CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 20 septembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑393/18 PPU

UD

contre

XB

(demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice [England & Wales], Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume‑Uni])

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence en matière de responsabilité parentale – Règlement (CE) no 2201/2003 – Article 8, paragraphe 1 – Notion de “résidence habituelle de l’enfant” – Naissance et séjour continu d’un nourrisson dans un État tiers contre la volonté de la mère – Défaut de présence physique du nourrisson dans un État membre – Situation résultant de la contrainte exercée par le père et d’une violation potentielle des droits fondamentaux de la mère et du nourrisson – Absence de règle selon laquelle un enfant ne peut pas avoir sa résidence habituelle dans un État membre où il n’a jamais été physiquement présent »

I. Introduction

1.

Par sa demande de décision préjudicielle, la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume‑Uni] interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ( 2 ) (ci‑après le « règlement Bruxelles II bis »).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la mère, de nationalité bangladaise, au père, de nationalité britannique, d’une enfant âgée d’environ un an au moment de la saisine de cette juridiction. Cette enfant a été conçue, est née et a séjourné de façon continue au Bangladesh. Selon les allégations de la mère, le père la retient contre son gré dans cet État tiers où elle ne s’était rendue, après avoir séjourné environ six mois au Royaume‑Uni avec le père, que dans l’intention d’y effectuer une visite temporaire. Cette dernière aurait, en raison de la contrainte exercée par le père, été forcée d’accoucher au Bangladesh et d’y rester avec l’enfant. La mère demande à la juridiction de renvoi d’ordonner, d’une part, le placement de l’enfant sous la protection de cette juridiction et, d’autre part, le retour d’elle‑même et de l’enfant en Angleterre et au pays de Galles aux fins de pouvoir participer à la procédure judiciaire.

3.

En vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis, la juridiction de renvoi n’est compétente pour statuer sur cette demande que si l’enfant disposait de sa résidence habituelle au Royaume‑Uni à la date de la saisine de cette juridiction. Ladite juridiction cherche à savoir si la circonstance selon laquelle l’enfant n’a jamais été physiquement présente dans cet État membre empêche nécessairement qu’elle y réside habituellement. Elle interroge également la Cour sur l’incidence que revêt, dans ce contexte, le fait que cette absence du territoire du Royaume‑Uni résulte de la contrainte exercée par le père sur la mère en méconnaissance potentielle des droits fondamentaux de la mère et de l’enfant.

4.

Au terme de mon analyse, je conclurai que le fait qu’un enfant ne se soit jamais trouvé dans un État membre n’empêche pas nécessairement qu’il y ait sa résidence habituelle. Je préciserai également les éléments, parmi lesquels figure la raison de l’absence de la mère et de l’enfant du territoire de cet État membre, à prendre en compte aux fins de déterminer la résidence habituelle de l’enfant dans une situation telle que celle en cause au principal.

II. Le cadre juridique

5.

Le considérant 12 du règlement Bruxelles II bis est libellé comme suit :

« Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes [...] »

6.

L’article 8 de ce règlement, intitulé « Compétence générale », dispose, à son paragraphe 1, que « [l]es juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie ».

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

7.

La requérante au principal (UD), de nationalité bangladaise, a contracté un mariage arrangé en 2013 au Bangladesh avec le défendeur au principal (XB), de nationalité britannique. La requérante et le défendeur au principal sont, respectivement, mère et père d’une petite fille conçue au Bangladesh en mai 2016.

8.

Au mois de juin ou de juillet 2016, UD s’est rendue au Royaume‑Uni pour y vivre avec XB. Elle a bénéficié d’un visa de conjoint délivré par le United Kingdom Home Office (ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni), valable du 1er juillet 2016 au 1er avril 2019.

9.

UD reproche à XB et à la famille de ce dernier de s’être livrés à des actes de violence domestique, de nature tant physique que psychologique. Elle allègue également avoir subi deux viols perpétrés par XB. Ce dernier conteste ces accusations.

10.

Le 24 décembre 2016, alors qu’UD se trouvait dans un état de grossesse avancée, elle a voyagé avec XB vers le Bangladesh, où l’enfant est née le 2 février 2017. UD et l’enfant y sont demeurées depuis lors. Au début du mois de janvier 2018, XB est retourné en Angleterre et au pays de Galles.

11.

Les parties au principal avancent deux versions divergentes des circonstances entourant leur voyage au Bangladesh et des événements qui se sont déroulés ultérieurement.

12.

UD soutient qu’elle est retenue contre son gré au Bangladesh avec l’enfant par XB de manière illégale. Elle aurait été contrainte d’y accoucher et d’y rester en violation de ses droits fondamentaux et de ceux de l’enfant au titre des articles 3 et 5 de la de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »). Selon les allégations d’UD, XB l’a laissée dans le village familial du père de cette dernière en indiquant qu’il reviendrait la chercher une semaine plus tard. Il ne serait cependant jamais revenu et lui aurait confisqué son passeport ainsi que d’autres documents afin qu’elle ne puisse pas quitter le Bangladesh. UD affirme qu’elle ne s’y serait jamais rendue si elle avait connu les véritables intentions de XB. UD fait valoir qu’elle ne dispose, dans le village en question, pas de gaz, d’électricité ou d’eau potable ni du moindre revenu. La communauté de ce village la stigmatiserait du fait qu’elle est séparée de XB.

13.

XB conteste l’ensemble de ces allégations. Aux dires de ce dernier, c’est à la demande d’UD qu’ils se sont rendus au Bangladesh, celle‑ci étant malheureuse au Royaume‑Uni. C’est également conformément aux souhaits d’UD que XB serait rentré seul dans cet État membre.

14.

Le 20 mars 2018, UD a introduit un recours devant la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille]. Elle demande à cette juridiction d’ordonner, premièrement, que l’enfant soit placée sous la protection de ladite juridiction et, deuxièmement, que la mère et l’enfant retournent en Angleterre et au pays de Galles afin de pouvoir participer à la procédure de recours.

15.

Au cours d’une audience s’étant déroulée le même jour, UD a soutenu que la juridiction de renvoi est compétente pour statuer sur ce recours. Elle allègue, à titre principal, que l’enfant résidait de manière habituelle en Angleterre et au pays de Galles à la date de saisine de la juridiction de renvoi. À titre subsidiaire, UD fait valoir que cette juridiction dispose, en vertu du droit national, de la compétence parens patriae (c’est‑à‑dire de la compétence sur le fondement de la nationalité ou de la citoyenneté britannique) vis‑à‑vis de l’enfant et devrait exercer cette compétence en l’espèce.

16.

Lors d’une audience s’étant tenue le 16 avril 2018, XB a contesté la compétence de la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille]. Selon XB, l’enfant résidait habituellement au Bangladesh à la date d’introduction du recours au principal. Par ailleurs, cette juridiction ne disposerait pas de la compétence parens patriae à l’égard de l’enfant dès lors que cette dernière n’est pas citoyenne britannique. En tout état de cause, quand bien même ladite juridiction serait investie d’une telle compétence, elle devrait s’abstenir de l’exercer en l’espèce.

17.

Dans sa décision de renvoi, la même juridiction relève qu’elle n’a procédé à aucune constatation des faits, dès lors qu’elle estime nécessaire de se prononcer, à titre liminaire, sur sa compétence. La juridiction de renvoi considère qu’il convient de déterminer si l’enfant résidait habituellement au Royaume‑Uni au moment où elle a été saisie, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis, avant tout examen éventuel d’un autre chef de compétence.

18.

À cet égard, un renvoi préjudiciel lui est apparu nécessaire aux fins d’élucider si la résidence habituelle d’un enfant peut être établie dans un État membre où il ne s’est jamais trouvé physiquement. La juridiction de renvoi cherche, en particulier, à savoir si tel peut être le cas lorsque la mère allègue que l’enfant est né et séjourne dans un État tiers dans lequel ses parents, qui sont titulaires de la responsabilité parentale, n’ont aucune intention commune de résider et dans lequel le père retient illégalement la mère et l’enfant par la contrainte. Cette juridiction relève que, s’il était avéré, le comportement de XB serait vraisemblablement constitutif d’une atteinte aux droits fondamentaux de la mère et de l’enfant au titre des articles 3 et 5 de la CEDH.

19.

Dans ces conditions, la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

«1)

La présence physique d’un enfant dans un État constitue‑t‑elle un élément essentiel de la résidence habituelle au sens de l’article 8 du [règlement Bruxelles II bis] ?

2)

Dans une situation dans laquelle les deux parents sont titulaires de l’autorité parentale, le fait que la mère ait été dupée pour la faire venir dans un autre État et qu’elle y ait été retenue illégalement par le père, par la contrainte ou par tout autre acte illégal, obligeant ainsi la mère à donner naissance à un enfant dans cet État, a‑t‑il une incidence sur la réponse à la [première question] dans des circonstances dans lesquelles il a pu y avoir eu une atteinte aux droits humains de la mère ou de l’enfant conformément aux articles 3 et 5 de la [CEDH] ou d’une autre manière ? »

20.

La juridiction de renvoi a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour. La première chambre de la Cour a décidé, le 5 juillet 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, d’accéder à cette demande.

21.

UD, XB, le gouvernement du Royaume‑Uni et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Ceux‑ci, ainsi que le gouvernement tchèque, ont été représentés à l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 7 septembre 2018.

IV. Analyse

A. Sur la recevabilité

22.

Le gouvernement du Royaume-Uni excipe de l’irrecevabilité des questions préjudicielles au motif que l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis régirait uniquement les conflits de compétence entre les juridictions des États membres. En vertu de l’article 61, sous c), CE, désormais article 67 TFUE, qui forme l’une des bases juridiques de ce règlement, le champ d’application géographique dudit règlement serait circonscrit aux situations impliquant des liens de rattachements avec deux ou plusieurs États membres. L’article 8, paragraphe 1, du même règlement ne s’appliquerait donc pas dans le contexte d’un litige qui présente des liens de rattachement avec un État membre et un État tiers.

23.

À cet égard, le libellé de cette disposition indique que les juridictions d’un État membre sont compétentes pour autant que « l’enfant réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie », sans limiter cette compétence aux litiges présentant des liens de rattachement avec un autre État membre.

24.

L’article 61, sous a), du règlement Bruxelles II bis corrobore cette lecture. Aux termes de cette disposition, dans les relations avec la convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, signée à La Haye le 19 octobre 1996 (ci‑après la « convention de La Haye de 1996 ») ( 3 ), ce règlement s’applique lorsque l’enfant a sa résidence habituelle dans un État membre. Le règlement Bruxelles II bis prime donc cette convention toutes les fois que ce critère est rempli, sans qu’il importe que le litige implique un conflit potentiel de juridiction entre des États membres ou entre un État membre et un État tiers signataire de ladite convention.

25.

Par ailleurs, l’article 12, paragraphe 4, de ce règlement, qui prévoit dans certaines circonstances la prorogation de la compétence des juridictions d’un État membre ayant statué sur la demande en divorce des parents même lorsque l’enfant n’y a pas sa résidence habituelle, vise la situation d’un enfant qui réside habituellement dans un État tiers qui n’est pas signataire de la convention de La Haye de 1996. Cette disposition s’applique donc spécifiquement à des différends présentant des liens de rattachement avec un État membre et un tel État tiers ( 4 ).

26.

Une interprétation téléologique de l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement m’amène également à considérer que la compétence internationale des juridictions d’un État membre est établie dès lors que l’enfant y a sa résidence habituelle, même en l’absence de liens de rattachement avec un autre État membre.

27.

À ce propos, la Cour a précisé dans l’arrêt Owusu ( 5 ) que la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 6 ) (ci‑après la « convention de Bruxelles »), instrument prédécesseur du règlement (CE) no 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 7 ) (ci‑après le « règlement Bruxelles I »), visait à faciliter le fonctionnement du marché intérieur par l’adoption de règles de compétence pour les litiges y afférents et la réduction des difficultés liées à la reconnaissance et à l’exécution des jugements. La Cour a considéré que l’unification des règles de compétence relatives aux litiges présentant un lien de rattachement avec un État tiers participe de la réalisation de cet objectif, en ce qu’elle permet d’éliminer les obstacles pouvant découler des disparités des législations nationales en la matière. Elle en a déduit que l’application de la règle prévue à l’article 2 de la convention de Bruxelles, attribuant compétence générale aux juridictions de l’État membre du domicile du défendeur, n’est pas subordonnée à l’existence d’un rapport juridique impliquant plusieurs États contractants à cette convention ( 8 ).

28.

À mon avis, le raisonnement suivi dans cet arrêt vaut également dans le contexte de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis. En effet, conformément à l’article 67, paragraphe 4, TFUE, l’Union favorise la reconnaissance mutuelle des jugements rendus par les juridictions des États membres dans l’ensemble des matières civiles ( 9 ). Or, l’harmonisation des règles de compétence internationale vise, en renforçant la sécurité juridique, à faciliter l’émergence d’une confiance mutuelle qui permet la mise en place d’un système de reconnaissance automatique des jugements ( 10 ). Dans cette perspective, le rapprochement des règles de compétence pour trancher les litiges présentant un lien de rattachement avec un État tiers permet d’éliminer les obstacles à la reconnaissance et à l’exécution des jugements rendus dans les États membres dans toutes les matières civiles, en ce compris dans les matières familiales.

29.

Cette conclusion reflète, au demeurant, la manière dont tant les juridictions nationales ( 11 ) que la doctrine ( 12 ) conçoivent le champ d’application de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis.

30.

Par conséquent, la cause d’irrecevabilité des questions préjudicielles soulevée par le gouvernement du Royaume‑Uni doit être écartée.

31.

Dans un souci d’exhaustivité, j’ajoute que la recevabilité de ces questions ne saurait davantage être mise en cause au motif qu’elles portent sur un scénario qui reflète certains faits non pas établis par la juridiction de renvoi, mais uniquement allégués par la mère ( 13 ).

B. Sur le fond

1.   Considérations liminaires

32.

Pièce centrale du règlement Bruxelles II bis et des conventions internationales dont il s’inspire, la notion de « résidence habituelle de l’enfant » assume une double fonction dans le contexte de ces instruments.

33.

En premier lieu, le critère de la résidence habituelle de l’enfant au moment de l’introduction de l’instance fonde, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, la compétence générale des juridictions d’un État membre pour statuer sur les questions relatives à la responsabilité parentale ( 14 ). Cette disposition présente le même contenu que l’article 5, paragraphe 1, de la convention de La Haye de 1996.

34.

En second lieu, la notion de « résidence habituelle » de l’enfant se trouve au cœur du mécanisme de retour prévu par la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980 (ci‑après la « convention de La Haye de 1980 » et, ensemble avec la convention de La Haye de 1996, les « conventions de La Haye ») ( 15 ). Ce mécanisme, tel que complété par les dispositions du règlement Bruxelles II bis et en particulier par son article 11, continue de s’appliquer entre les États membres dans les matières régies par ce règlement ( 16 ). En substance, le déplacement ou le non‑retour d’un enfant est illicite s’il a lieu en violation d’un droit de garde attribué selon la loi de l’État de la résidence habituelle de l’enfant immédiatement avant cet événement ( 17 ). Lorsque le déplacement ou le non‑retour est illicite, le retour de l’enfant dans cet État membre doit, en principe, être ordonné sans délai ( 18 ).

35.

En vertu de la jurisprudence de la Cour, la notion de « résidence habituelle de l’enfant » reçoit la même signification dans ces deux contextes ( 19 ). Cette approche s’explique, en particulier, au regard du fait que tant l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis que le mécanisme de retour visent à ce que les différends portant sur la responsabilité parentale soient tranchés par les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant, considérées comme étant les plus aptes à protéger les intérêts de ce dernier ( 20 ).

36.

Plus précisément, il ressort du considérant 12 de ce règlement que la règle de compétence générale prévue à l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement reflète le critère de proximité, par lequel le législateur a entendu traduire l’objectif de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le législateur a estimé que les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant sont, du fait de leur proximité avec son environnement social et familial, les mieux placées pour apprécier sa situation dans le cadre de la procédure au fond ( 21 ), le cas échéant après que le retour de l’enfant dans cet État membre a été effectué en application des dispositions de la convention de La Haye de 1980 telles que complétées par le règlement Bruxelles II bis. Cette règle de compétence, de même que le mécanisme de retour, procèdent ainsi d’une certaine conception de l’intérêt supérieur de l’enfant appréhendé de façon générale ( 22 ). La concrétisation plus spécifique de cet intérêt a lieu, ultérieurement, au stade de l’instance sur le fond des questions relatives à la responsabilité parentale ( 23 ).

37.

Ni les conventions de La Haye ni le règlement Bruxelles II bis ne définissent la notion de « résidence habituelle de l’enfant ». Dans ces conditions, la Cour, à l’instar des juridictions des États signataires de ces conventions, a été amenée à tracer les contours d’un test destiné à déterminer la résidence habituelle de l’enfant dans chaque cas concret. Un tel exercice implique la poursuite d’un équilibre entre plusieurs impératifs.

38.

D’une part, ce test doit être suffisamment flexible pour que les juges puissent adapter leurs décisions en fonction des circonstances propres à chaque cas d’espèce en vue de refléter au mieux le critère de proximité. À cet égard, les travaux préparatoires à l’adoption des conventions de La Haye révèlent que leurs auteurs ont délibérément omis de définir la notion de « résidence habituelle de l’enfant ». Ces derniers ont considéré que cette notion relève d’appréciations factuelles et ne devrait pas être encadrée par des règles juridiques rigides telles que celles qui président à l’identification du domicile ( 24 ).

39.

Le test retenu doit, d’autre part, garantir un certain degré de prévisibilité et de sécurité juridique en encadrant le pouvoir d’appréciation des juges par des balises suffisantes. Ce dernier impératif correspond également à l’objectif d’uniformité dans l’application du règlement Bruxelles II bis et des conventions de La Haye : plus les repères seront précis et clairs, plus les résultats seront prévisibles et, partant, uniformes dans les différentes juridictions concernées.

40.

Je crois utile de souligner ici l’importance d’une application cohérente et uniforme du critère de la résidence habituelle de l’enfant tant au sein de l’Union que dans l’ensemble des États signataires des conventions de La Haye. L’enjeu consiste à éviter les conflits de compétence entre les juridictions des États membres et celles d’autres États signataires de la convention de La Haye de 1996 ainsi qu’à permettre une application harmonieuse du mécanisme de retour institué par la convention de La Haye de 1980 ( 25 ). Dans cette optique, il m’apparaît opportun de prendre en considération, dans mon analyse, certaines décisions rendues par des juridictions d’États tiers signataires de ces conventions ( 26 ).

2.   Sur la nécessité de la présence physique de l’enfant dans un État membre aux fins d’y établir sa résidence habituelle (première question)

a)   Propos introductifs

41.

Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir s’il est indispensable, pour que l’enfant réside habituellement dans un État membre au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis, que cet enfant y ait, ne fût‑ce que dans le passé et pour une période limitée, été physiquement présent.

42.

Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, cette question a pour toile de fond un débat judiciaire ayant animé la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) dans le cadre d’un litige dont la configuration factuelle présentait des points communs avec la présente affaire. Dans l’arrêt A v A (Children : Habitual Residence) ( 27 ), cette juridiction était invitée à se prononcer sur la résidence habituelle d’un enfant né au Pakistan et n’ayant jamais foulé le sol du Royaume-Uni. Sa mère, après avoir séjourné plusieurs années au Royaume-Uni où elle avait déjà donné naissance à trois enfants, s’était rendue au Pakistan avant la conception d’un quatrième enfant avec l’intention d’y effectuer une visite temporaire. Elle y avait par la suite été retenue avec ses trois premiers enfants par le père, lequel avait notamment confisqué leurs passeports, et contrainte d’y accoucher du quatrième enfant.

43.

La majorité menée par Lady Hale s’est montrée encline, en se prévalant de la jurisprudence de notre Cour selon laquelle la résidence habituelle de l’enfant constitue une notion de fait ( 28 ), à considérer la présence physique de l’enfant au Royaume‑Uni comme un prérequis pour y fonder sa résidence habituelle. Reconnaissant toutefois que cette question ne saurait être résolue sans que la Cour y apporte un éclairage à titre préjudiciel, les juges majoritaires l’ont en définitive laissée ouverte en asseyant la compétence des juridictions britanniques sur un autre chef de compétence, à savoir la compétence parens patriae ( 29 ). Exprimant une opinion dissidente, Lord Hughes a estimé, au nom également de l’approche factuelle adoptée par la Cour, que l’enfant résidait habituellement au Royaume‑Uni dès lors que les membres de la cellule familiale dont il faisait partie y étaient suffisamment établis pour y avoir leur résidence habituelle et que l’enfant n’en était absent qu’en raison de la contrainte exercée par le père ( 30 ).

44.

La problématique soulevée dans la première question préjudicielle a également été portée à l’attention des juridictions françaises. La Cour de cassation (France) a eu à connaître d’une situation dans laquelle une mère, qui résidait aux États‑Unis d’Amérique avec le père et leur premier enfant, s’était rendue, enceinte, en France avec cet enfant en vue d’une visite familiale temporaire. La mère s’était ensuite maintenue sur le territoire français, y avait accouché du second enfant et avait décidé unilatéralement du non‑retour des enfants aux États‑Unis d’Amérique. Dans ces circonstances, la Cour de cassation (France) a jugé que les deux enfants résidaient habituellement aux États‑Unis d’Amérique, bien que le nouveau‑né ne s’y soit jamais rendu ( 31 ).

45.

Notre Cour, si elle a souligné à plusieurs reprises que la présence physique de l’enfant dans un État déterminé ne suffit pas à y fonder sa résidence habituelle, n’a, à mon sens, pas encore résolu la question de savoir si elle constitue une condition nécessaire à cet effet ( 32 ). Je reviendrai, dans un premier temps, sur cette jurisprudence et sur le test juridique qui s’en dégage [section b)]. Seront développées, dans un second temps, les raisons pour lesquelles j’estime, à la lumière des principes tirés de la jurisprudence existante ainsi que des objectifs et du contexte du règlement Bruxelles II bis, que la présence physique de l’enfant dans un État donné ne constitue pas un prérequis à la fixation de sa résidence habituelle dans cet État [section c)].

b)   Sur le test consacré par la jurisprudence de la Cour

46.

Au fil de ses arrêts, la Cour a élaboré et affiné un test permettant de déterminer la résidence habituelle de l’enfant sur la base d’une approche essentiellement factuelle et casuistique. Elle a ainsi cherché à concrétiser le critère de proximité retenu par le législateur au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant.

47.

Selon une jurisprudence constante, la résidence habituelle de l’enfant correspond au lieu qui traduit « une certaine intégration dans un environnement familial et social» ( 33 ) ou, selon la formulation utilisée dans le récent arrêt HR, au « lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie» ( 34 ). L’application de ce test juridique par les juridictions nationales implique une appréciation factuelle visant à déterminer ce lieu à la lumière de l’ensemble des circonstances propres à chaque cas d’espèce. À cet égard, « outre la présence physique de l’enfant dans un État membre, doivent être retenus d’autres facteurs susceptibles de faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel et que la résidence de l’enfant traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial» ( 35 ) – ou, pour reprendre les termes de l’arrêt Mercredi, « un certain caractère de stabilité et de régularité» ( 36 ).

48.

Parmi ces facteurs figurent notamment la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour dans le ou les États membres en cause, la nationalité de l’enfant ( 37 ), le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux de l’enfant dans ce ou ces États membres ( 38 ). L’intention parentale quant au lieu de résidence de l’enfant, pourvu qu’elle soit exprimée par des mesures tangibles (telles que l’acquisition ou la location d’un logement), constitue un indice additionnel ( 39 ). Le poids relatif de ces éléments dépend des circonstances caractérisant chaque cas concret ( 40 ).

49.

Amenée à appliquer ce test aux fins d’identifier la résidence habituelle d’un nourrisson ( 41 ), la Cour a, pour la première fois dans l’arrêt Mercredi ( 42 ), reconnu que l’évaluation de l’intégration de l’enfant dans un environnement social et familial ne saurait faire abstraction des circonstances entourant le séjour des personnes dont il dépend. La Cour a relevé que l’environnement dans lequel évolue un enfant en bas âge est essentiellement familial et défini par la ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et qui prennent soin de lui ( 43 ) – en règle générale ses parents ( 44 ). En conséquence, lorsqu’un tel enfant vit au quotidien avec ses parents, la détermination de sa résidence habituelle implique celle du lieu où ses parents sont présents de manière stable et intégrés dans un environnement social et familial ( 45 ).

50.

Ce lieu doit être identifié à la lumière d’une liste, non‑exhaustive, d’indices de même nature que ceux qui attestent de l’intégration de l’enfant dans un tel environnement. Ces indices incluent la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour des parents dans le ou les États membres en cause, leurs connaissances linguistiques, leurs origines géographiques et familiales ainsi que les rapports familiaux et sociaux qu’ils y entretiennent ( 46 ). L’intention parentale de s’établir avec l’enfant dans un lieu déterminé est prise en compte dans la mesure où elle traduit la réalité de l’intégration des parents (et donc de l’enfant) dans un environnement social et familial ( 47 ). Dans cette optique, cette intention parentale constitue un facteur qui, certes important, n’est pas nécessairement décisif ( 48 ). Le poids attribué aux aspects relatifs à l’intégration des parents est fonction du degré de dépendance de l’enfant, lequel varie selon son âge, par rapport à ses parents.

51.

La logique de cette approche transparaît le plus clairement lorsqu’est en cause la résidence habituelle d’un nouveau‑né. Si seuls comptaient les éléments objectifs concernant l’intégration générée au cours du séjour de l’enfant dans un lieu donné, tout nouveau‑né, n’ayant par définition pas eu le temps de s’intégrer dans un lieu quelconque, serait dépourvu de résidence habituelle. Il en résulterait qu’aucun nouveau‑né ne serait protégé par le mécanisme de retour prévu par la convention de La Haye de 1980 et complété par le règlement Bruxelles II bis.

52.

Il ressort de cet exposé que la Cour a consacré une approche dite « hybride », selon laquelle la résidence habituelle de l’enfant est déterminée sur la base, d’une part, de facteurs objectifs caractérisant le séjour de l’enfant dans un lieu déterminé et, d’autre part, de circonstances entourant le séjour de ses parents ainsi que de leurs intentions quant au lieu de résidence de l’enfant. Si la notion de « résidence habituelle » est centrée sur l’enfant en ce qu’elle désigne le lieu où ce dernier dispose, dans les faits, du centre de sa vie, ce lieu dépend lui‑même, dans une mesure qui varie en fonction de l’âge de l’enfant, de celui où se situe le centre effectif de la vie de ses parents et où ceux‑ci ont l’intention de l’éduquer.

53.

Ainsi que l’a souligné la juridiction suprême du Canada ( 49 ), en s’appuyant sur de multiples jugements rendus dans des États signataires de la convention de La Haye de 1980, l’approche hybride, préférée à l’approche centrée sur la seule « acclimatation » de l’enfant ( 50 ) et à celle attribuant un poids prépondérant à l’intention parentale ( 51 ), correspond désormais à une tendance qui se dégage de la jurisprudence relative à cette convention au niveau international.

c)   Sur les enseignements pouvant être tirés de la jurisprudence de la Cour quant au caractère indispensable ou non de la présence physique

1) Sur la proposition selon laquelle la Cour aurait déjà tranché la question

54.

Aucune des parties intéressées ne conteste qu’en pratique, l’appréciation globale des circonstances de chaque cas concret aboutit généralement à la conclusion selon laquelle le centre effectif de la vie de l’enfant – et, partant, sa résidence habituelle – se situe dans un lieu où il a déjà été physiquement présent. Cependant, UD, le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement tchèque sont d’avis, contrairement à XB et à la Commission, que, dans certaines circonstances exceptionnelles, cette appréciation globale peut justifier que l’enfant réside habituellement dans un État où il ne s’est jamais rendu.

55.

À ce propos, la jurisprudence de la Cour exposée ci‑avant recèle, comme l’ont fait valoir XB et la Commission, certains passages qui plaident, à première vue, en faveur de la conclusion selon laquelle l’établissement de la résidence habituelle d’un enfant dans un État membre présuppose qu’il y ait été présent physiquement. La lecture de ces passages replacés dans leur contexte appelle, cependant, à faire preuve de prudence avant d’en déduire une telle conclusion.

56.

Tout d’abord, l’emploi itératif des termes « outre la présence physique» ( 52 ), précédant l’énonciation d’autres facteurs pertinents, pourrait laisser penser que ce paramètre constitue un ingrédient nécessaire pour assoir la résidence habituelle de l’enfant. Cependant, la Cour n’a, eu égard à la configuration factuelle des affaires portées devant elle, jamais spécifiquement examiné la question du caractère indispensable ou non de la présence physique. Ainsi que l’ont soutenu UD et le gouvernement du Royaume‑Uni, le seul enseignement pouvant être tiré de l’utilisation de ces termes consiste dans le fait que la présence physique ne suffit pas à fonder la résidence habituelle de l’enfant. Il ne saurait en être extrapolé que cet élément est nécessaire à cet effet.

57.

N’est pas davantage concluant, ensuite, le passage de l’arrêt W et V ( 53 ) selon lequel « la détermination de la résidence habituelle d’un enfant dans un État membre donné exige à tout le moins que l’enfant [y] ait été physiquement présent ». Cette incise doit, en effet, être comprise à la lumière du contexte factuel de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. L’un des parents alléguait que l’enfant résidait habituellement en Lituanie, alors que la nationalité de l’enfant constituait le seul lien de rattachement avec cet État membre. La Cour a, dès lors, signalé que la seule nationalité d’un État membre ne saurait compenser l’absence de quelconques liens de rattachement tangibles avec cet État membre, l’enfant n’y ayant pas même « mis les pieds» ( 54 ). La Cour n’était pas saisie de la question de savoir si, lorsque de tels liens existent, ceux‑ci peuvent dans certains cas compenser le défaut de présence physique dans l’État membre en cause.

58.

Enfin, l’arrêt OL ( 55 ) n’étaye pas non plus la thèse avancée par XB et la Commission. L’affaire y ayant donné lieu impliquait l’enfant d’une mère grecque et d’un père italien qui résidaient tous deux en Italie avant sa naissance. Selon le père, ils étaient convenus de la naissance de l’enfant en Grèce, étant entendu que l’enfant et la mère retourneraient par la suite s’établir en Italie – dessein que la mère aurait refusé d’exécuter. Le père alléguait devant une juridiction grecque que la mère retenait illicitement l’enfant dans un État membre (la Grèce) autre que celui où il avait sa résidence habituelle immédiatement avant son non‑retour (l’Italie) au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis. Cette juridiction devait, dès lors, examiner si l’enfant résidait habituellement en Italie au moment pertinent, bien qu’il ne s’y soit jamais rendu.

59.

Dans ce contexte, ladite juridiction avait demandé à la Cour si la présence physique de l’enfant dans un État membre constituait, dans tous les cas, un prérequis pour y établir sa résidence habituelle. Si la Cour avait considéré que la jurisprudence antérieure avait déjà apporté une réponse affirmative à cette question, elle aurait pu se borner à l’indiquer à la juridiction nationale – ce qui lui aurait permis de résoudre aisément le litige pendant devant elle. L’avocat général Wahl avait d’ailleurs proposé à la Cour, sur la base notamment de l’arrêt W et V ( 56 ), de s’engager sur cette voie ( 57 ).

60.

La Cour a, cependant, reformulé la question préjudicielle de façon à éviter de la trancher de manière générale et abstraite, tout en assistant utilement la juridiction concernée aux fins de la résolution du litige pendant devant elle ( 58 ). La Cour a ciblé plus spécifiquement la situation, telle que celle en cause dans ce litige, dans laquelle l’enfant est né et a séjourné de manière ininterrompue avec sa mère pendant plusieurs mois, conformément à la volonté commune de ses parents, hors de l’État membre où ceux‑ci résidaient habituellement avant sa naissance. Elle a examiné si, dans une telle situation, l’intention initiale des parents quant au retour de la mère accompagnée de l’enfant dans cet État membre constitue un facteur prépondérant pour considérer que l’enfant y a sa résidence habituelle, indépendamment du fait qu’il n’y a jamais été physiquement présent.

61.

En réponse à la question ainsi reformulée, la Cour s’est limitée, d’une part, à refuser de consacrer une règle générale selon laquelle l’intention commune des titulaires de la responsabilité parentale quant au retour de l’enfant dans un État membre est prépondérante et l’emporte automatiquement sur la présence physique de l’enfant dans un autre État membre. Aussi n’existe‑t‑il pas de règle absolue selon laquelle la résidence habituelle de l’enfant suit nécessairement celle de ses parents et ne peut pas être modifiée unilatéralement par l’un des parents titulaires de la responsabilité parentale contre la volonté de l’autre ( 59 ).

62.

D’autre part, la Cour a apprécié si les circonstances portées à son attention par la juridiction nationale permettaient de considérer que l’enfant résidait habituellement dans l’État membre où ses parents avaient initialement l’intention de vivre avec lui (l’Italie) – exercice que la Cour aurait pu juger superflu s’il lui avait semblé clair que le défaut de présence physique de l’enfant en Italie suffisait à exclure qu’il y réside habituellement. Au terme de cette appréciation, la Cour a conclu que l’enfant ne saurait résider dans cet État membre dès lors qu’il séjournait depuis plusieurs mois en Grèce et y était né conformément à la volonté commune de ses parents ( 60 ). Elle n’a nullement exclu que, dans d’autres circonstances, notamment lorsque le lieu de naissance ne reflète pas la volonté commune des parents, une juridiction nationale soit amenée à constater qu’à la lumière de l’ensemble des facteurs pertinents, le centre effectif de la vie de l’enfant se situe dans un État membre où il n’a jamais séjourné.

2) Sur le choix de l’approche se conciliant le mieux avec la jurisprudence et les objectifs de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis

63.

La Cour n’ayant donc pas encore tranché la question du caractère indispensable ou non de la présence physique dans un État membre aux fins d’y assoir la résidence habituelle de l’enfant, il convient d’examiner si l’approche factuelle, adoptée dans la jurisprudence à l’aune du critère de proximité énoncé par le législateur, se concilie mieux avec l’une ou l’autre des solutions proposées par les parties intéressées.

64.

Selon UD, le gouvernement du Royaume‑Uni et le gouvernement tchèque, le caractère factuel de la notion de « résidence habituelle de l’enfant » s’accommoderait mal de l’imposition d’une règle selon laquelle la présence physique dans un État membre constituerait une condition sine qua non pour y fonder la résidence habituelle de l’enfant, indépendamment de l’examen des autres circonstances pertinentes. Ces derniers soulignent, en particulier, l’importance des facteurs relatifs à l’intégration du parent ayant la garde effective d’un enfant en bas âge. XB et la Commission estiment, au contraire, que, dès lors qu’un enfant ne saurait, par définition, être intégré dans un lieu où il ne s’est jamais rendu, la fixation de sa résidence habituelle dans un tel lieu relèverait d’une fiction incompatible avec la nature factuelle de la notion en cause.

65.

La première de ces positions est, à mon sens, davantage compatible avec l’approche factuelle retenue par la Cour. Ériger le défaut de présence physique en critère dirimant aboutirait à la création d’un sous-test juridique dans la mesure où, à défaut de remplir une précondition relative à la présence physique de l’enfant, aucun des autres facteurs pertinents ne pourrait être examiné. Une telle règle générale et abstraite entraînerait la perte de la flexibilité qui permet de matérialiser le critère de proximité dans l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence exposée ci‑avant, ce critère a trait, plutôt qu’à la seule proximité géographique entre l’enfant et un lieu déterminé, à la proximité entre l’enfant et un environnement social et familial établi dans un lieu donné.

66.

Une approche flexible s’avère nécessaire, en particulier, pour traiter les cas de figure spécifiques des nourrissons qui viennent au jour et séjournent dans un pays autre que celui où leurs parents disposent, du fait de leurs attaches familiales et sociales, du centre effectif de leur vie. Je rappelle, à ce sujet, que la Cour a admis que, dès lors que les nourrissons n’ont, par définition, pas pu développer d’attaches effectives dans un lieu quelconque de façon indépendante de leurs parents, le centre effectif de la vie des nourrissons dépend, en pratique, de celui de leurs parents ( 61 ). À mon avis, l’ignorance de cette réalité sociale et familiale conduirait à des résultats davantage artificiels que la reconnaissance du fait que, dans ces situations exceptionnelles, un nourrisson peut avoir sa résidence habituelle dans un lieu où il n’a jamais été physiquement présent.

67.

La détermination de la résidence habituelle du nourrisson implique, dès lors, la prise en considération non seulement des paramètres objectifs entourant le séjour du nourrisson dans le pays où il se trouve, mais aussi des indices concernant l’intégration du ou des parents dont il dépend dans un environnement social et familial dans un autre pays. Dans ce contexte, les circonstances à l’origine de la présence du nourrisson et du ou des parents dont il dépend dans le premier pays – et, corrélativement, de leur absence du second pays – lors de sa naissance et au cours de sa brève existence, revêtent une importance particulière.

68.

Selon moi, lorsque des circonstances étrangères à la volonté du ou des parents dont il dépend, telles qu’un cas fortuit ou de force majeure, entraînent la naissance et le séjour du nourrisson hors de l’État dans lequel la cellule familiale dont il fait partie, fondée par ce ou ces parents et comportant, le cas échéant, d’autres membres, est établie de façon stable et régulière, le nourrisson a sa résidence habituelle dans cet État. Le centre de la vie du nourrisson se situe alors, dans les faits, là où il a vocation à être intégré dans cette cellule familiale et où il aurait dû déjà se trouver en l’absence de telles circonstances extérieures.

69.

Un exemple inspiré de ceux exposés par la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume‑Uni) dans l’affaire A v A (Children : Habitual Residence) ( 62 ) ainsi que dans les observations du gouvernement du Royaume‑Uni et du gouvernement tchèque illustre mon propos. Imaginons qu’un couple établi de manière stable et régulière en Allemagne se rende en vacances en France, où la mère est contrainte d’accoucher prématurément. Faudrait‑il considérer qu’immédiatement après sa naissance, l’enfant réside habituellement là où résident ses parents (et, le cas échéant, ses frères et sœurs aînés), où il a vocation à séjourner et où son berceau l’attend peut‑être déjà (à savoir en Allemagne), ou bien qu’avant qu’il ne se soit rendu en Allemagne, l’enfant n’a aucune résidence habituelle ( 63 ) ?

70.

Il ne fait guère de doute, à mes yeux, que la conclusion selon laquelle l’enfant a sa résidence habituelle en Allemagne immédiatement après sa naissance refléterait plus fidèlement la réalité de l’intégration de l’enfant dans un environnement social et familial ( 64 ).

71.

Ces considérations opèrent, bien entendu, sans préjudice de la possibilité que la résidence habituelle de l’enfant se déplace au gré de l’écoulement du temps et de la modification des circonstances objectives. Ainsi, si l’enfant né en urgence hors de l’État où est établie la cellule familiale dont il fait partie a sa résidence habituelle dans cet État, cette conclusion ne vaut qu’aussi longtemps que la durée du séjour de l’enfant dans l’État de sa naissance et les attaches culturelles et sociales qui en découlent ne viennent pas déplacer le curseur en faveur du constat selon lequel l’enfant y a acquis, dans les faits, le centre de sa vie. À mesure que le temps passe, la réalité des liens de l’enfant avec l’État où il avait vocation à être intégré dans un environnement social et familial s’estompe, jusqu’à relever davantage de la fiction.

72.

Par ailleurs, la lecture que je préconise ne remet pas en cause le fait que, dans la plupart des cas, la résidence habituelle de l’enfant correspond à un lieu dans lequel il a été physiquement présent. Elle implique uniquement que la détermination de la résidence habituelle de l’enfant doit refléter la réalité de son intégration dans un environnement social et familial, sans être limitée à cet effet par des règles juridiques rigides. Dans des situations spécifiques concernant des nourrissons, l’appréciation du faisceau de circonstances propres à chaque cas d’espèce peut conduire à considérer que l’enfant a, dans les faits, le centre de sa vie dans un pays où il ne s’est jamais trouvé.

73.

Certains juges de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume‑Uni) ont exposé des réflexions fort éclairantes à ce propos. Ceux‑ci ont, à diverses reprises, relevé que, si la pondération des facteurs permettant de déterminer la résidence habituelle de l’enfant ne saurait être arrêtée par des règles de droit, celle‑ci peut cependant être encadrée utilement par certaines « généralisations de fait ». En d’autres termes, certaines propositions se révèlent généralement, bien que non invariablement, conformes à la situation factuelle dans laquelle se trouve l’enfant ( 65 ).

74.

Ainsi en va‑t‑il de la proposition selon laquelle la résidence habituelle du nourrisson dérive de celle du ou des parents dont il dépend ( 66 ), tout comme, précisément, de la proposition selon laquelle la résidence habituelle de l’enfant suppose une certaine présence physique dans le pays concerné ( 67 ). Le fait que ces deux propositions puissent entrer en conflit (comme l’illustre l’exemple susmentionné) met en évidence l’impossibilité de les ériger en règles juridiques absolues.

75.

Cette conclusion n’est, à mon avis, pas remise en cause par des considérations relatives aux impératifs de prévisibilité, de sécurité juridique et d’uniformité des solutions au sein de l’Union.

76.

Tout d’abord, la méthode indiciaire adoptée dans la jurisprudence constante depuis l’arrêt A ( 68 ) s’accompagne nécessairement, en tant que corollaire du pouvoir d’appréciation dont elle investit les juges nationaux, d’un certain risque d’hétérogénéité des solutions adoptées par différentes juridictions dans des cas comparables ( 69 ). Ce « prix à payer » est généralement accepté au nom de la flexibilité nécessaire à la concrétisation, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, du critère de la proximité avec son environnement social et familial. Je ne perçois pas en quoi les cas spécifiques des nourrissons qui naissent et séjournent dans un pays autre que celui où se trouve, dans les faits, le centre de la vie de leurs parents – seuls scénarios dans lesquels il est, en pratique, envisageable qu’un enfant réside habituellement dans un État membre où il ne s’est jamais rendu – devraient, contrairement à tous les autres cas de figure, être traités de façon inflexible.

77.

Ensuite, l’argumentation de la Commission selon laquelle une approche flexible ne serait pas nécessaire dans ce type de situations, pour autant que l’enfant se trouve dans un État membre, ne me convainc pas. La Commission relève que, en l’absence de résidence habituelle, l’article 13 du règlement Bruxelles II bis prévoit un chef de compétence subsidiaire fondé sur la présence de l’enfant. J’observe, cependant, que ce chef de compétence, n’incarnant qu’une dimension géographique du critère de proximité, ne présente aucun attribut de stabilité – d’où son caractère subsidiaire ( 70 ). Ainsi, l’application de l’article 13 dudit règlement est confinée aux cas de figure exceptionnels dans lesquels il s’avère impossible d’établir la résidence habituelle de l’enfant ( 71 ). Qui plus est, comme l’a souligné le gouvernement du Royaume‑Uni, la problématique revêt une importance pratique plus fondamentale encore dans le cadre de la procédure de retour. En effet, dans l’éventualité où, dans l’exemple cité plus haut, l’un des parents refuserait de rentrer en Allemagne avec le nouveau‑né, cette procédure ne pourrait être enclenchée que pour autant qu’il soit considéré que ce dernier y réside habituellement.

78.

Enfin, je doute qu’une règle selon laquelle la résidence de l’enfant implique nécessairement un élément de présence physique entraîne, en tout état de cause, de réels bénéfices en termes de sécurité juridique. Les parents, résidant en Allemagne, de l’enfant né en France en raison d’un cas de force majeure pourraient, en effet, légitiment s’attendre à ce que les juridictions allemandes statuent sur tout différend relatif à l’autorité parentale. Du point de vue de ces derniers, une règle obligeant ces juridictions à se déclarer incompétentes du seul fait que l’enfant ne se trouve pas encore en Allemagne en raison d’un événement imprévisible et involontaire serait source d’insécurité juridique ( 72 ).

79.

Au vu de tout ce qui précède, il ne saurait être automatiquement attribué, sans considération des particularités de chaque affaire, un poids décisif au critère de la présence physique. La présence physique de l’enfant dans un État membre ne constitue donc pas un prérequis pour considérer qu’il y réside habituellement au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis.

3.   Sur l’incidence de la contrainte aux fins de déterminer la résidence habituelle de l’enfant (seconde question)

a)   Propos introductifs

80.

Aux termes de sa seconde question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’influence qu’exerce, en vue de déterminer si un enfant réside habituellement dans un État membre bien qu’il n’y ait jamais été physiquement présent, le fait que, selon les allégations de la mère, cette dernière a été dupée par le père afin de la faire venir dans un pays tiers et, par la suite, y a été retenue illégalement par ce dernier, de sorte qu’elle a été forcée d’y accoucher. Cette juridiction ajoute que cette situation est susceptible d’impliquer la violation des droits fondamentaux de la mère et de l’enfant au titre des articles 3 et 5 de la CEDH, dont les articles 4 et 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») reprennent le contenu.

81.

Cette question invite la Cour à préciser l’importance que revêt la circonstance selon laquelle la présence de la mère et de l’enfant au Bangladesh au moment de l’introduction de l’instance – et, de façon symétrique, leur absence du territoire du Royaume‑Uni – aurait résulté uniquement de la contrainte exercée par le père. Il ressort de la décision de renvoi qu’UD allègue, en substance, que son intention initiale, qu’elle pensait être partagée par XB (cotitulaire avec UD de la responsabilité parentale) au moment de leur départ vers le Bangladesh, était d’accoucher et de séjourner avec l’enfant au Royaume‑Uni ( 73 ). Le comportement coercitif de XB aurait, cependant, empêché cette intention de se concrétiser.

82.

Une telle configuration factuelle ne semble hélas pas cantonnée à un cas de figure exceptionnel et isolé. Ainsi que l’a souligné le gouvernement du Royaume‑Uni, elle correspond à un phénomène déjà observé et, au demeurant, débattu devant les juridictions du Royaume‑Uni dans d’autres affaires ( 74 ).

83.

Je tenterai, dans un premier temps, d’évaluer dans quelle mesure la dimension de contrainte évoquée ci‑avant doit être prise en compte en application des principes tirés de la jurisprudence existante [section b)]. Dans un second temps, sera abordée la question de savoir si l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits fondamentaux énoncés dans la Charte commandent l’application d’autres principes dans une situation telle que celle en cause au principal [section c)].

b)   Sur l’application des principes tirés de la jurisprudence existante

84.

Conformément à l’approche factuelle consacrée par la Cour, la circonstance selon laquelle la mère n’a donné naissance à son enfant dans un pays tiers et n’y est demeurée avec lui qu’en raison de la contrainte exercée par le père constitue, à mes yeux, un élément pertinent pour évaluer les liens de l’enfant tant avec le pays tiers où il séjourne effectivement qu’avec l’État membre dans lequel il serait né et aurait vécu à défaut d’une telle contrainte ( 75 ).

85.

D’une part, cette circonstance participe des « conditions et raisons du séjour » de la mère et de l’enfant dans ce pays tiers au sens de la jurisprudence ( 76 ). En l’occurrence, elle pourrait représenter un indice que l’enfant ne réside pas habituellement au Bangladesh bien qu’elle dispose, par la force des choses, de l’ensemble de ses repères dans ce pays où elle vit depuis sa naissance et auquel l’attachent ses origines géographiques et culturelles.

86.

L’environnement de cette enfant est, au vu de son jeune âge, essentiellement déterminé par celui de la ou des personnes dont elle dépend – à savoir, vraisemblablement et sur la base des faits exposés dans la décision de renvoi, sa mère (son père étant reparti au Royaume‑Uni). Selon les allégations d’UD, le comportement coercitif de XB l’empêcherait de décider où vivre avec son nourrisson et la forcerait à demeurer dans un village où elle serait stigmatisée par la communauté locale et privée de commodités essentielles ainsi que de revenu. Or, je doute qu’un séjour involontaire et précaire de la mère et de l’enfant dans un État tiers revête un caractère de stabilité et de régularité suffisant pour que l’enfant y dispose de sa résidence habituelle. Peut‑on, en effet, réellement parler d’intégration dans un environnement social et familial si les liens du nourrisson avec cet État tiers n’ont pu se tisser qu’en raison d’une situation résultant de la contrainte exercée par son père ( 77 ) ?

87.

Ces considérations demeurent pertinentes en dépit du fait qu’UD est originaire du Bangladesh et y séjourne dans le village de sa famille. En effet, les origines géographiques et familiales du parent exerçant la garde de l’enfant – de même que les attaches d’ordre culturel et familial de l’enfant qui en découlent – ne constituent que l’un des facteurs pouvant entrer en ligne de compte dans le cadre de l’analyse globale des circonstances de chaque cas d’espèce ( 78 ). Ce facteur ne saurait occulter d’autres circonstances objectives, telles que le fait que la mère est prétendument retenue au Bangladesh avec sa fille par la contrainte.

88.

Cela étant, d’autre part, la considération selon laquelle, à défaut du comportement coercitif du père, l’enfant serait né dans l’État membre en cause et y aurait séjourné après sa naissance ne suffit pas à fonder la résidence habituelle de l’enfant dans cet État membre. Selon la jurisprudence de la Cour, même une telle présence physique n’aurait pas suffi à cette fin. Encore faudrait‑il que des liens effectifs entre l’enfant et le territoire dudit État membre permettent de considérer que l’enfant y a, dans les faits, le centre de sa vie.

89.

Comme je l’ai exposé ci‑avant ( 79 ), un nourrisson qui fait partie d’une cellule familiale dont les membres disposent du centre effectif de leur vie dans un État membre y réside habituellement, quand bien même il n’y serait pas né et ne s’y serait pas encore rendu en raison de circonstances indépendantes de la volonté du ou des parents dont il dépend. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra d’apprécier, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, si la situation en cause au principal relève d’un tel cas de figure. Les considérations exposées ci‑après permettraient de la guider dans le cadre de cet exercice.

90.

En premier lieu, les éléments caractérisant le séjour de la mère au Royaume‑Uni et les liens sociaux et familiaux qu’elle y a entretenu mériteront une attention particulière. En effet, le centre de la vie de l’enfant ne saurait s’y trouver que dans la mesure où sa mère, dont elle dépend, y est elle‑même intégrée dans un environnement social et familial. À ce propos, il conviendra de prendre en compte, notamment, la durée du séjour d’UD au Royaume‑Uni, la période couverte par son visa de conjoint, ses connaissances linguistiques ainsi que ses attaches sociales et culturelles éventuelles dans cet État membre.

91.

Se pose, dans ce contexte, la question de savoir dans quelle mesure devrait être prise en considération l’intention d’UD, qu’elle pensait selon ses dires être partagée avec XB au moment de leur départ vers le Bangladesh, quant au séjour de l’enfant au Royaume‑Uni après sa naissance. À cet égard, je rappelle que l’intention parentale quant au lieu de séjour de l’enfant ne l’emporte pas nécessairement sur les liens effectifs entre l’enfant et un autre lieu ( 80 ). Le poids à accorder à ce facteur dépend des circonstances de chaque cas concret.

92.

À mon avis, lorsqu’en dépit de l’intention initiale des parents – ou du seul parent qui entend exercer la garde de l’enfant ( 81 ) – de s’établir avec l’enfant dans un lieu donné, cet enfant naît et séjourne contre la volonté du parent dont il dépend dans un autre lieu, l’élément intentionnel est susceptible de revêtir une importance particulière. Il en va ainsi dès lors que, dans une telle situation, les éléments objectifs entourant le séjour de l’enfant et de ce parent dans le pays où ils se trouvent sont de piètres indicateurs du lieu où ces derniers sont réellement intégrés dans un environnement familial et social. L’intention quant au lieu de résidence de l’enfant dans un État déterminé, pour autant qu’elle soit manifestée par des mesures tangibles, constitue alors un facteur susceptible de l’emporter sur ces éléments objectifs en étayant l’intégration du parent dont dépend l’enfant dans cet État alors même qu’il en est absent depuis la naissance de l’enfant.

93.

D’éventuels indices selon lesquels les parents ou la mère seule auraient, avant leur départ au Bangladesh, entamé des démarches visant à donner naissance à l’enfant au Royaume‑Uni, à l’installer dans un logement stable dans cet État membre et à en prendre soin au quotidien devraient donc être pris en compte avec un soin particulier aux fins de déterminer la résidence habituelle de l’enfant.

94.

En deuxième lieu, s’agissant des circonstances entourant l’intégration du père dans l’État membre concerné, il ressort de la jurisprudence que le parent qui ne garde pas effectivement l’enfant (même s’il est titulaire de la responsabilité parentale) ne fait partie de son environnement familial que pour autant que l’enfant nourrisse toujours des contacts réguliers avec lui ( 82 ). Or, dans l’hypothèse où le père retourne dans cet État membre et empêche la mère d’y revenir avec leur enfant, de tels contacts ne sont plus entretenus. Le séjour et l’intégration du père dans ledit État membre au moment de l’introduction de l’instance n’offrent pas, dans ces conditions, des indications adéquates du lieu où se situe, dans les faits, le centre de la vie de l’enfant.

95.

En troisième lieu, la période de temps séparant la naissance de l’enfant de la saisine de la juridiction de renvoi entrera également en ligne de compte. La durée du séjour dans un État donné constitue, en général, un facteur susceptible de refléter l’intégration de l’enfant dans cet État et, corrélativement, son absence de liens tangibles avec un autre État. Son importance dans l’appréciation globale des circonstances pertinentes varie néanmoins, elle aussi, en fonction de chaque cas spécifique ( 83 ).

96.

Ainsi, ce facteur ne traduit pas automatiquement la réalité de l’intégration de l’enfant lorsque la durée continue de son séjour dans un État et, de manière symétrique, de son absence d’un autre État est le fruit de la contrainte. Certes, sauf à ajouter un vernis artificiel à la notion de « résidence habituelle », un enfant qui grandit et tisse des liens dans l’État où il est forcé de séjourner, sans développer aucune attache avec l’État où il aurait dû se trouver à défaut de coercition, perd à un certain point sa résidence habituelle dans ce dernier État ( 84 ). Cependant, tel n’est pas nécessairement le cas d’un enfant qui, comme en l’espèce, était encore un nourrisson à la date d’introduction de l’instance. Partant, la durée du séjour de l’enfant au Bangladesh ne devrait, à mon sens, pas empêcher en tant que telle que sa résidence habituelle soit établie au Royaume‑Uni.

97.

L’ensemble de ces considérations appelle la conclusion suivante dans une situation, telle que celle en cause au principal, où l’enfant est né dans un État tiers et a été empêché de se rendre avec sa mère dans un État membre en raison de la contrainte exercée par le père et où l’enfant était encore un nourrisson au moment de la saisine de la juridiction de renvoi. Dans une telle situation, l’enfant ne réside habituellement dans cet État membre, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis, que pour autant qu’en l’absence de contrainte, il y aurait été présent de manière stable et régulière et intégré en tant que membre d’une cellule familiale dont le ou les autres membres disposent, dans les faits, du centre de leur vie dans ledit État membre. La réunion de cette condition implique que la mère soit intégrée dans un environnement social et familial dans l’État membre en cause. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si tel est le cas au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, parmi lesquelles figurent les facteurs objectifs entourant le séjour antérieur et l’intégration de la mère dans cet État membre ainsi que les manifestations tangibles de l’intention de cette dernière quant au lieu de séjour de l’enfant.

c)   Sur la prise en compte des droits fondamentaux de l’enfant et de la mère

98.

Afin d’être exhaustif, il me semble utile de préciser que, dans l’hypothèse où l’application du test du « centre effectif de la vie de l’enfant » ne permettrait pas de fonder la compétence générale des juridictions d’un État membre dans une situation telle que celle en cause au principal, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant garantie à l’article 24 de la Charte et des droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 6 de la Charte ( 85 ) ne justifierait pas une conclusion différente.

99.

Ce test reflète, je le rappelle, le critère de proximité qui fonde l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement et par lequel le législateur a voulu protéger l’intérêt supérieur de l’enfant envisagé de façon générale ( 86 ). Les considérations suivantes s’opposent, selon moi, à la création prétorienne d’un test dérogatoire qui s’écarterait de ce critère lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant appréhendé dans un cas particulier et ses autres droits fondamentaux sont menacés dans l’État tiers où il se trouve.

100.

En premier lieu, conformément à l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, celle‑ci « n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au‑delà des compétences de l’Union ». Ainsi, la Cour est habilitée à interpréter, à la lumière de la Charte, le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle‑ci ( 87 ). Or, l’Union et ses États membres ne sont pas tenus, au titre du droit de l’Union ou en vertu de la CEDH, d’exercer leur juridiction sur des situations se déroulant dans des États tiers en l’absence d’un lien de rattachement prévu par le droit de l’Union ou par la CEDH telle qu’interprétée dans la jurisprudence de Strasbourg ( 88 ).

101.

En second lieu, le règlement Bruxelles II bis institue déjà un mécanisme autorisant les États membres à protéger les intérêts d’un enfant même à défaut de lien de rattachement tiré du droit de l’Union. Lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13 du règlement Bruxelles II bis, l’article 14 de ce règlement précise que les États membres peuvent, de façon résiduelle, attribuer compétence à leurs juridictions en vertu de leurs droits nationaux. Ainsi, il demeure loisible à chaque État membre, lorsque les dispositions dudit règlement fondées sur le critère de proximité ne permettent de désigner les juridictions d’aucun État membre, de fonder la compétence de ses propres juridictions en vertu de règles de droit interne s’écartant de ce critère.

102.

En l’occurrence, une telle compétence résiduelle existe dans l’ordre juridique du Royaume-Uni sous la forme de la compétence parens patriae des juridictions de cet État membre. Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, l’application de cette règle de compétence est toutefois limitée aux citoyens britanniques et relève de la discrétion des juridictions nationales.

103.

Par ailleurs, XB a fait valoir que, le cas échéant, UD pourrait se tourner vers les juridictions du Bangladesh, en particulier dans l’hypothèse où le droit de cet État tiers prévoirait des règles de compétence fondées sur la présence de l’enfant. À cet égard, si la juridiction de renvoi précise que la rétention par XB d’UD et de l’enfant est susceptible de violer leurs droits fondamentaux, elle ne fait pas expressément état d’allégations selon lesquelles la République du Bangladesh aurait manqué à son obligation positive de protéger ces droits, notamment par la voie juridictionnelle ( 89 ). Dans ces conditions, il me semble inapproprié de fonder la présente analyse sur des hypothèses en ce sens.

104.

En tout état de cause, l’article 14 du règlement Bruxelles II bis véhicule, me semble‑t‑il, l’idée selon laquelle il appartient à chaque État membre de décider, notamment sur la base, le cas échéant, de considérations de « comity » (« courtoisie entre les nations »), si la crainte que les juridictions d’un État tiers n’appliquent pas à la mère et à l’enfant des règles protectrices conformes aux droits et aux valeurs qui prévalent dans l’État membre en cause justifie ou non l’introduction d’un chef de juridiction spécifique dans leurs droits nationaux ( 90 ).

105.

Par conséquent, même lorsque l’intérêt supérieur et les droits fondamentaux de l’enfant sont susceptibles d’être méconnus dans un État tiers, l’article 8, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis ne saurait être interprété de manière à établir la résidence habituelle de l’enfant sur la base de critères qui s’écarteraient du critère de proximité matérialisé par le test du « centre effectif de la vie de l’enfant ».

V. Conclusion

106.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille, Royaume‑Uni] :

1)

La résidence habituelle d’un enfant, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2201/2003 du Parlement et du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000, correspond au lieu où cet enfant a, dans les faits, le centre de sa vie. Ce lieu doit être déterminé à la lumière de l’ensemble des circonstances propres à chaque cas d’espèce. Dans certains cas de figure exceptionnels, l’appréciation globale de l’ensemble des circonstances peut conduire à considérer que l’enfant a, dans les faits, le centre de sa vie dans un lieu où il n’a jamais été physiquement présent. La présence physique de l’enfant sur le territoire d’un État membre ne constitue, dès lors, pas un prérequis aux fins d’y établir sa résidence habituelle.

2)

La circonstance selon laquelle la mère d’un nourrisson, qui garde effectivement ce dernier, a été contrainte par le père d’accoucher dans un État tiers et d’y demeurer avec le nourrisson après sa naissance, le cas échéant en plaçant ceux‑ci dans une situation contraire aux droits fondamentaux consacrés aux articles 4 et 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, constitue un élément pertinent aux fins de déterminer la résidence habituelle de l’enfant au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 2201/2003.

Dans une telle situation, le nourrisson ne saurait, cependant, résider habituellement dans un État membre, en dépit du fait qu’il n’y a jamais été physiquement présent, que dans la mesure où sa mère y dispose, dans les faits, du centre de sa vie, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. À cet égard, revêtent une importance particulière les éventuelles attaches d’ordre familial, social et culturel de la mère dans cet État membre, de même que les éventuelles manifestations tangibles de l’intention de la mère d’y séjourner avec l’enfant dès sa naissance.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Conseil du 27 novembre 2003, abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1).

( 3 ) La convention de La Haye de 1996 a remplacé la convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs, conclue à La Haye le 5 octobre 1961 (ci‑après la « convention de La Haye de 1961 »). Si l’Union européenne n’est pas partie à la convention de La Haye de 1996, tous les États membres en sont signataires.

( 4 ) En revanche, certaines dispositions du règlement Bruxelles II bis relatives à la compétence impliquent nécessairement, tel que l’indique leur libellé, un conflit potentiel de compétence entre les juridictions de deux ou plusieurs États membres (voir articles 9, 10, 15, 19 et 20). Par ailleurs, les dispositions de ce règlement relatives à la reconnaissance et à l’exécution ne s’appliquent qu’aux jugements rendus par les juridictions des États membres [voir ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, points 19 à 22), et arrêt du 20 décembre 2017, Sahyouni (C‑372/16, EU:C:2017:988, point 27)]. Il est tout aussi constant que l’application de l’article 11 dudit règlement, relatif au retour de l’enfant, suppose que le déplacement ou le non‑retour de l’enfant ait eu lieu d’un État membre vers un autre. En somme, il est pertinent de s’interroger non pas sur le champ d’application géographique du règlement Bruxelles II bis dans sa globalité, mais bien sur l’applicabilité de chacune de ses dispositions.

( 5 ) Arrêt du 1er mars 2005 (C‑281/02, EU:C:2005:120, point 33).

( 6 ) JO 1972, L 299, p. 32.

( 7 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 (JO 2001, L 12, p. 1).

( 8 ) Arrêt du 1er mars 2005, Owusu (C‑281/02, EU:C:2005:120, points 34 et 35). Voir, également, avis 1/03 (Nouvelle convention de Lugano), du 7 février 2006 (EU:C:2006:81, points 146 à 148).

( 9 ) L’article 81, paragraphe 2, TFUE prévoit ainsi l’adoption de mesures d’harmonisation en matière de coopération judiciaire civile « notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur » (souligné par mes soins).

( 10 ) Voir point 13 du rapport explicatif d’A. Borrás (JO 1998, C 221, p. 27), rédigé dans le cadre de la procédure d’adoption de la convention établie sur la base de l’article K.3 du [TUE], concernant la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale conclue à Bruxelles le 28 mai 1998 (JO 1998, C 221, p. 1, dite « convention de Bruxelles II »).

( 11 ) Voir, notamment, Cour de Cassation (France), 1ère chambre civile, 13 mai 2015, no 15-10.872 ; Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni), Re B (A Child) (Habitual Residence : Inherent Jurisdiction) [2016] UKSC 4, point 29, ainsi que High Court of Ireland (tribunal supérieur, Irlande) O’K v A, 1er juillet 2008, [2008] IEHC 243, point 5.8.

( 12 ) Voir, notamment, Gallant, E., « Règlement Bruxelles II bis : compétence, reconnaissance et exécution en matières matrimoniale et de responsabilité parentale », Répertoire de droit international, Dalloz, 2013, points 24 et suiv., ainsi que Magnus, U., et Mankowski, P., European Commentaries on Private International Law : Brussels II bis Regulation, Sellier European Law Publisher, 2012, p. 21.

( 13 ) La Cour a déjà jugé qu’une juridiction nationale peut lui soumettre une demande d’interprétation « alors même qu’elle se fonderait sur des allégations d’une partie au principal dont ladite juridiction n’a pas encore vérifié le bien‑fondé, dès lors qu’elle estime, au regard des particularités de l’affaire, qu’une décision préjudicielle est nécessaire pour être en mesure de rendre son jugement et que les questions préjudicielles [...] sont pertinentes » [arrêt du 9 décembre 2003, Gasser (C‑116/02, EU:C:2003:657, point 27)]. En l’occurrence, la juridiction de renvoi estime que la réponse de la Cour à ses questions est nécessaire en vue de statuer sur sa compétence, étant entendu que le standard de preuve des faits pertinents qui doit être satisfait à cette fin diffère du standard applicable à l’établissement des faits sur le fond. À cet égard, la Cour a relevé dans l’arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, points 59 à 63) que l’étendue des obligations de contrôle incombant aux juridictions nationales lors de la vérification de leur compétence au titre du règlement Bruxelles I relève du droit procédural interne sous réserve de la préservation de l’effet utile de ce règlement. Selon la Cour, le juge national doit pouvoir se prononcer aisément sur sa compétence, sans être contraint d’examiner l’affaire au fond en procédant à une administration détaillée de la preuve des éléments de faits relatifs tant à la compétence qu’au fond. Cette logique s’impose également, à mon avis, s’agissant des règles de compétence prévues par le règlement Bruxelles II bis.

( 14 ) Il n’est pas contesté que le recours au principal a pour objet des questions relatives à la responsabilité parentale telle que définie à l’article 2, point 7, du règlement Bruxelles II bis.

( 15 ) La convention de La Haye de 1980 a recueilli la signature de tous les États membres. L’Union n’y a cependant pas adhéré. Par ailleurs, la République du Bangladesh n’est signataire ni de cette convention ni de la convention de La Haye de 1996.

( 16 ) Voir article 62, paragraphe 2, et considérant 17 du règlement Bruxelles II bis. En vertu de l’article 60, sous e), de ce règlement, les dispositions dudit règlement priment sur celles de la convention de La Haye de 1980. Voir arrêt du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 36).

( 17 ) Voir article 3 de la convention de La Haye de 1980 et article 2, point 11, du règlement Bruxelles II bis.

( 18 ) Voir article 12 de la convention de La Haye de 1980 et article 11 du règlement Bruxelles II bis.

( 19 ) Arrêts du 9 octobre 2014, C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, point 54), et du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 41).

( 20 ) Voir rapport explicatif d’E. Pérez‑Vera, Actes et documents de la XIVème session (1980), tome III (ci‑après le « rapport Pérez‑Vera »), points 16, 19 et 66. En particulier, le point 16 de ce document révèle que l’incapacité à fixer conventionnellement des critères de compétence en matière de droit de garde a conduit au choix de la voie du mécanisme de retour, laquelle, « bien que détournée, va, dans la plupart des cas, permettre que la décision finale sur la garde soit prise par les autorités de la résidence habituelle de l’enfant, avant son déplacement ».

( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2010, Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:665, point 84).

( 22 ) Voir points 24 et 25 du rapport Pérez‑Vera ainsi qu’arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 59 et jurisprudence citée).

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 66).

( 24 ) Dès l’adoption de la convention de La Haye de 1961, le critère de la résidence habituelle de l’enfant fut préféré tant à celui de la nationalité, qui fondait traditionnellement la compétence en matière de statut des personnes mais était jugé obsolète, qu’au critère du domicile, qui constituait une notion juridique définie différemment en fonction des droits nationaux. La résidence habituelle était considérée comme une « notion de fait » correspondant au « centre effectif de la vie du mineur » [rapport explicatif de M. W. de Steiger, Actes et documents de la IXème session (1960), tome IV, p. 9, 13 et 14]. Les travaux préparatoires à l’adoption de la convention de La Haye de 1980 réitèrent que la résidence habituelle constitue, contrairement au concept de « domicile », une « notion de pur fait » (rapport Pérez‑Vera, point 66). Lors des travaux préparatoires à l’adoption de la convention de La Haye de 1996, une proposition visant à insérer une définition de cette notion fut rejetée au motif qu’une telle définition aurait risqué de perturber l’interprétation des nombreuses autres conventions utilisant la même notion [rapport explicatif de P. Lagarde, Actes et documents de la XVIIIème session (1996), tome II, point 40]. Ces rapports sont également disponibles sur le site Internet https://www.hcch.net/fr/instruments.

( 25 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire A (C‑523/07, EU:C:2009:39, points 26 et 30).

( 26 ) J’emboîte ainsi le pas, notamment, aux juridictions britanniques et canadiennes, dont la jurisprudence recèle de nombreuses références aux décisions des juridictions d’autres États signataires de la convention de La Haye de 1980 ainsi que de notre Cour. Voir, notamment, Cour suprême du Canada, Balev, 2018 SCC 16, points 40 à 57, ainsi que Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni), A v A (Children : Habitual Residence), [2013] UKSC 60, points 46 et suiv.

( 27 ) [2013] UKSC 60.

( 28 ) Voir points 47 et suiv. des présentes conclusions.

( 29 ) [2013] UKSC 60, points 55 à 58.

( 30 ) Voir, en particulier, [2013] UKSC 60, points 82 à 93. De surcroît, la juridiction de renvoi a estimé dans des circonstances spécifiques, comparables à celles de l’affaire A v A (Children : Habitual Residence), qu’un enfant résidait habituellement au Royaume-Uni bien qu’il n’y ait jamais « mis les pieds ». Voir High Court of Justice (England & Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille], B v H (Habitual Residence : Wardship) [2002] 1 FLR 388.

( 31 ) Cour de cassation (France), 1ère chambre civile, 26 octobre 2011, no 10-19.905 (Bulletin 2011, I, no 178).

( 32 ) Voir points 47 ainsi que 54 à 63 des présentes conclusions.

( 33 ) Voir, notamment, arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 38) ; du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 47), et du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 42).

( 34 ) Arrêt du 28 juin 2018 (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 42). Voir, également, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire A (C‑523/07, EU:C:2009:39, point 38). Ce test correspond à celui du « centre effectif de la vie du mineur » énoncé dès les travaux préparatoires à la convention de La Haye de 1961 (voir note en bas de page 24 des présentes conclusions).

( 35 ) Arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 38), et du 9 octobre 2014, C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, point 51). Voir, également, arrêts du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 49) ; du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 43), et du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 41).

( 36 ) Arrêt du 22 décembre 2010 (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 44).

( 37 ) L’énonciation de ce critère se heurte à l’objection selon laquelle la nationalité de l’enfant représente un lien de rattachement autonome, de nature juridique, que les auteurs des conventions de La Haye (dont s’inspire le règlement Bruxelles II bis) ont, précisément, entendu écarter au bénéfice du critère factuel de la résidence habituelle de l’enfant (voir note en bas de page 24 des présentes conclusions). Voir Lamont, R., commentaire sous l’arrêt du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225), Common Market Law Review 47, 2010, p. 241. Dans cette optique, la nationalité de l’enfant n’entre en ligne de compte que dans la mesure où elle constitue un indice qui reflète la réalité sociale de l’environnement de l’enfant. Voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, points 57 à 60).

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 39), et du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 43).

( 39 ) Voir arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 40) ; du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 50) ; du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 46), et du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 46).

( 40 ) Voir, en ce sens, arrêts du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, points 48), et du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 49).

( 41 ) Selon le dictionnaire Larousse, la notion de « nourrisson » désigne l’enfant depuis la fin de la période néonatale jusqu’à l’âge de deux ans, tandis que celle de « nouveau‑né » s’entend des enfants âgés de 28 jours au plus. Par commodité, j’utiliserai le terme « nourrisson » pour englober ces deux catégories de très jeunes enfants. La petite fille en cause dans l’affaire au principal était un nourrisson à la date de la saisine de la juridiction de renvoi.

( 42 ) Arrêt du 22 décembre 2010 (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829).

( 43 ) Arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 52 à 54). Voir, également, arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 45).

( 44 ) Arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 44).

( 45 ) Voir arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 45).

( 46 ) Arrêts du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 45), et du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 45). Voir, également, arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 55 et 56).

( 47 ) Voir, en ce sens, Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume‑Uni), Re L (A Child) (Custody : Habitual Residence) [2013] UKSC 75, point 23 : « it is clear that parental intent does play a part in establishing or changing the habitual residence of a child : not parental intent in relation to habitual residence as a legal concept, but parental intent in relation to the reasons for a child’s leaving one country and going to stay in another. »

( 48 ) Voir arrêts du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, points 47 et 50), et du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 64).

( 49 ) Voir Cour suprême du Canada, 20 avril 2018, Balev, 2018 SCC 16, points 50 à 57.

( 50 ) Voir United States Court of Appeals, 6th Circuit (Cour d’appel pour le 6ème circuit, États-Unis d’Amérique), Friedrich v. Friedrich, 78 F.3d 1060 (1996) et Robert v. Tesson, 507 F.3d 981 (2007) ainsi que Cour d’appel de Montréal (Canada), 8 septembre 2000, no 500-09-010031-003.

( 51 ) Voir, notamment, United States Court of Appeals, 9th Circuit (Cour d’appel pour le 9ème circuit, États-Unis d’Amérique), Mozes v Mozes, 239 F 3d 1067 (2001) ainsi que United States Court of Appeals, 11th Circuit (Cour d’appel pour le 11ème circuit, États-Unis d’Amérique), Ruiz v. Tenorio, 392 F.3d 1247 (2004).

( 52 ) Voir point 47 des présentes conclusions.

( 53 ) Arrêt du 15 février 2017 (C‑499/15, EU:C:2017:118, point 61).

( 54 ) Voir, à cet égard, note en bas de page 37 des présentes conclusions.

( 55 ) Arrêt du 8 juin 2017 (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436).

( 56 ) Arrêt du 15 février 2017 (C‑499/15, EU:C:2017:118).

( 57 ) Conclusions dans l’affaire OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:375, points 57 et 61). Aux points 81 à 83, l’avocat général Wahl y nuance toutefois sa position en considérant qu’il ne saurait être exclu d’écarter le critère de la présence physique dans des circonstances exceptionnelles, pour autant qu’un lien de rattachement tangible existe avec un État membre dans lequel l’enfant ne s’est jamais rendu. Un tel lien devrait être fondé, dans l’intérêt de l’enfant, sur des « indices forts et réels » qui pourraient prédominer sur la présence physique.

( 58 ) Arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 35).

( 59 ) Arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, points 50 et suiv.).

( 60 ) Arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, points 49 et 50).

( 61 ) Voir points 49 à 50 des présentes conclusions.

( 62 ) [2013] UKSC 60, point 42.

( 63 ) Une troisième approche, selon laquelle l’enfant résiderait habituellement en France du seul fait qu’il s’y trouve depuis sa naissance, apparaît d’emblée exclue dès lors que cette présence fortuite ne saurait présenter le caractère de stabilité et de régularité requis en vue d’établir la résidence habituelle de l’enfant.

( 64 ) Contrairement à ce qu’a suggéré l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans l’affaire OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:375, point 85), l’approche que je propose ne revient aucunement à admettre que l’enfant puisse déjà disposer d’une résidence habituelle avant sa naissance ni, partant, qu’un enfant à naître puisse relever du champ d’application du règlement Bruxelles II bis. Cette approche se borne à refléter la réalité sociale selon laquelle un nourrisson ne saurait être intégré dans un environnement familial et social autonome et déconnecté de celui des personnes qui en prennent soin au quotidien.

( 65 ) Voir A v A (Children : Habitual Residence), [2013] UKSC 60, points 44 (jugement majoritaire) et 73 à 75 ainsi que points 83 et 84 (opinion dissidente). Voir également Re L (A Child) (Custody : Habitual Residence) [2013] UKSC 75, point 21.

( 66 ) Voir arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 50), et Re L (A Child) (Custody : Habitual Residence) [2013] UKSC 75, point 21 : « the proposition [...] that a young child in the sole lawful custody of his mother will necessarily have the same habitual residence as she does, is to be regarded as a helpful generalisation of fact, which will usually but not invariably be true, rather than a proposition of law ». Voir aussi Supreme Court of the United States (Cour suprême des États‑Unis d’Amérique), Delvoye v. Lee, 2003 U.S. LEXIS 7737 : « There is general agreement on a theoretical level that because of the factual basis of the concept there is no place for habitual residence of dependence. However, in practice it is often not possible to make a distinction between the habitual residence of a child and that of its custodian ».

( 67 ) Voir, à cet égard, opinion dissidente de Lord Hugues dans l’affaire A v A (Children : Habitual Residence), [2013] UKSC 60, point 92.

( 68 ) Arrêt du 2 avril 2009 (C‑523/07, EU:C:2009:225).

( 69 ) L’article 19, paragraphe 2, du règlement Bruxelles II bis permet cependant d’éviter les conflits de juridiction. Cette disposition prévoit que « [l]orsque des actions relatives à la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, ayant le même objet et la même cause, sont introduites auprès de juridiction d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie ».

( 70 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire A (C‑523/07, EU:C:2009:39, points 20 et 21).

( 71 ) Arrêt du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 43). L’article 13 du règlement Bruxelles II bis vise, en particulier, les cas exceptionnels de certains déménagements dans lesquels, durant une période transitoire, l’enfant a perdu sa résidence habituelle dans l’État de départ, sans avoir encore acquis de résidence habituelle dans l’État d’accueil. Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire A (C‑523/07, EU:C:2009:39, point 45) ainsi que Guide pratique pour l’application du règlement Bruxelles II bis de la Commission (disponible sur le site Internet https://publications.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/f7d39509-3f10-4ae2-b993-53ac6b9f93ed/language-fr, p. 29).

( 72 ) De surcroît, dans les cas de figure de ce type, une telle règle priverait le juge de la possibilité de tirer une conclusion simple relative à la résidence habituelle de l’enfant au regard de l’ensemble des autres circonstances pertinentes.

( 73 ) Il est, certes, permis de douter du fait que la mère ne s’attendait pas à accoucher au Bangladesh dans la mesure où elle a voyagé vers ce pays à plus de 7 mois de grossesse. Cependant, dès lors que la juridiction de renvoi affirme qu’elle doit déterminer sa compétence sur la base de l’allégation de la mère selon laquelle cette dernière a été forcée par le père d’accoucher au Bangladesh, je fonderai mon analyse sur cette prémisse.

( 74 ) Voir Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni), A v A (Children), [2013] UKSC 60 ainsi que High Court of Justice (England &Wales), Family Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la famille], B v H (Habitual Residence : Wardship) [2002] 1 FLR 388.

( 75 ) Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la juridiction nationale est amenée à se prononcer sur sa compétence sur la base de certains faits allégués par la mère et non encore établis (voir points 17 et 31 des présentes conclusions). Dans ces conditions, les développements qui suivent visent à assister cette juridiction aux fins de la détermination de la résidence habituelle de l’enfant dans une configuration factuelle correspondant à cette version des faits, sans préjudice de l’appréciation des faits quant au fond par cette juridiction.

( 76 ) Voir point 48 des présentes conclusions.

( 77 ) Sur cette même ligne, certaines juridictions des États-Unis d’Amérique ont tenu compte de la contrainte exercée sur la mère d’un enfant aux fins de déterminer la résidence de celui‑ci. Ainsi, la District Court of Utah (tribunal régional de l’État de Utah, États-Unis d’Amérique) a jugé que l’enfant, bien qu’il séjournât en Allemagne, n’y résidait pas habituellement dès lors que la mère et l’enfant étaient empêchés de quitter ce pays en raison d’abus verbaux, émotionnels et physiques commis par le père [Re Ponath, 829 F. Supp. 363 (1993)]. La District Court of Washington (tribunal régional de l’État de Washington, États-Unis d’Amérique) a considéré que la mère des enfants en cause ne résidait pas habituellement en Grèce, où elle vivait avec ceux‑ci de façon socialement isolée et privée d’autonomie, sans en connaître les normes culturelles ni la langue, avec un accès limité aux ressources financières, tout en étant victime d’actes de violence commis par le père [Tsarbopoulos v. Tsarbopoulos, 176 F. Supp. 2d 1045, (2001)]. La District Court of Minnesota (tribunal régional de l’État de Minnesota, États‑Unis d’Amérique) a tenu compte de la circonstance selon laquelle le père avait empêché la mère de quitter le territoire d’Israël, dont ils possédaient tous les deux la nationalité et où la mère avait passé 11 mois avec le père et leurs enfants, aux fins d’exclure que ces enfants résident habituellement dans cet État [Silverman v. Silverman, 2002 U.S. Dist. LEXIS 8313].

( 78 ) Voir arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, points 52 à 58).

( 79 ) Voir points 65 à 71 des présentes conclusions.

( 80 ) Arrêt du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 48). Voir point 60 des présentes conclusions.

( 81 ) La Commission soutient que l’intention unilatérale d’un seul des parents cotitulaires de la responsabilité parentale ne saurait en aucun cas compenser le défaut de présence physique de l’enfant dans l’État membre en cause. Cette argumentation doit être réfutée à la lumière de l’arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 63), dont il ressort que l’intention du parent qui, tout en étant titulaire d’un droit de garde, ne garde pas effectivement l’enfant, ne doit être prise en compte que dans la mesure où il entend exercer son droit de garde. Par conséquent, l’intention unilatérale du seul parent qui entend effectivement exercer son droit de garde peut être prise en considération. Cette solution est, du reste, conforme à l’esprit de la procédure de retour prévue par la convention de La Haye de 1980 et complétée par le règlement Bruxelles II bis. En effet, l’article 3, sous b), de cette convention, dont l’article 2, point 11, sous b), de ce règlement reprend la substance, prévoit que le déplacement ou le non‑retour d’un enfant n’est illicite que s’il a lieu en violation d’un droit de garde en vertu du droit de l’État de la résidence habituelle de l’enfant et que ce droit de garde était effectivement exercé au moment du déplacement ou du non‑retour ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

( 82 ) Voir arrêt du 28 juin 2018, HR (C‑512/17, EU:C:2018:513, point 48).

( 83 ) Aux termes de l’arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 51), si le séjour de l’enfant dans l’État membre en cause « doit en principe être d’une certaine durée pour traduire une stabilité suffisante », le règlement Bruxelles II bis ne prévoit pas de durée minimale, la durée du séjour ne constituant qu’un indice parmi d’autres.

( 84 ) Voir point 71 des présentes conclusions.

( 85 ) Voir considérant 12 du règlement Bruxelles II bis et considérant 33 de ce règlement, aux termes duquel ledit règlement reconnaît et respecte les droits fondamentaux garantis par la Charte.

( 86 ) Voir point 36 des présentes conclusions.

( 87 ) Voir, notamment, arrêt du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 51).

( 88 ) Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH »), la juridiction des États contractants, au sens de l’article 1er de la CEDH, est en principe limitée à leur propre territoire. Ce principe ne connaît d’exceptions que dans des circonstances bien déterminées et étrangères au contexte factuel de la présente affaire. Voir, notamment, Cour EDH, 7 juillet 2011, Al‑Skeini e.a. c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2011:0707JUD005572107, § 130 à 142 ainsi que jurisprudence citée).

( 89 ) Si la République du Bangladesh n’est liée ni par la CEDH ni par la Charte, les articles 7 et 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations unies et entré en vigueur le 23 mars 1976 – instrument auquel la République du Bangladesh a adhéré – garantissent des droits analogues à ceux prévus, respectivement, aux articles 3 et 5 de la CEDH et aux articles 4 et 6 de la Charte.

( 90 ) Voir, à ce sujet, l’opinion dissidente de Lord Sumption dans l’affaire Re B (A Child) (Habitual Residence : Inherent Jurisdiction) [2016] UKSC 4, points 66 et 76. Il y est soutenu que la seule désapprobation des règles qui s’appliqueraient en vertu du droit du pays où l’enfant est présent ne saurait suffire à fonder la compétence des juridictions du Royaume‑Uni.