ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 juillet 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Union douanière — Tarif douanier commun — Régimes économiques douaniers — Perfectionnement passif — Règlement (CEE) no 2913/92 — Article 148, sous c) — Délivrance d’une autorisation — Conditions économiques — Absence d’atteinte grave aux intérêts essentiels des transformateurs communautaires — Notion de “transformateurs communautaires”»

Dans l’affaire C‑4/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 19 décembre 2014, parvenue à la Cour le 12 janvier 2015, dans la procédure

Staatssecretaris van Financiën

contre

Argos Supply Trading BV,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Lycourgos, E. Juhász, C. Vajda, et Mme K. Jürimäe (rapporteur), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 janvier 2016,

considérant les observations présentées :

pour Argos Supply Trading BV, par MM. J. A. G. Winkels et O. R. L. Gemin, belastingadviseurs,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et B. Koopman, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes K. Nasopoulou et K. Karavasili, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme L. Grønfeldt ainsi que par MM. H. Kranenborg et A. Lewis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 148, sous c), du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 19, ci-après le « code des douanes »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) à Argos Supply Trading BV (ci-après « Argos ») au sujet du rejet, par les autorités douanières néerlandaises, d’une demande d’autorisation de recourir au régime du perfectionnement passif formée par cette société.

Le cadre juridique

Le règlement (CEE) no 2473/86

3

Le règlement (CEE) no 2473/86 du Conseil, du 24 juillet 1986, relatif au régime du perfectionnement passif et au système des échanges standard (JO 1986, L 212, p. 1), contenait les dispositions applicables à ce régime douanier jusqu’à l’entrée en vigueur du code des douanes. Le premier considérant de ce règlement énonçait :

« considérant que, dans le cadre de la division internationale du travail, de nombreuses entreprises communautaires recourent au régime du perfectionnement passif, à savoir l’exportation de marchandises en vue de leur réimportation après transformation, ouvraison ou réparation ; que le recours à ce régime est justifié par des motifs de caractère économique ou technique ».

Le code des douanes

4

Depuis le 1er mai 2016, le règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, et rectificatif, JO 2013, L 287, p. 90), a remplacé le code des douanes. Néanmoins, compte tenu de la date des faits en cause au principal, le code des douanes demeure applicable à la présente affaire.

5

Les troisième et quatrième considérants du code des douanes énonçaient :

« considérant que, partant de l’idée d’un marché intérieur, le code doit contenir les règles et procédures générales assurant l’application des mesures tarifaires et autres instaurées sur le plan communautaire dans le cadre des échanges des marchandises entre [l’Union européenne] et les pays tiers, y compris les mesures de politique agricole et de politique commerciale, en tenant compte des exigences de ces politiques communes ;

considérant qu’il convient de préciser que le présent code s’applique sans préjudice de dispositions particulières établies dans d’autres domaines ; que de telles règles particulières peuvent notamment exister ou être mises en place dans le cadre de la réglementation agricole, statistique ou de politique commerciale et des ressources propres ».

6

L’article 84 du code des douanes disposait que, lorsque le terme « régime douanier économique » était utilisé aux articles 85 à 90 de ce code, il s’entendait comme s’appliquant, notamment, à la transformation sous douane et au perfectionnement passif.

7

Conformément à l’article 85 dudit code, le recours à tout régime douanier économique était subordonné à la délivrance par les autorités douanières d’une autorisation.

8

L’article 133 du même code disposait :

« L’autorisation [de transformation sous douane] n’est accordée que :

[...]

e)

dans le cas où sont remplies les conditions nécessaires pour que le régime puisse contribuer à favoriser la création ou le maintien d’une activité de transformation de marchandises [dans l’Union] sans qu’il soit porté atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires de marchandises similaires (conditions économiques) [...] »

9

L’article 145 du code des douanes prévoyait :

« 1.   Le régime du perfectionnement passif permet [...] d’exporter temporairement des marchandises communautaires en dehors du territoire douanier [de l’Union] en vue de les soumettre à des opérations de perfectionnement et de mettre les produits résultant de ces opérations en libre pratique en exonération totale ou partielle des droits à l’importation.

[...]

3.   On entend par :

a)

marchandises d’exportation temporaire : les marchandises placées sous le régime de perfectionnement passif ;

b)

opérations de perfectionnement : les opérations visées à l’article 114, paragraphe 2, point c), premier, deuxième et troisième tirets ;

c)

produits compensateurs : tous les produits résultant d’opérations de perfectionnement ;

[...] »

10

L’article 148 de ce code énonçait :

« L’autorisation [de perfectionnement passif] n’est accordée que :

[...]

c)

pour autant que l’octroi du bénéfice du régime du perfectionnement passif ne soit pas de nature à porter gravement atteinte aux intérêts essentiels des transformateurs communautaires (conditions économiques). »

11

L’article 151, paragraphe 1, dudit code prévoyait :

« L’exonération totale ou partielle des droits à l’importation prévue à l’article 145 consiste à déduire du montant des droits à l’importation afférents aux produits compensateurs mis en libre pratique le montant des droits à l’importation qui seraient applicables à la même date aux marchandises d’exportation temporaire si elles étaient importées sur le territoire douanier [de l’Union] en provenance du pays où elles ont fait l’objet de l’opération ou de la dernière opération de perfectionnement. »

Le règlement d’application

12

Le règlement (CEE) no 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du règlement no 2913/92 (JO 1993, L 253, p. 1), a été abrogé, avec effet à compter du 1er mai 2016, par le règlement d’exécution (UE) no 2016/481 de la Commission, du 1er avril 2016 (JO 2016, L 87, p. 24). Néanmoins, compte tenu de la date des faits de l’affaire au principal, le règlement no 2454/93, tel que modifié par le règlement (CE) no 993/2001 de la Commission, du 4 mai 2001 (JO 2001, L 141, p. 1) (ci-après le « règlement d’application »), demeure applicable à ladite affaire.

13

Le chapitre 6 du titre III du règlement d’application, intitulé « Régimes douaniers économiques », se rapportait au régime du perfectionnement passif. Figurant à ce chapitre, l’article 585 de ce règlement disposait :

« 1.   Sauf s’il existe des indications contraires, les intérêts essentiels des transformateurs communautaires sont considérés comme n’étant pas gravement atteints.

[...] »

La nomenclature combinée

14

La nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1214/2007 de la Commission, du 20 septembre 2007 (JO 2007, L 286, p. 1), contient un chapitre 22 intitulé « Boissons, liquides alcooliques et vinaigres ». Ce chapitre comprend, notamment, la sous-position 2207 10 00, libellée « Alcool éthylique non dénaturé d’un titre alcoométrique volumique de 80 % vol ou plus ». Les marchandises classées sous cette position sont soumises à des droits de douanes de 19,2 euros par hectolitre, équivalents à un prélèvement d’environ 40 % ad valorem.

15

La sous-position 3824 90 97, libellée « Autres », figure au chapitre 38, intitulé « Produits divers des industries chimiques », de cette nomenclature combinée. Les droits de douanes applicables aux marchandises visées par cette sous-position s’élèvent à 6,5 % ad valorem.

16

Conformément aux sous-positions 2710 11 25 à 2710 11 90, figurant au sein du chapitre 27 de ladite nomenclature combinée, intitulé « Combustibles minéraux, huiles minérales et produits de leur distillation ; matières bitumineuses ; cires minérales », l’ensemble des marchandises correspondant au libellé « essences pour moteur » est soumis à un prélèvement de 4,7 % ad valorem.

Le litige au principal et la question préjudicielle

17

Le 30 juin 2008, Argos a introduit auprès des autorités douanières néerlandaises une demande au titre de l’article 85 du code des douanes, en vue de la délivrance d’une autorisation de recourir au régime du perfectionnement passif. Cette société entendait placer sous ce régime de l’essence d’origine communautaire, destinée à être exportée afin d’être incorporée à du bioéthanol provenant d’un État tiers et n’ayant pas été mis en libre pratique dans l’Union. Par ce mélange, présentant un rapport d’environ 15 unités d’essence pour 85 unités de bioéthanol, Argos aurait obtenu de l’éthanol 85 (ci-après l’« E 85 »), un biocarburant utilisable dans certains véhicules adaptés, dits à « carburant modulable ».

18

Il ressortait de cette demande qu’Argos projetait de procéder audit mélange en haute mer. L’essence et le bioéthanol auraient été chargés, depuis un port néerlandais, à bord d’un navire, dans deux compartiments séparés par une cloison. Après l’appareillage dudit navire, une fois celui-ci parvenu au-delà des eaux territoriales de l’Union, cette cloison aurait été retirée de manière à ce que les deux composants se mélangent, l’effet des vagues stimulant ce processus. Le navire serait par la suite retourné aux Pays-Bas.

19

L’E 85 ainsi obtenu aurait alors été déclaré à la douane pour sa mise en libre pratique dans l’Union et soumis aux droits de douane afférents à ce produit, s’élevant à 6,5 % ad valorem. Dans ce cadre, l’application du régime du perfectionnement passif aurait permis à Argos de bénéficier d’une réduction de ces droits équivalente au montant des droits de douane, au taux de 4,7 % ad valorem, qui auraient été applicables à la même date à l’essence d’origine communautaire si elle avait été importée et mise en libre pratique dans l’Union en provenance du lieu où elle a été mélangée.

20

Les autorités douanières néerlandaises ont soumis, pour avis, la demande d’Argos à la Commission européenne afin qu’elle examine si les conditions économiques auxquelles l’article 148, sous c), du code des douanes subordonne l’octroi d’une autorisation de recourir au régime du perfectionnement passif étaient remplies. La Commission a, ensuite, sollicité l’avis du comité du code des douanes (ci-après le « comité ») sur cette demande.

21

Le comité a estimé qu’il convenait de refuser à Argos le bénéfice du recours à ce régime, au motif que lesdites conditions n’étaient pas réunies. Il a fondé sa décision sur les arguments exposés par la Commission lors d’une réunion du comité qui s’est tenue le 11 novembre 2009. Au cours de ladite réunion, cette institution a fait valoir que l’importation d’une grande quantité d’E 85 dans l’Union affecterait gravement les intérêts essentiels des producteurs communautaires de bioéthanol. En effet, l’E 85 importé serait en concurrence directe avec le bioéthanol communautaire, l’E 85 étant essentiellement composé de bioéthanol. Or, selon la Commission, l’industrie communautaire du bioéthanol ferait face à une situation de surcapacité.

22

Par une décision du 13 avril 2010, les autorités douanières néerlandaises ont, en se référant à ces arguments, rejeté la demande d’Argos. Cette société a alors introduit un recours contre la décision rejetant sa demande devant le Rechtbank Haarlem (tribunal de Haarlem, Pays-Bas), lequel n’a pas fait droit à son recours.

23

Argos a interjeté appel de la décision du Rechtbank Haarlem (tribunal de Haarlem) devant le Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas). Par une décision du 3 octobre 2013, cette dernière juridiction a infirmé la décision de première instance, en considérant, notamment, que, afin d’établir si les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours au régime du perfectionnement passif étaient en l’occurrence remplies, il convenait de vérifier si la transformation d’essence communautaire en E 85 sous le régime du perfectionnement passif conduisait à porter atteinte, non pas aux intérêts essentiels des producteurs communautaires de bioéthanol, mais à ceux des producteurs communautaires d’E 85. Or, selon ladite juridiction, dès lors que les autorités douanières néerlandaises ne disposaient pas d’éléments faisant apparaître que le bénéfice du régime sollicité aurait conduit à affecter les intérêts de ces derniers producteurs, elles auraient dû considérer que lesdites conditions économiques étaient remplies, conformément à la présomption prévue à l’article 585, paragraphe 1, du règlement d’application. Le secrétaire d’État aux finances s’est alors pourvu en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

24

Cette juridiction considère que l’issue de ce pourvoi dépend de l’interprétation de la notion de « transformateurs communautaires » figurant à l’article 148, sous c), du code des douanes et, plus spécifiquement, de la question de savoir si cette notion est susceptible d’inclure les producteurs communautaires de bioéthanol.

25

Ladite juridiction nourrit, en particulier, des doutes quant au point de savoir s’il y a lieu d’étendre, par analogie, au régime du perfectionnement passif, la réponse donnée par la Cour dans l’arrêt du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods (C‑11/05, EU:C:2006:312), s’agissant du régime de la transformation sous douane. Il ressortirait de cet arrêt que, dans le cadre de l’examen du respect des conditions économiques auxquelles est subordonné le recours à ce dernier régime, doivent être pris en compte tant les intérêts économiques des producteurs communautaires du produit fini obtenu à la suite de la transformation que ceux des producteurs communautaires des matières premières utilisées au cours de cette transformation.

26

Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans le cadre de l’appréciation des conditions économiques requises en vue du régime du perfectionnement passif, convient-il d’interpréter la notion de “transformateurs communautaires”, figurant à l’article 148, sous c), du code des douanes, en ce sens qu’elle vise notamment des producteurs communautaires des matières premières ou des produits semi-finis identiques à ceux qui sont transformés en tant que marchandises non communautaires dans le processus de perfectionnement ? »

Sur la question préjudicielle

Observations liminaires

27

En premier lieu, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a indiqué, dans sa décision de renvoi, que, dans les circonstances factuelles de l’affaire au principal, telles qu’établies par le Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam), aucun élément ne faisait apparaître que le bénéfice du régime du perfectionnement passif sollicité par Argos affecterait les intérêts essentiels des producteurs communautaires d’E 85.

28

Cependant, la Commission conteste cette prémisse et fait valoir, en substance, que le recours à ce régime affecterait tant les intérêts essentiels des producteurs communautaires de bioéthanol que ceux des producteurs communautaires d’E 85. Cela ressortirait, en particulier, du compte rendu de la réunion du comité du 11 novembre 2009, mentionnée au point 21 du présent arrêt. Or, selon la Commission, dans l’hypothèse où il serait admis que le bénéfice dudit régime affecterait également les intérêts essentiels des producteurs communautaires d’E 85, la question préjudicielle serait dépourvue d’intérêt.

29

Dans la mesure où la Commission entend remettre en cause le cadre factuel de l’affaire au principal tel qu’il ressort de la décision de renvoi, il convient de rappeler que, dans le contexte de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence du juge national. La Cour est donc uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte du droit de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 1998, Dumon et Froment, C‑235/95, EU:C:1998:365, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

30

Il n’appartient donc pas à la Cour d’apprécier si, dans l’affaire au principal, le bénéfice du perfectionnement passif sollicité par Argos porterait ou non atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires d’E 85. Il lui revient, en revanche, de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi en partant de l’hypothèse établie par cette dernière, selon laquelle les intérêts de ces producteurs ne seraient pas affectés.

31

En second lieu, s’agissant de l’argument du gouvernement hellénique selon lequel le régime du perfectionnement passif ne s’appliquerait pas à des opérations de perfectionnement effectuées en haute mer, dans la mesure où l’article 151, paragraphe 1, du code des douanes exigerait que de telles opérations se déroulent dans un « pays » déterminé, il y a lieu de retenir, à l’instar de M. l’avocat général aux points 46 à 49 de ses conclusions, que, compte tenu notamment du libellé de l’article 145 de ce code, ce régime peut s’appliquer dès lors que lesdites opérations se déroulent en dehors du territoire douanier de l’Union. Ainsi, la circonstance que, dans l’affaire au principal, les opérations envisagées par Argos devaient avoir lieu en haute mer n’est pas de nature à empêcher l’application des dispositions du code des douanes relatives à ce régime douanier économique.

Sur le fond

32

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 148, sous c), du code des douanes doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une demande d’autorisation de recourir au régime du perfectionnement passif, afin d’apprécier si les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours à ce régime sont remplies, il y a lieu de tenir compte non seulement des intérêts essentiels des producteurs communautaires des produits analogues au produit fini qui résulterait des opérations de perfectionnement envisagées, mais également de ceux des producteurs communautaires des produits analogues aux matières premières ou aux produits semi-finis non communautaires destinés à être incorporés aux marchandises communautaires d’exportation temporaire au cours de ces opérations.

33

Selon cette juridiction, il conviendrait, notamment, de savoir si la réponse donnée par la Cour dans l’arrêt du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods (C‑11/05, EU:C:2006:312, point 52), s’agissant du régime de la transformation sous douane, est transposable à celui du perfectionnement passif. En effet, dans cet arrêt, la Cour a jugé que, dans le cadre de l’appréciation des conditions économiques prévues à l’article 133, sous e), du code des douanes, pour le recours à la transformation sous douane, il doit être tenu compte non seulement du marché des produits finis, mais également de la situation économique du marché des matières premières utilisées pour fabriquer lesdits produits.

34

À cet égard, il y a lieu de faire observer que, ainsi qu’il résulte de l’article 84 du code des douanes, le perfectionnement passif et la transformation sous douane constituent tous deux des régimes douaniers économiques. Le recours à l’un ou à l’autre de ces régimes nécessite, conformément à l’article 85 de ce code, une autorisation délivrée par les autorités douanières. Pour ces deux régimes, cette autorisation est subordonnée, notamment, au respect de conditions, dites « économiques », prévues, s’agissant de la transformation sous douane, à l’article 133, sous e), dudit code et, concernant le perfectionnement passif, à l’article 148, sous c), du même code.

35

Toutefois, lesdites conditions économiques sont libellées en des termes différents selon le régime concerné. En effet, l’article 148, sous c), du code des douanes dispose que l’autorisation de perfectionnement passif n’est donnée que pour autant que l’octroi du bénéfice de ce régime ne soit pas de nature à porter gravement atteinte aux intérêts essentiels des transformateurs communautaires. L’article 133, sous e), de ce code énonce pour sa part que l’autorisation de transformation sous douane n’est accordée que dans le cas où sont remplies les conditions nécessaires pour que ce régime puisse contribuer à favoriser la création ou le maintien d’une activité de transformation de marchandises dans l’Union, sans qu’il soit porté atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires de marchandises similaires.

36

En particulier, l’utilisation de la notion de « transformateurs » à l’article 148, sous c), du code des douanes tend à indiquer que, aux fins d’apprécier si les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours au régime du perfectionnement passif sont remplies, il conviendrait uniquement de s’attacher aux intérêts essentiels des industriels effectuant, dans l’Union, des opérations de transformation, lesdites conditions ayant, partant, un objet plus réduit que celles de la transformation sous douane, telles qu’interprétées par la Cour dans l’arrêt du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods (C‑11/05, EU:C:2006:312).

37

Néanmoins, les termes de l’article 148, sous c), du code des douanes ne sont pas dépourvus d’ambiguïté. En effet, ils ne précisent ni les marchés concernés par les activités desdits « transformateurs » ni les éléments spécifiques à prendre en compte pour apprécier une éventuelle atteinte à leurs intérêts essentiels. Par conséquent, il y a lieu d’interpréter cette disposition à la lumière de l’économie générale et de la finalité du régime du perfectionnement passif (voir, en ce sens, arrêts du 19 juin 1980, Roudolff, 803/79, EU:C:1980:166, point 7, et du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, EU:C:2006:312, point 47).

38

À cet égard, il résulte de l’article 145 du code des douanes que le régime du perfectionnement passif permet d’exporter temporairement des marchandises communautaires en dehors du territoire douanier de l’Union, en vue de les soumettre à des opérations de perfectionnement et de mettre les produits résultant de ces opérations, dénommés « produits compensateurs », en libre pratique en exonération totale ou partielle des droits à l’importation. Plus spécifiquement, en vertu de l’article 151, paragraphe 1, de ce code, le bénéfice dudit régime entraîne la déduction, des droits à l’importation afférents auxdits produits compensateurs, d’un montant équivalent aux droits à l’importation qui seraient applicables à la même date aux marchandises communautaires temporairement exportées si elles étaient importées sur le territoire douanier de l’Union en provenance du pays où elles ont fait l’objet de l’opération ou de la dernière opération de perfectionnement.

39

Un tel régime se justifie par sa finalité, à savoir éviter l’imposition douanière des marchandises exportées aux fins de perfectionnement au moment de leur réimportation sur le territoire de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 1997, Wacker Werke, C‑142/96, EU:C:1997:386, point 21, et du 2 octobre 2003, GEFCO, C‑411/01, EU:C:2003:536, point 51). À cet égard, il résulte du premier considérant du règlement no 2473/86 que, en instituant ce régime, le législateur a entendu prendre acte du fait que les entreprises de l’Union font souvent réaliser, pour des raisons économiques ou techniques, des opérations de perfectionnement sur le territoire d’État tiers avant de réimporter les marchandises ainsi perfectionnées dans l’Union.

40

Il s’ensuit que l’objectif cardinal d’un tel régime douanier économique est de neutraliser, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, certaines conséquences, jugées néfastes à l’industrie de l’Union, qui résulteraient de l’application des régimes communs de l’importation et de l’exportation.

41

Dans ce cadre, les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours au régime du perfectionnement passif, figurant à l’article 148, sous c), du code des douanes, ont pour fonction de permettre aux autorités douanières d’apprécier si le recours au perfectionnement passif est essentiellement favorable à ladite industrie, en veillant à ce que les avantages qu’un opérateur tirerait du bénéfice dudit régime n’entraînent pas, en contrepartie, des désavantages significatifs pour d’autres producteurs de l’Union. Lesdites conditions économiques devraient donc être interprétées d’une manière permettant aux autorités douanières de prendre pleinement en compte de tels conflits d’intérêts au sein de l’industrie de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, EU:C:2006:312, points 49 et 50).

42

S’agissant de ces conflits d’intérêts, il y a lieu de constater que, en favorisant la délocalisation d’opérations de perfectionnement de marchandises communautaires en dehors de l’Union, le bénéfice du régime du perfectionnement passif octroyé à un opérateur communautaire est susceptible d’affecter principalement les intérêts essentiels des industriels effectuant, dans l’Union, des opérations de perfectionnement similaires, c’est-à-dire les producteurs des produits analogues à celui qui résulterait du perfectionnement passif.

43

Cependant, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles l’opération de perfectionnement envisagée par Argos implique l’intégration, aux marchandises communautaires temporairement exportées, d’une quantité significative d’une matière première non communautaire, à savoir du bioéthanol, et dans lesquelles les droits de douane afférents à cette matière première, d’environ 40 % ad valorem, sont sensiblement plus élevés que ceux qui seraient applicables au produit compensateur obtenu à l’issue de cette opération, l’E 85 étant imposé à hauteur de 6,5 % ad valorem, il y a lieu de constater que le recours au régime du perfectionnement passif pour cette opération serait également de nature à porter gravement atteinte aux intérêts essentiels des opérateurs produisant dans l’Union ladite matière première.

44

En effet, effectuer cette même opération de perfectionnement en dehors de l’Union permettrait à une société telle qu’Argos d’importer dans l’Union la part correspondant à cette même matière première en échappant au paiement des droits de douanes qui lui sont applicables, et qui tendent précisément à protéger lesdits producteurs communautaires contre une telle importation. Dans cette situation, le bénéfice du régime du perfectionnement passif fournirait un avantage supplémentaire à l’opérateur sollicitant ce régime, consistant en l’exonération partielle qu’il obtiendrait sur les droits de douanes applicables au produit compensateur, rendant ainsi encore plus avantageux ce type d’opérations pourtant défavorables aux intérêts des producteurs de l’Union.

45

Il découle des éléments qui précèdent que, à l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods (C‑11/05, EU:C:2006:312), s’agissant du régime de la transformation sous douane, l’article 148, sous c), du code des douanes doit être interprété en ce sens que, afin d’apprécier le point de savoir si les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours au régime du perfectionnement passif sont remplies par une demande d’autorisation de recourir à ce régime, il convient non seulement de tenir compte des intérêts essentiels des producteurs communautaires des produits analogues au produit qui résulterait des opérations de perfectionnement envisagées, mais également de ceux des producteurs communautaires des produits analogues aux matières premières ou aux produits semi-finis non communautaires destinés à être incorporés aux marchandises communautaires d’exportation temporaire au cours de ces opérations. La notion de « transformateurs communautaires », figurant à l’article 148, sous c), du code des douanes, doit donc être lue comme incluant ces différents producteurs de l’Union.

46

Contrairement à ce qu’avance Argos devant la Cour, cette interprétation n’est pas remise en cause par l’affirmation figurant au point 21 de l’arrêt du 17 juillet 1997, Wacker Werke (C‑142/96, EU:C:1997:386), selon laquelle l’éventuelle survenance d’anomalies tarifaires qui auraient pour conséquence de fournir un avantage douanier à un opérateur économique sollicitant le bénéfice du régime du perfectionnement passif est un risque inhérent au système instauré par ce régime.

47

En effet, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt portait sur la question de savoir s’il était conforme au système du perfectionnement passif que, dans cette affaire, les droits afférents aux marchandises d’exportation temporaire aient excédé ceux afférents aux produits compensateurs, de sorte que le recours à ce régime ait potentiellement abouti à une exonération totale des droits à l’importation pour ces derniers produits, et non sur celle, distincte, de savoir quels intérêts pouvaient être pris en compte lors de l’examen des conditions économiques auxquelles est subordonné le recours audit régime. Ainsi, dans ledit arrêt, la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si les conséquences d’anomalies tarifaires peuvent ou non être retenues dans le cadre de cet examen.

48

Enfin, l’interprétation figurant au point 45 du présent arrêt tient compte des exigences de la politique agricole commune, ainsi que le requièrent les troisième et quatrième considérants du code des douanes (voir, par analogie, arrêt du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, EU:C:2006:312, point 51). En effet, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte de la lecture conjointe de l’article 38 TFUE et des positions ex 22.08 et ex.22.09 de l’annexe I du traité FUE, la production de bioéthanol dans l’Union constitue une activité agricole relevant de cette politique commune et bénéficiant, en principe, de la protection offerte par les droits de douane particulièrement élevés applicables à l’importation dudit produit dans l’Union. L’interprétation retenue permet ainsi d’assurer cette protection, en excluant que le régime du perfectionnement passif favorise un opérateur désireux d’éluder ces mêmes droits de douane.

49

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 148, sous c), du code des douanes doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une demande d’autorisation de recourir au régime du perfectionnement passif, afin d’apprécier si les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours à ce régime sont remplies, il y a lieu de tenir compte non seulement des intérêts essentiels des producteurs communautaires des produits analogues au produit fini qui résulterait des opérations de perfectionnement envisagées, mais également de ceux des producteurs communautaires des produits analogues aux matières premières ou aux produits semi-finis non communautaires destinés à être incorporés aux marchandises communautaires d’exportation temporaire au cours de ces opérations.

Sur les dépens

50

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

L’article 148, sous c), du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’une demande d’autorisation de recourir au régime du perfectionnement passif, afin d’apprécier si les conditions économiques auxquelles est subordonné le recours à ce régime sont remplies, il y a lieu de tenir compte non seulement des intérêts essentiels des producteurs communautaires des produits analogues au produit fini qui résulterait des opérations de perfectionnement envisagées, mais également de ceux des producteurs communautaires des produits analogues aux matières premières ou aux produits semi-finis non communautaires destinés à être incorporés aux marchandises communautaires d’exportation temporaire au cours de ces opérations.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.