normale en Espagne et qu’il conduit ou souhaite conduire un véhicule, il dispose d’un délai de six mois à compter de la date à laquelle il a obtenu la formalisation ou l’attestation de sa résidence pour faire inscrire les données de son permis dans le registre des conducteurs et des contrevenants. Conformément à cette même disposition, l’administration compétente appose sur le permis toutes les mentions nécessaires à sa gestion et, notamment, le lieu de résidence normale du titulaire dudit permis.

16
L’article 23 du règlement des conducteurs dispose:

«1.    À compter de la date d’introduction des données du permis dans le registre, son titulaire est soumis à l’examen de ses aptitudes psychophysiques aux mêmes intervalles que ceux prévus par l’article 16 du présent règlement pour les permis délivrés en Espagne.

2.       Les résultats des examens visés au paragraphe précédent doivent être communiqués à la Jefatura Provincial de Tráfico [administration provinciale chargée de la circulation], qui en prend note et avise l’intéressé de la date limite à laquelle il devra se soumettre à l’examen suivant et en faire connaître les résultats, date qui figurera sur son permis.»

17
Aux termes de l’article 24 dudit règlement, «ne donnent pas le droit de conduire un véhicule en Espagne:

a)       les permis dont le titulaire a enfreint l’obligation de faire enregistrer ses données dans une Jefatura Provincial de Tráfico, conformément aux dispositions de l’article 22 du présent règlement, jusqu’à ce qu’il le fasse;

b)       les permis dont le titulaire ne s’est pas soumis à l’examen de ses aptitudes psychophysiques dans le délai indiqué par la Jefatura Provincial de Tráfico correspondante, jusqu’à ce qu’il le fasse. Si un délai de plus de quatre ans s’est écoulé depuis la date où il devait passer le dernier examen, le permis ne sera plus valable pour la conduite en Espagne, ce qui sera mentionné à la fois sur le permis et dans le registre;

c)       les permis dont le titulaire ne réussit pas l’examen susmentionné, cette mention figurant également sur le permis et dans le registre;

d)       les permis dont la période de validité a expiré.»

18
Conformément à l’article 25, paragraphe 2, du règlement des conducteurs, «la Jefatura Provincial de Tráfico procède d’office au remplacement d’un permis lorsque, en raison des caractéristiques de ce dernier, de l’utilisation de tous les emplacements ou pour d’autres raisons, il est impossible de mentionner les données nécessaires à sa gestion conformément aux dispositions de l’article 23 du présent règlement.»

19
Aux termes de la septième disposition transitoire du même règlement, intitulée «aptitudes psychophysiques»:

«Dans le délai de quatre ans visé à l’article 17, paragraphe 3, du présent règlement, à compter de son entrée en vigueur, les titulaires de permis de conduire qui n’ont pu les faire réviser parce qu’ils ne disposaient pas des aptitudes psychophysiques prévues aux annexes I et II du Real Decreto 2272/1985, du 14 décembre 1985, peuvent le faire pour autant qu’ils le demandent, qu’ils fassent la preuve des aptitudes psychophysiques visées à l’annexe IV du présent règlement et que ne se soit pas écoulé un délai supérieur au double de la durée de validité du permis périmé à compter de sa délivrance ou de sa dernière révision.

Les titulaires d’un permis de conduire obtenu avant l’entrée en vigueur du présent règlement qui, lors de la demande de prorogation de la durée de validité, ne disposent pas des aptitudes psychophysiques visées à l’annexe IV dudit règlement, peuvent obtenir la prorogation pour autant qu’ils la demandent et qu’ils fassent la preuve des aptitudes visées aux annexes I et II du Real Decreto 2272/1985, du 4 décembre 1985.»


La procédure précontentieuse

20
Après un échange de courriers entre le gouvernement espagnol et la Commission, cette dernière, estimant que le royaume d’Espagne avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 91/439, a, par lettre du 27 octobre 1999, mis celui-ci en demeure de présenter ses observations dans un délai de deux mois.

21
N’étant pas convaincue par les explications fournies par le gouvernement espagnol, la Commission a, le 26 juillet 2001, émis un avis motivé invitant ledit État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

22
Le gouvernement espagnol ayant informé la Commission qu’il maintenait son point de vue, cette dernière a décidé d’introduire le présent recours.

23
Par ordonnances du président de la Cour du 10 octobre 2002, le royaume des Pays-Bas ainsi que le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du royaume d’Espagne. Toutefois, seul le gouvernement du Royaume-Uni a déposé un mémoire en intervention.


Sur la recevabilité de l’intervention du Royaume-Uni

Arguments des parties

24
La Commission soulève l’irrecevabilité des conclusions de la requête en intervention du Royaume-Uni au motif que cet État n’intervient que partiellement au soutien du royaume d’Espagne, ses conclusions ne portant que sur le premier des trois griefs invoqués par la Commission et ne s’inscrivant pas clairement dans la logique de défense adoptée par le royaume d’Espagne.

25
Le gouvernement du Royaume-Uni rétorque que l’exception soulevée par la Commission n’est pas recevable. La position de la Commission découlerait d’une analyse erronée de la jurisprudence et d’une lecture superficielle des conclusions de sa requête en intervention.

Appréciation de la Cour

26
Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice, «[l]es conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties».

27
Or, s’il est vrai, ainsi que la Commission l’a relevé, que l’intervention du Royaume-Uni s’appuie sur des arguments en partie différents de ceux avancés par le gouvernement espagnol, il n’en demeure pas moins que l’argumentation du gouvernement du Royaume-Uni vise à démontrer, à l’instar de celle du gouvernement espagnol, que le recours de la Commission doit être rejeté.

28
Partant, force est de constater que l’objet des conclusions de la requête en intervention du Royaume-Uni est de soutenir les conclusions du royaume d’Espagne.

29
Il y a lieu d’ajouter que, contrairement à ce qu’a fait valoir la Commission à l’audience, il ne résulte pas de l’arrêt du 17 mars 1993, Commission/Conseil (C‑155/91, Rec. p. I-939), que la circonstance que la requête en intervention du Royaume-Uni porte uniquement sur l’un des trois griefs invoqués à l’appui du recours est de nature à rendre cette intervention irrecevable.

30
En effet, il ressort de l’arrêt Commission/Conseil, précité, que les conclusions de la requête en intervention en cause dans cette affaire visaient l’annulation d’un article particulier d’une directive pour des motifs tout à fait étrangers à ceux invoqués par la requérante pour obtenir l’annulation de l’ensemble de la directive, ce qui a amené la Cour à juger que les conclusions de l’intervenant ne pouvaient pas être regardées comme ayant le même objet que celles au soutien desquelles elles avaient été introduites.

31
Or, en l’espèce, les conclusions de la requête en intervention introduite par le Royaume-Uni ont, ainsi qu’il ressort du point 28 du présent arrêt, précisément pour objet le soutien des conclusions de la défenderesse.

32
Dès lors, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission à l’encontre de la requête en intervention du Royaume-Uni doit être rejetée.


Sur le recours

33
À l’appui de son recours, la Commission invoque trois griefs qui portent, premièrement, sur la procédure d’enregistrement des permis de conduire délivrés par d’autres États membres, deuxièmement, sur l’échange obligatoire de certains de ces permis contre un permis de conduire espagnol et, troisièmement, sur les conditions de renouvellement ou de prorogation des permis de conduire délivrés antérieurement à la transposition de la directive 91/439 en droit espagnol.

Sur la recevabilité du troisième grief

34
Le gouvernement espagnol conteste la recevabilité du troisième grief, au motif qu’il n’aurait été exposé ni dans la lettre de mise en demeure ni dans l’avis motivé.

35
La Commission n’a pas formellement conclu sur cette exception d’irrecevabilité.

36
À cet égard, il convient de rappeler que la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre, puis l’avis motivé émis par la Commission délimitent l’objet du litige, lequel ne peut plus, dès lors, être étendu. En effet, la possibilité pour l’État concerné de présenter ses observations constitue, même s’il estime ne pas devoir en faire usage, une garantie essentielle voulue par le traité CE et son observation est une forme substantielle de la régularité de la procédure constatant un manquement d’un État membre. Par conséquent, l’avis motivé et le recours de la Commission doivent reposer sur les mêmes griefs que ceux de la lettre de mise en demeure qui engage la procédure précontentieuse (voir, notamment, arrêts du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C-191/95, Rec. p. I-5449, point 55, et du 22 avril 1999, Commission/Royaume-Uni, C‑340/96, Rec. p. I-2023, point 36).

37
Or, en l’espèce, il ressort de la lettre de mise en demeure et de l’avis motivé que, au cours de la procédure précontentieuse, la Commission a clairement fait valoir le grief dont le gouvernement espagnol conteste la recevabilité. Cette constatation est d’ailleurs corroborée par la circonstance que, dans sa réponse à la lettre de mise en demeure, le gouvernement espagnol a donné des explications sur les raisons qui l’ont amené à adopter les dispositions visées par le grief en question.

38
Dès lors, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement espagnol à l’encontre du troisième grief doit être rejetée.

Sur le fond

Sur le premier grief

– Arguments des parties

39
Par son premier grief, la Commission reproche au royaume d’Espagne d’avoir violé le principe de reconnaissance mutuelle des permis de conduire figurant à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439 en prévoyant, aux articles 22 à 24 du règlement des conducteurs, l’enregistrement obligatoire et systématique des permis de conduire délivrés par les autres États membres lorsque les titulaires desdits permis ont établi leur résidence normale en Espagne.

40
La Commission relève que l’enregistrement des permis de conduire est obligatoire dans les six mois à compter de la formalisation ou de l’attestation de l’établissement en Espagne de la résidence normale du titulaire dudit permis. À défaut d’un tel enregistrement, le permis de conduire ne serait plus valable sur le territoire espagnol, la conduite d’un véhicule avec un tel permis étant considérée comme une conduite sans autorisation administrative et pouvant entraîner des sanctions administratives ainsi que des conséquences juridiques civiles, pénales et administratives.

41
Or, d’une part, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que le principe de reconnaissance mutuelle des permis de conduire doit s’appliquer «sans aucune formalité» (arrêts du 29 février 1996, Skanavi et Chryssanthakopoulos, C-193/94, Rec. p. I-929, point 26, et du 29 octobre 1998, Awoyemi, C-230/97, Rec. p. I‑6781, point 41). Dès lors que, en l’espèce, l’enregistrement d’un permis de conduire délivré par un autre État membre conditionne la reconnaissance mutuelle, cet enregistrement constituerait un obstacle à la libre circulation des personnes. Le fait que les ressortissants espagnols sont également obligés de faire enregistrer leur permis ne serait pas pertinent à cet égard.

42
D’autre part, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement espagnol, l’enregistrement ne serait pas indispensable pour faire usage de la faculté que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 91/439 offre aux États membres. Dans son arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C-390/99, Rec. p. I-607), la Cour aurait d’ailleurs jugé qu’un système d’inscription obligatoire ayant pour objet d’assurer le respect d’obligations ou de facultés reconnues par une directive n’est compatible avec le droit communautaire que pour autant qu’il respecte les libertés fondamentales garanties par le traité.

43
Selon la Commission, l’enregistrement obligatoire et systématique des permis de conduire délivrés par les autres États membres ainsi que l’imposition de sanctions particulièrement graves en cas de violation de cette obligation sont manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif susceptible d’être poursuivi par le royaume d’Espagne en application de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 91/439. En effet, cet objectif pourrait être atteint, par exemple, en procédant à des contrôles routiers et en informant les titulaires de permis de conduire délivrés par les autres États membres des obligations qui leur incombent en vertu de la législation espagnole en matière de durée de validité des permis de conduire et de contrôle médical.

44
La Commission ajoute que la procédure d’enregistrement en cause en l’espèce n’est pas non plus susceptible d’être justifiée au regard de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/439, dès lors que l’efficacité d’un système prenant en compte la récidive pourrait être assurée par un enregistrement des données du permis lors de la constatation de la première infraction.

45
Le gouvernement espagnol fait valoir, d’abord, que la procédure d’enregistrement en cause en l’espèce n’est pas contraire au principe de la reconnaissance mutuelle des permis de conduire prévu à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439. Certes, les permis de conduire délivrés par les autres États membres devraient être enregistrés, mais leurs titulaires ne devraient pas se soumettre à des épreuves supplémentaires. La validité desdits permis serait donc reconnue. En outre, les titulaires d’un permis délivré par un autre État membre ne seraient pas contraints d’échanger leur permis contre un permis de conduire espagnol. Or, dès lors que le système en cause en l’espèce ne prévoit pas un tel échange obligatoire, les principes dégagés par la Cour dans ses arrêts précités Skanavi et Chryssanthakopoulos ainsi que Awoyemi ne seraient pas transposables.

46
Le gouvernement espagnol soutient, ensuite, que l’enregistrement obligatoire des permis de conduire délivrés par les autres États membres est l’unique moyen pour se conformer aux obligations qui lui incombent en application des articles 1er, paragraphe 3, et 8, paragraphe 2, de la directive 91/439.

47
Il précise à cet égard que, dès lors que l’enregistrement litigieux permet aux autorités compétentes de connaître tous les conducteurs établis sur le territoire espagnol, il constitue une mesure indispensable, d’une part, pour assurer l’application des dispositions nationales relatives au contrôle médical, à la durée de validité des permis de conduire et à la fiscalité et, d’autre part, pour contrôler les sanctions infligées aux conducteurs. Dans ces conditions, il n’y aurait donc ni atteinte à la libre circulation des personnes ni entraves autres que celles prévues par ladite directive. En tout état de cause, à supposer que l’enregistrement litigieux constitue une entrave à la libre circulation des personnes, cette entrave serait proportionnée à l’objectif poursuivi par la directive. De surcroît, il y aurait lieu de considérer, par analogie avec ce que la Cour a jugé dans son arrêt du 21 mars 2002, Cura Anlagen (C-451/99, Rec. p. I-3193), que l’enregistrement en cause est nécessaire et apparaît comme le corollaire naturel de l’exercice des compétences que la directive 91/439 confère aux États membres.

48
Le gouvernement espagnol observe, enfin, que l’enregistrement obligatoire des permis de conduire délivrés par les autres États membres poursuit également un objectif d’égalité de traitement en ce qui concerne le contrôle des aptitudes nécessaires à la conduite d’un véhicule à moteur. Cet objectif ne pourrait pas être atteint par les contrôles sur la voie publique, puisque ces contrôles auraient un caractère aléatoire. En effet, afin d’être efficaces, ils devraient être continus, ce qui serait, d’une part, impossible et, d’autre part, attentatoire à la libre circulation des personnes.

49
Le gouvernement du Royaume-Uni observe, d’abord, que, dès lors que la Commission reconnaît l’admissibilité d’un système d’enregistrement, elle doit également accepter que la violation de l’obligation d’enregistrement soit sanctionnée. Toutefois, il faudrait que cette sanction soit conforme au principe de proportionnalité.

50
Ce gouvernement fait valoir, ensuite, que, en l’absence de tout autre moyen permettant d’obtenir des informations pertinentes relatives aux données de titulaires de permis de conduire s’étant établis sur son territoire, un État membre peut, afin de faire usage des facultés qui lui sont offertes par la directive 91/439, demander auxdits titulaires de faire inscrire leur permis sur un registre. Un tel enregistrement serait d’ailleurs conforme aux principes dégagés par les arrêts du 28 novembre 1978, Choquet (16/78, Rec. p. 2293), ainsi que Skanavi et Chryssanthakopoulos, précité.

51
Le gouvernement du Royaume-Uni soutient, enfin, qu’un système reposant sur une communication d’informations relatives au droit de conduire avec un permis délivré par un autre État membre et sur des contrôles routiers ne suffit pas à assurer le respect des dispositions nationales pouvant être appliquées aux titulaires desdits permis.

52
En effet, d’une part, informer un titulaire d’un permis de conduire des obligations qui lui incombent n’équivaudrait pas à le contraindre, par le biais d’un enregistrement, à respecter celles-ci. Tous les États membres qui ne disposent pas d’un système de transfert officiel de résidence ou d’un autre système d’identification des données seraient d’ailleurs dans l’impossibilité d’assurer une telle information. D’autre part, dès lors que les contrôles sur la voie publique, dont l’efficacité ne saurait être accrue sans aboutir à une restriction de la libre circulation, ne seraient ni systématiques ni efficaces et n’auraient lieu qu’en cas d’infraction, ils violeraient le principe d’égalité de traitement.

– Appréciation de la Cour

53
En ce qui concerne, en premier lieu, le caractère obligatoire de l’enregistrement prévu par la réglementation espagnole, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439 pose le principe de la reconnaissance mutuelle des permis de conduire délivrés par d’autres États membres et que cette reconnaissance doit être assurée sans aucune formalité (voir, notamment, arrêt du 10 juillet 2003, Commission/Pays-Bas, C-246/00, Rec. p. I‑7485, point 60).

54
Il convient d’ajouter que l’obligation de reconnaissance mutuelle des permis de conduire est une obligation claire et inconditionnelle et que les États membres ne disposent d’aucune marge d’appréciation quant aux modalités à adopter pour s’y conformer (voir arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 61).

55
Or, ainsi que la Cour l’a jugé au point 62 de son arrêt Commission/Pays-Bas, précité, dès lors que l’enregistrement d’un permis de conduire délivré par un autre État membre devient une obligation, du fait que le titulaire dudit permis est passible d’une sanction lorsque, après s’être établi dans l’État membre d’accueil, il conduit un véhicule sans avoir fait enregistrer son permis de conduire, cet enregistrement doit être considéré comme constituant une formalité au sens de la jurisprudence de la Cour et est, dès lors, contraire à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439.

56
En l’espèce, ainsi que le gouvernement espagnol l’a admis lors de l’audience, le titulaire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre qui a sa résidence normale depuis plus de six mois en Espagne et qui conduit un véhicule sans avoir fait enregistrer ledit permis dans ce dernier État membre est considéré comme commettant une infraction passible d’une amende. Dès lors, il y a lieu de constater que l’enregistrement visé par le recours de la Commission constitue une formalité contraire au principe de reconnaissance mutuelle prévu à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/439.

57
S’agissant des justifications avancées par le gouvernement espagnol, il convient de relever, d’abord, que, contrairement à ce que ce gouvernement a soutenu, les articles 1er, paragraphe 3, et 8, paragraphe 2, de la directive 91/439 ne prévoient pas d’obligation à la charge des États membres, mais leur reconnaissent des facultés.

58
Il y a lieu de constater, ensuite, que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé aux points 68 et 69 de l’arrêt Commission/Pays-Bas, précité, l’enregistrement obligatoire des permis de conduire délivrés par les autres États membres n’est pas indispensable pour assurer l’application des dispositions nationales relatives au contrôle médical, à la durée de validité et à la fiscalité, un système basé sur des contrôles routiers et sur l’information des titulaires des permis permettant également d’atteindre cet objectif.

59
En effet, d'une part, le fait qu'un permis de conduire délivré par un autre État membre ne soit pas enregistré dans l'État membre d'accueil ne s'oppose pas à ce que, à l'occasion de contrôles routiers, les autorités compétentes de ce dernier État puissent correctement appliquer les dispositions nationales en matière de durée de validité des permis de conduire en ajoutant la durée prévue par ces dispositions à la date de délivrance mentionnée sur ledit permis (voir, en ce sens, arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 68, et ordonnance du 29 janvier 2004, Krüger, C-253/01, non encore publiée au Recueil, point 27).

60
D'autre part, il appartient au titulaire d'un permis de conduire délivré par un État membre qui acquiert sa résidence normale sur le territoire d'un autre État membre, qui a fait usage de la faculté prévue à l'article 1er, paragraphe 3, de la directive 91/439, de rapporter la preuve qu'il a respecté les dispositions de l'État membre d'accueil relatives au contrôle médical et au renouvellement du permis de conduire. Il suffirait donc d'informer les titulaires de permis de conduire délivrés par d'autres États membres des obligations qui leur incombent en vertu de la législation de l'État membre d'accueil lorsqu'ils font les démarches nécessaires pour s'y établir et d'appliquer les sanctions prévues en cas de non-respect des dispositions en cause (voir, en ce sens, arrêt Commission/Pays-Bas, précité, point 69, et ordonnance Krüger, précitée, points 28 et 34).

61
Toutefois, il y a lieu de préciser que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que l'État membre d'accueil propose au titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre État membre un enregistrement facultatif dudit permis avec, par exemple, la conséquence pour ledit titulaire d’être convoqué au contrôle médical et de voir ainsi diminuer le risque de commettre une infraction involontaire à la législation de l’État membre d'accueil.

62
Il convient d’ajouter que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 52 de ses conclusions, l’enregistrement obligatoire et systématique dans l’État membre d’accueil des permis délivrés par les autres États membres n’est pas non plus indispensable pour mettre les autorités de l’État membre d’accueil en mesure d’appliquer leurs dispositions nationales en matière de restriction, de suspension, de retrait ou d’annulation du droit de conduire et, si nécessaire, de procéder à ces fins à l’échange du permis de conduire.

63
En effet, lors de la première infraction sur le territoire de l’État membre d’accueil pouvant donner lieu à l’application de ces dispositions, les autorités compétentes de cet État peuvent procéder à l’enregistrement des données du permis de conduire du conducteur ayant commis l’infraction en cause. Ainsi, lors d’infractions ultérieures du même conducteur, elles disposent des informations nécessaires pour éventuellement procéder directement au retrait du permis ou à toute autre mesure prévue par les dispositions nationales visée à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 91/439. Rien n’empêche également que, afin de pouvoir tenir compte, lors de l’application de ces dispositions, des infractions commises dans l’État membre ayant délivré le permis de conduire, les autorités de l’État membre d’accueil demandent, dans le cadre de l’assistance mutuelle et de l’échange d’informations institués par l’article 12, paragraphe 3, de ladite directive, des renseignements aux autorités de l’État membre qui a délivré ledit permis.

64
Il importe de relever, enfin, que les contrôles routiers préconisés par la Commission peuvent être effectués sans qu’il soit porté atteinte à la libre circulation des personnes ou au principe de l’égalité de traitement. En effet, d’une part, contrairement à ce que semblent suggérer les gouvernements espagnol et du Royaume-Uni, le fait que, lors d’un contrôle routier, le conducteur d’un véhicule soit, pendant la durée de ce contrôle, momentanément immobilisé ne saurait être regardé comme constituant, en principe, une restriction à la libre circulation des personnes contraire au traité. D’autre part, le fait que les contrôles routiers soient ponctuels n'implique nullement que le principe d'égalité de traitement soit violé.

65
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le premier grief de la Commission est fondé.

Sur le deuxième grief

– Arguments des parties

66
Par son deuxième grief, la Commission reproche au royaume d’Espagne d’avoir violé les dispositions de l’annexe I, point 4, de la directive 91/439 en prévoyant, à l’article 25, paragraphe 2, du règlement des conducteurs, l’échange obligatoire d’un permis de conduire délivré par un autre État membre contre un permis de conduire espagnol dès lors qu’il n’y a plus d’espace pour y inscrire les données indispensables à sa gestion.

67
Selon la Commission, la possibilité d’inscrire sur un permis de conduire de nouvelles données est strictement limitée par la directive 91/439, qui l’encadre par une condition de non-discrimination et la subordonne à l’existence, sur ledit permis, de l’espace nécessaire à cet effet. Or, ni l’article 8, qui régit l’échange des permis, ni une autre disposition de ladite directive n’auraient prévu l’obligation de procéder à l’échange d’un permis au cas où ledit espace nécessaire viendrait à manquer. La directive 91/439 régissant de manière exhaustive l’échange des permis de conduire, force serait de conclure qu’elle s’oppose à une obligation d’échange telle que celle en cause en l’espèce.

68
Selon le gouvernement espagnol, dès lors que la directive 91/439 confère aux États membres le droit d’apposer certaines données sur les permis de conduire délivrés par les autres États membres, il ne saurait être valablement soutenu que cette faculté disparaît du fait que l’espace prévu sur les permis pour ces données vient à manquer. L’échange obligatoire serait dès lors indispensable pour permettre aux autorités nationales d’exercer leur droit d’inscrire ces données sur lesdits permis. En effet, ce droit ne saurait être limité par des questions d’ordre pratique telles que le format du permis en cause ou le comportement de son titulaire. À défaut d’échange obligatoire, l’exercice de la faculté offerte par l’annexe I, point 4, de la directive 91/439 aboutirait à une violation du principe d’égalité de traitement, les conducteurs étant traités différemment selon que leur permis de conduire permet l’inscription de données supplémentaires ou non. En tout état de cause, l’échange d’un tel permis contre un nouveau permis espagnol ne causerait aucun tort à son titulaire.

– Appréciation de la Cour

69
Il convient de rappeler que la faculté, que l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 91/439 reconnaît à l’État membre d’accueil, d’inscrire sur un permis de conduire délivré par un autre État membre les mentions indispensables à sa gestion est, ainsi qu’il ressort de l’annexe I, point 4 de la directive 91/439, expressément soumise à la condition que l’État membre d’accueil dispose de l’emplacement nécessaire à cet effet sur ledit permis.

70
Or, procéder à l’échange d’un permis de conduire délivré par un autre État membre lorsque la place prévue sur ledit permis pour mettre des observations indispensables à sa gestion vient à manquer n’est pas compatible avec la directive 91/439 puisqu’il ne relève pas de la liste exhaustive des cas d’échange autorisés figurant à l’article 8 de ladite directive.

71
Eu égard à cette constatation et au fait qu’il ressort de la jurisprudence que les articles 1er, paragraphe 2, et 8, paragraphe 1, de la directive 91/439, lus en combinaison avec le neuvième considérant de cette même directive, interdisent aux États membres, notamment, d’exiger l’échange des permis de conduire délivrés par un autre État membre (voir, notamment, ordonnance Krüger, précitée, point 30), un échange tel que celui prévu à l’article 25, paragraphe 2, du règlement des conducteurs doit être considéré comme étant incompatible avec la directive 91/439 et plus particulièrement avec l’annexe I, point 4, de celle-ci.

72
Il s’ensuit que le deuxième grief de la Commission est également fondé.

Sur le troisième grief

– Arguments des parties

73
Par son troisième grief, la Commission reproche au royaume d’Espagne d’avoir violé l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 91/439 en ayant prévu, à la septième disposition transitoire du règlement des conducteurs, que les titulaires d’un permis de conduire délivré conformément à la législation antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 91/439 ont le droit d’obtenir le renouvellement de ce permis sous réserve de remplir des conditions minimales prévues par cette législation.

74
La septième disposition transitoire du règlement des conducteurs reconnaîtrait ainsi auxdits titulaires un droit acquis non prévu par la directive 91/439, cette dernière disposant, à son article 7, paragraphe 1, sous a), et à son annexe III, que les exigences relatives aux aptitudes physiques et mentales qu’elle fixe doivent être remplies lors de chaque renouvellement d’un permis de conduire.

75
La Commission ajoute que, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement espagnol, d’une part, le fait que la directive 91/439 ne reconnaît pas de droits acquis n’est pas un oubli et, d’autre part, ladite directive ne contrevient pas au principe de non-rétroactivité des lois dès lors qu’elle ne s’applique qu’aux effets futurs des permis de conduire. En tout état de cause, le gouvernement espagnol ne saurait, dans le cadre d’un recours en manquement, se prévaloir de l’illégalité de la directive dont la Commission lui reproche la violation.

76
Le gouvernement espagnol indique que la septième disposition transitoire du règlement des conducteurs prévoit l’application rétroactive de la réglementation actuellement en vigueur lorsque celle-ci est plus favorable que la réglementation antérieure et, dans le cas contraire, le maintien des conditions antérieures pour les permis de conduire obtenus conformément à la réglementation antérieure. Or, cette mesure, qui aurait un champ d’application limité, serait indispensable pour ne pas contrevenir au principe du respect des droits acquis ainsi qu’au principe de la non-rétroactivité des lois prévoyant des sanctions moins favorables ou limitant des droits individuels. Par ailleurs, le gouvernement espagnol fait valoir que, selon son droit interne, une disposition réglementaire qui ne reconnaît pas les droits acquis en vertu d’une règle ayant rang de loi est entachée d’illégalité, de sorte qu’il serait exclu que le règlement des conducteurs refuse la prorogation de son permis au titulaire qui satisfait aux conditions médicales prévues par la réglementation nationale antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 91/439.

– Appréciation de la Cour

77
Il convient de constater qu’il ressort de la lecture combinée de l’article 7, paragraphe 1, sous a), et de l’annexe III de la directive 91/439, à laquelle cette disposition renvoie, que les normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule à moteur prévues par ladite directive s’appliquent à tout candidat à la délivrance ou au renouvellement d’un permis de conduire.

78
Or, dès lors que la directive 91/439 ne distingue pas entre le renouvellement des permis de conduire délivrés après son entrée en vigueur et celui des permis de conduire délivrés avant cette date, il y a lieu de conclure qu’une telle distinction est incompatible avec ladite directive.

79
Cette conclusion est corroborée par la constatation que l’interprétation préconisée par le royaume d’Espagne compromettrait gravement l’objectif poursuivi par l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 91/439, à savoir l’amélioration de la sécurité routière, en permettant à un grand nombre de titulaires d’un permis de conduire de pouvoir continuer à se prévaloir d’un titre délivré conformément à une réglementation ne respectant pas les normes médicales minimales fixées par la directive 91/439.

80
Dans la mesure où il est constant, en l’espèce, que la septième disposition transitoire du règlement des conducteurs permet précisément aux titulaires d’un permis de conduire délivré antérieurement à l’entrée en vigueur de la directive 91/439 d’obtenir le renouvellement dudit permis sans être obligés de remplir les normes minimales d’aptitude physique et mentale prévues par ladite directive, il y a lieu de conclure que cette disposition est contraire à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 91/439.

81
Il convient d’ajouter que cette violation ne saurait être justifiée par l’existence de dispositions nationales qui s’opposent à ce que les titulaires d’un permis de conduire délivré avant l’entrée en vigueur de la directive 91/439 soient, lors du renouvellement dudit permis, obligés de remplir les conditions fixées par ladite directive.

82
En effet, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par une directive (voir, notamment, arrêt du 27 novembre 2003, Commission/France, C-66/03, non encore publié au Recueil, point 12).

83
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le troisième grief de la Commission est également fondé.

84
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en adoptant les articles 22 à 24 et 25, paragraphe 2, du règlement des conducteurs, ainsi que la septième disposition transitoire du même règlement, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, sous a), ainsi que de l’annexe I, point 4, de la directive 91/439.


Sur les dépens

85
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du royaume d’Espagne et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens. Le royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni, qui sont intervenus au soutien des conclusions présentées par le royaume d’Espagne, supportent, conformément à l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)
En adoptant les articles 22 à 24 et 25, paragraphe 2, du Reglamento de conductores (règlement des conducteurs), du 30 mai 1997, ainsi que la septième disposition transitoire du même règlement, le royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er, paragraphe 2, et 7, paragraphe 1, sous a), ainsi que de l’annexe I, point 4, de la directive 91/439/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au permis de conduire, telle que modifiée par la directive 96/47/CE du Conseil, du 23 juillet 1996.

2)
Le royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

3)
Le royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supportent leurs propres dépens.

Signatures.


1
Langue de procédure: l'espagnol.