ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

25 avril 2013 (*)

«Manquement d’État – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Exonération du droit d’accise sur le carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées – Maintien de l’exonération après l’expiration de la période transitoire – Violation»

Dans l’affaire C‑55/12,

ayant pour objet un recours au manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 2 février 2012,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et W. Mölls, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par Mme E. Creedon, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. D. Šváby et C. Vajda (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en accordant l’exonération du droit d’accise sur le carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées sans respecter les niveaux minimaux de taxation prévus par la directive 2003/96/CE du Conseil, du 23 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO L 283, p. 51), telle que modifiée par la directive 2004/74/CE du Conseil, du 29 avril 2004 (JO L 195, p. 26, ci-après la «directive 2003/96»), l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

2        La directive 2003/96 fixe les niveaux minimaux de taxation applicables par les États membres aux produits énergétiques et à l’électricité. Elle donne par ailleurs à ces États la faculté d’appliquer des taux de taxation différenciés et d’accorder des exonérations ou des réductions du niveau de taxation, dans le respect des conditions prévues par cette directive.

3        L’article 1er de la directive 2003/96 dispose:

«Les États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive.»

4        L’article 2, paragraphe 3, de cette directive prévoit:

«Lorsqu’ils sont destinés à être utilisés, mis en vente ou utilisés comme carburant ou comme combustible, les produits énergétiques autres que ceux pour lesquels un niveau de taxation est précisé dans la présente directive sont taxés en fonction de leur utilisation, au taux retenu pour le combustible ou le carburant équivalent.

Outre les produits imposables visés au paragraphe 1, tout produit destiné à être utilisé, mis en vente ou utilisé comme carburant ou comme additif ou en vue d’accroître le volume final des carburants est taxé au taux applicable au carburant équivalent.

[...]»

5        L’article 4 de ladite directive est libellé comme suit:

«1.      Les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité visés à l’article 2 ne peuvent être inférieurs aux niveaux minima prévus par la présente directive.

2.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘niveau de taxation’ le montant total d’impôts indirects (à l’exception de la [taxe sur la valeur ajoutée, ci-après la ‘TVA’]) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation.»

6        L’article 6, sous c), de la directive 2003/96 donne la faculté aux États membres d’accorder les exonérations ou les réductions du niveau de taxation prévues par cette directive, notamment «sous la forme d’un remboursement total ou partiel du montant de la taxe».

7        L’article 18, paragraphe 1, de cette directive prévoit:

«Par dérogation aux dispositions de la présente directive, les États membres mentionnés à l’annexe II sont autorisés à continuer d’appliquer les niveaux réduits de taxation ou les exonérations énumérés à ladite annexe.

Sous réserve d’un examen préalable du Conseil, sur la base d’une proposition de la Commission, cette autorisation expire le 31 décembre 2006 ou à la date prévue à l’annexe II.»

8        L’article 19, paragraphe 1, de la directive 2003/96 dispose:

«Outre les dispositions des articles précédents [...], le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser un État membre à introduire des exonérations ou des réductions supplémentaires pour des raisons de politique spécifiques.

Tout État membre souhaitant introduire une telle mesure en informe la Commission et lui communique également toutes les informations pertinentes et nécessaires.

La Commission examine la demande en prenant en considération, notamment, le bon fonctionnement du marché intérieur, la nécessité d’assurer une concurrence loyale et les politiques communautaires de la santé, de l’environnement, de l’énergie et des transports.

Dans les trois mois qui suivent la réception de toutes les informations pertinentes et nécessaires, la Commission soit présente une proposition par laquelle le Conseil autorise une telle mesure, soit informe le Conseil des raisons pour lesquelles elle n’a pas proposé l’autorisation d’une telle mesure.»

9        L’annexe I de ladite directive fixe les niveaux minimaux de taxation applicables notamment aux carburants.

10      Le point 7 de l’annexe II de la directive 2003/96, intitulé «Irlande», énumère, parmi les utilisations de produits énergétiques bénéficiant de taux réduits de taxation ou d’exonérations visés à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, celles prévues pour les véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées. Cette dérogation est applicable, en l’absence de mention d’une autre date dans ledit point de cette annexe II, jusqu’au 31 décembre 2006.

 La réglementation irlandaise

11      En vertu des dispositions législatives et réglementaires relatives à la fiscalité en cause, les personnes atteintes d’une invalidité grave et permanente bénéficient, en Irlande, d’un remboursement du droit d’accise appliqué sur le carburant destiné aux véhicules à moteur qu’elles utilisent en tant que conducteur ou en tant que passager. Ce remboursement est plafonné à 600 gallons par an et par bénéficiaire ou, lorsque le bénéficiaire est une organisation qui se consacre à l’assistance aux personnes handicapées, à 900 gallons par an et par véhicule.

12      L’article 100, paragraphe 1, de la loi de finances de 1999 (Finance Act 1999), dans sa version en cause en l’espèce, est libellé comme suit:

«Sous réserve qu’il soit démontré, à la satisfaction de l’administration fiscale, que la ou les condition(s) visée(s) au présent article, requise(s) pour bénéficier de l’exonération de la taxe sur les huiles minérales, et toute autre condition imposée par l’administration fiscale ont été respectées, une exonération de la taxe sur les huiles minérales est accordée:

[...]

(k)      aux huiles minérales pour lesquelles le ministre estime qu’il convient de rembourser ou d’annuler la taxe sur les huiles minérales ou une partie de cette taxe dans la mesure que le ministre juge appropriée.»

13      L’article 92, paragraphe 1, de loi de finances de 1989 (Finance Act 1989) prévoit que, nonobstant toute disposition contraire d’un quelconque acte juridique, le ministre des Finances a la possibilité, après avoir consulté le ministre de la Santé et le ministre de l’Environnement, d’adopter des règlements prévoyant:

a)      le remboursement du droit d’accise et de la TVA et la remise de la taxe routière concernant un véhicule à moteur utilisé par une personne atteinte d’une invalidité grave et permanente,

i)      en tant que conducteur, lorsque le handicap est d’une nature telle que la personne concernée n’est pas en mesure de conduire un véhicule à moins que celui-ci ne soit spécialement construit ou adapté pour tenir compte dudit handicap, ou

ii)      en tant que passager, lorsque le véhicule a été spécialement construit ou adapté pour tenir compte du handicap du passager, et lorsque le véhicule a été adapté, le coût de cette adaptation ne représente pas moins de 30 % de la valeur du véhicule, taxes et droit d’accise exclus, ou un pourcentage moindre dans certains cas, ainsi qu’il est précisé dans les règlements relatifs au remboursement de toute taxe concernant les coûts d’adaptation uniquement,

et

b)      le remboursement du droit d’accise concernant l’huile d’hydrocarbures utilisée pour la combustion dans les moteurs des véhicules, qui sera précisée dans les règlements, par une telle personne atteinte d’une invalidité grave et permanente.

14      Le règlement 2, paragraphe 1, des règlements relatifs aux conducteurs handicapés et aux passagers handicapés (avantages fiscaux) de 1994 [Disabled Drivers and Disabled Passangers (Tax Concessions) Regulations, 1994, ci-après les «règlements de 1994»] définit les groupes de personnes éligibles au remboursement du droit d’accise, et les règlements 8 à 13 desdits règlements contiennent des dispositions particulières relatives à ce remboursement en faveur de chaque groupe de personnes éligible.

15      Le règlement 16 des règlements de 1994, intitulé «Remboursements de carburant», énonce:

«1)      Le droit d’accise payé sur tout carburant utilisé pour la combustion dans le moteur d’un véhicule sur lequel un remboursement ou une remise de la taxe ou de la taxe résiduelle d’immatriculation des véhicules a été accordé conformément aux présents règlements est remboursé par l’administration fiscale lorsque l’utilisation du carburant concernait le transport de la ou des personnes handicapées concernées en tant que conducteur ou en tant que passager.

2)      Lorsque le remboursement ou la remise de la taxe ou de la taxe résiduelle d’immatriculation des véhicules a été effectué en vertu des règlements 8 ou 10, le remboursement du droit d’accise sur le carburant visé au paragraphe 1 se limite au droit sur un maximum annuel de 600 gallons par bénéficiaire.

3)      Lorsque le remboursement ou la remise de la taxe ou de la taxe résiduelle d’immatriculation des véhicules a été effectué en vertu du règlement 12, le remboursement du droit d’accise sur le carburant visé au paragraphe 1 se limite au droit sur un maximum annuel de 900 gallons par véhicule.

4)      Le droit d’accise payé sur tout carburant utilisé pour la combustion dans le moteur d’un véhicule qui aurait rempli les conditions requises pour un remboursement ou une remise de la [TVA], de la taxe d’immatriculation des véhicules ou de la taxe résiduelle d’immatriculation des véhicules conformément aux présents règlements, mais qui a été acheté avant l’entrée en vigueur des présents règlements, est remboursé par l’administration fiscale lorsque l’utilisation du carburant concernait le transport de la personne ou des personnes handicapées concernées en tant que conducteur ou en tant que passager, et les dispositions des paragraphes 2 et 3 s’appliquent avec toutes les modifications nécessaires.»

 La procédure précontentieuse

16      Le 23 septembre 2008, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à l’Irlande, dans laquelle elle a fait valoir que cet État membre avait manqué aux obligations lui incombant, en vertu de la directive 2003/96, en ce que concerne les niveaux minimaux de taxation prescrits par cette directive, et que cet État membre n’avait pas informé la Commission des mesures prises pour se conformer aux dispositions de ladite directive.

17      L’Irlande a, par une lettre du 23 janvier 2009, informé la Commission que, bien que certaines mesures législatives aient été prises, avec effet au 1er novembre 2008, pour se conformer auxdits niveaux minimaux de taxation, l’exonération du droit d’accise appliquée sur le carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées était toujours applicable. Cet État membre a, par ailleurs, sollicité un délai supplémentaire raisonnable pour se mettre en conformité avec la directive 2003/96.

18      N’ayant reçu aucune autre communication de l’Irlande en réponse à sa lettre de mise en demeure, la Commission a, le 7 mai 2010, adressé un avis motivé à cet État membre dans lequel elle a fait valoir que ce dernier avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2003/96, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour se conformer à cette directive en ce qui concerne le taux de taxation du carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées. Elle a invité ledit État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

19      Dans sa réponse du 22 juillet 2010 audit avis motivé, l’Irlande a informé la Commission que les mesures nécessaires seraient prises avec effet à compter du 1er avril 2011. Par un courrier du 5 octobre 2010, cet État membre a précisé que les adaptations requises pour se conformer à la directive 2003/96 nécessitaient une modification des lois de finances de 1989 et de 1999 et/ou des règlements de 1994. Elle a indiqué que lesdites modifications seraient adoptées au cours du mois de mars 2011, dans le cadre du projet de loi de finances de 2011 (Finance Bill 2011), et qu’il était prévu, à cette occasion, de modifier les règlements de 1994.

20      En outre, l’Irlande a, par une lettre du 30 mai 2011, informé la Commission que l’adoption des modifications nécessaires pour se conformer à la directive 2003/96 avait été ajournée dans l’attente du résultat du réexamen complet des dépenses publiques. Cet État membre a précisé que le projet de loi de finances de 2012, dont le vote était prévu au cours du mois de mars 2012, constituerait la première occasion de modifier les dispositions en cause.

21      N’ayant reçu aucune information ultérieure lui permettant de conclure que les mesures nécessaires pour se conformer à la directive 2003/96 avaient été prises, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

22      La Commission rappelle que, en vertu de l’article 4 de la directive 2003/96, les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité ne peuvent être inférieurs aux niveaux minimaux de taxation prévus par cette directive. Tous les carburants devraient en principe être taxés à des taux qui satisfont à l’exigence minimale visée audit article 4. À condition que les États membres respectent les niveaux minimaux de taxation fixés par ladite directive, l’article 5 de cette dernière autoriserait ces États à appliquer des taux de taxation différenciés dans les cas prévus par la même directive, y compris pour le carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées.

23      La Commission relève que l’Irlande n’a pas, dans la phase précontentieuse, contesté l’infraction reprochée, mais a simplement sollicité un délai supplémentaire pour procéder aux modifications nécessaires. Or, cinq ans se seraient écoulés depuis l’expiration, le 31 décembre 2006, de la dérogation accordée à cet État membre, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/96 et de l’annexe II de cette dernière, sans que celui-ci ait effectué les modifications nécessaires.

24      L’Irlande fait valoir, premièrement, que les taux de taxation appliqués aux carburants sont manifestement supérieurs aux niveaux minimaux de taxation prescrits par la directive 2003/96. Cet État membre précise que, contrairement à ce que soutient la Commission, le régime de taxation national prévoit non pas une «exonération du droit d’accise sur les carburants utilisés par les personnes handicapées», mais un remboursement, en faveur des personnes gravement handicapées, du coût lié aux droits d’accise sur l’achat de carburant, à concurrence d’un volume maximal de carburant. Selon l’Irlande, ce régime n’a pas pour effet d’appliquer un taux de taxation inférieur au minimum prévu par ladite directive, étant donné que le droit d’accise a déjà été acquitté en amont par les entrepôts pétroliers. Le paiement effectué par les autorités fiscales ne serait qu’une allocation à caractère social destinée à des personnes gravement handicapées.

25      L’Irlande se réfère, deuxièmement, à la demande qu’elle a adressée à la Commission, au titre de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2003/96, visant à ce qu’elle soit autorisée à exonérer du droit d’accise les carburants utilisés par les véhicules destinés au transport de personnes handicapées. Selon cet État membre, bien que la Commission ait reconnu, dans sa réponse, que l’objectif de cette demande consistait à compenser les coûts importants que doivent supporter les personnes à mobilité réduite, elle a néanmoins rejeté ladite demande, en indiquant que les besoins spécifiques liés aux ressources économiques des personnes concernées pourraient être satisfaits de manière plus adéquate par des instruments ciblés qui soient compatibles avec les niveaux minimaux de taxation prescrits. Or, ledit État membre s’interroge sur les raisons susceptibles de justifier un refus de maintenir le régime de paiement actuel, dans la mesure où celui-ci conduit à un résultat identique.

26      L’Irlande soutient, troisièmement, qu’il serait difficile de concevoir un nouveau régime qui ne serait plus lié aux droits d’accise appliqués sur la vente de carburant. Elle ajoute qu’il existe une pression constante visant à élargir le champ d’application du régime actuel, en vue d’étendre la gamme très restreinte des handicaps éligibles à ce dernier et de permettre à davantage de personnes handicapées d’en bénéficier.

27      À supposer même que le régime national en cause soit contraire au libellé de la directive 2003/96, l’Irlande fait valoir que les articles 4 et 5 de cette dernière ne doivent pas être interprétés de manière absolue, de sorte que le maintien en vigueur d’un régime dont l’incidence sur le fonctionnement du marché intérieur est faible ou, à tout le moins, incertaine n’est pas incompatible avec cette directive. Selon cet État membre, le maintien de ce régime ne porte atteinte ni à l’application uniforme de ladite directive ni à son objectif d’harmonisation.

28      La Commission rétorque, tout d’abord, que, contrairement à ce que soutient l’Irlande, le remboursement total des droits d’accise appliqués par cet État membre constitue, en vertu de l’article 6, sous c), de la directive 2003/96, l’une des formes sous lesquelles une exonération du niveau de taxation prévu par cette directive peut être accordée. Or, une interprétation de ladite directive selon laquelle seuls les droits perçus au moment de la mise en consommation sont pris en compte, et non pas les remboursements appliqués sur les droits d’accise, priverait de son effet utile les dispositions de ladite directive fixant les niveaux minimaux de taxation.

29      Ensuite, en ce qui concerne l’interprétation des articles 4 et 5 de la directive 2003/96, la Commission estime que le législateur de l’Union a imposé le respect des niveaux minimaux de taxation dans des termes clairs, en ayant mis en balance les considérations liées au bon fonctionnement du marché intérieur et à l’environnement avec la situation particulière de certaines catégories de consommateurs, notamment les personnes handicapées.

30      Enfin, la Commission conteste l’argumentation de l’Irlande tirée de l’absence d’incidence du régime national en cause sur le bon fonctionnement du marché intérieur ainsi que le fait que cet État membre puisse se prévaloir, dans le cadre du présent manquement, de son refus de proposer une dérogation au titre de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2003/96.

 Appréciation de la Cour

31      En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/96, les niveaux de taxation que les États membres appliquent aux produits énergétiques et à l’électricité ne peuvent être inférieurs aux niveaux minimaux fixés par cette directive. Il ressort de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive et de l’annexe II de celle-ci que l’Irlande a été autorisée à appliquer, par dérogation aux dispositions de la même directive, jusqu’au 31 décembre 2006, des taux réduits et des exonérations sur les carburants destinés aux véhicules utilisés par les personnes handicapées.

32      Il est constant que le remboursement du droit d’accise sur les carburants destinés à de tels véhicules, visé à l’article 100, paragraphe 1, de la loi de finances de 1999, à l’article 92 de la loi de finances de 1989 et par le règlement 2, paragraphe 1, des règlements de 1994, a continué à être appliqué en Irlande après le 31 décembre 2006, et cela sans que cet État membre ait été autorisé à le faire.

33      Dans ces circonstances, il convient de constater que le remboursement du droit d’accise visé par la législation irlandaise relative aux carburants destinés aux véhicules utilisés par des personnes handicapées n’est pas conforme, depuis l’expiration, le 31 décembre 2006, de la dérogation qui avait été accordée à l’Irlande, à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/96, qui impose le respect des niveaux minimaux de taxation des produits énergétiques et de l’électricité.

34      Cette constatation ne saurait être infirmée par les arguments soulevés en défense par l’Irlande.

35      En premier lieu, cet État membre soutient, ainsi qu’il a été exposé au point 24 du présent arrêt, qu’il convient de distinguer le remboursement prévu par la législation irlandaise en cause de la notion d’«exonération», au sens des dispositions de la directive 2003/96, et il affirme que, par conséquent, les droits d’accise appliqués sur les carburants destinés aux véhicules utilisés par des personnes handicapées sont supérieurs aux niveaux minimaux de taxation prescrits par cette directive.

36      Cette argumentation ne saurait être accueillie.

37      En effet, l’article 6, sous c), de la directive 2003/96 mentionne le «remboursement total ou partiel du montant de la taxe» parmi les formes sous lesquelles les États membres ont la faculté d’accorder des exonérations ou des réductions du niveau de taxation prévues par cette directive. Or, depuis l’expiration de la dérogation prévue par la directive 2003/96, l’Irlande n’est plus autorisée à recourir à cette faculté.

38      De surcroît, il ressort du libellé de l’article 6 de la directive 2003/96 qu’une «exonération», au sens de cette disposition, peut ne pas être appliquée par un État membre directement, mais être accordée par celui-ci sous la forme d’un remboursement.

39      Il en résulte que la prise en compte de l’argumentation de l’Irlande exposée aux points 24 et 35 du présent arrêt aurait pour effet de contourner le régime légal de dérogation prévu aux articles 6, 18 et 19 la directive 2003/96 ainsi qu’à l’annexe II de cette dernière.

40      Par ailleurs, l’invocation par l’Irlande du caractère social du remboursement visé par la législation nationale en cause ne saurait être prise en compte dès lors que, en vertu de l’article 6 de la directive 2003/96, les États membres ont la faculté d’accorder uniquement les exonérations ou les réductions du niveau de taxation prévues par cette directive. Or, il est constant que, postérieurement au 31 décembre 2006, aucune dérogation permettant à l’Irlande d’accorder une exonération du niveau minimal de taxation des carburants destinés aux véhicules utilisés par les personnes handicapées n’est applicable.

41      Ainsi, l’argument invoqué par l’Irlande, selon lequel les droits d’accise appliqués dans cet État membre sur les carburants destinés aux véhicules utilisés par des personnes handicapées sont supérieurs aux niveaux minimaux de taxation prescrits par la directive 2003/96 ne saurait être retenu, dès lors qu’il est constant que le montant de ces droits est, ultérieurement, remboursé aux intéressés par les autorités fiscales, un tel remboursement annulant ainsi l’effet de ladite taxation.

42      En deuxième lieu, s’agissant de l’argumentation de l’Irlande, exposée au point 25 du présent arrêt, par laquelle cet État membre fait grief à la Commission d’avoir refusé de donner suite à sa demande tendant à ce que cette institution propose, au titre de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2003/96, une dérogation lui permettant d’accorder une exonération des niveaux minimaux de taxation des carburants destinés aux véhicules utilisés par les personnes handicapées, cette argumentation ne saurait être retenue.

43      En effet, il ne saurait être admis qu’un État membre se dispense unilatéralement du respect des obligations résultant d’une directive, au motif que la Commission n’a pas, selon la procédure définie par cette directive, donné suite à sa demande de dérogation. En outre, l’Irlande ne saurait mettre en cause, dans le cadre d’un recours en manquement visant à faire constater le non-respect par cet État membre des niveaux minimaux de taxation prescrits par la directive 2003/96, les motifs du refus de la Commission de proposer, en application de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2003/96, une dérogation.

44      S’agissant, en troisième lieu, de l’argument, mentionné au point 26 du présent arrêt, selon lequel l’Irlande devrait faire face à des difficultés d’ordre interne si elle devait modifier le régime lié aux droits d’accise appliqués sur la vente de carburant en faveur des personnes handicapées et de celui tiré de ce que le régime en cause a une incidence faible sur le fonctionnement du marché intérieur, ces arguments ne sauraient être accueillis.

45      À cet égard, il importe de rappeler, d’une part, qu’il est de jurisprudence constante qu’un État membre ne saurait exciper de situations internes pour justifier l’inobservation des obligations prescrites par une directive (voir arrêt du 17 novembre 2011, Commission/Italie, C‑496/09, non encore publié au Recueil, point 87 et jurisprudence citée). D’autre part, la procédure visée à l’article 258 TFUE repose sur la constatation objective du non-respect par un État membre des obligations que lui imposent les traités ou un acte de droit dérivé. L’article 258 TFUE permet à la Commission d’intenter une procédure en manquement chaque fois qu’elle estime qu’un État membre a méconnu l’une de ses obligations communautaires, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon la nature ou l’importance de l’infraction (arrêt du 22 décembre 2008, Commission/Espagne, C‑189/07, point 33 et jurisprudence citée).

46      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer le recours introduit par la Commission comme fondé.

47      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en accordant, après l’expiration, le 31 décembre 2006, de la période transitoire visée à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/96 et à l’annexe II de celle-ci, une exonération du droit d’accise sur le carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête:

1)      En accordant, après l’expiration, le 31 décembre 2006, de la période transitoire visée à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 23 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, telle que modifiée par la directive 2004/74/CE du Conseil, du 29 avril 2004, et à l’annexe II de celle-ci, une exonération du droit d’accise sur le carburant destiné aux véhicules à moteur utilisés par les personnes handicapées, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive.

2)      L’Irlande est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.